L'Angleterre et la brinannitude
Il y a tellement d'éléments qui forment une culture qu'il est évidemment impossible d'en avoir un regard complet et objectif quand on ne réside à un endroit 'que' quatre mois. N'empêche que pendant un séjour relativement long - et en résidence de surcroit - on expérimente la vie quotidienne, est témoin des éléments qui forment cette culture d'accueil, que l'on observe par la lorgnette biaisée de notre propre culture.
Parmi les traits culturels que l'on remarque évidemment, il y a quelques habitudes ou spécificités culinaires. Des détails comme l'habitude du thé en après-midi, que l'on prend généralement avec des biscuits (et non des 'cookies', ce n'est pas la même chose) ou des scones, les english muffins au déjeuner (qui s'appellent évidemment juste des muffins en Angleterre), les desserts traditionnels comme les triffle ou le Christmas Pudding, forment une trame quotidienne différente et parfois amusante, pour peu que ces références culturelles renvoient à nos propres références. Par exemple, pour moi, déguster une 'traditional english triffle' avait ceci de particulier, que l'acte me retournait à un épisode de Friends où ce dessert fait l'objet d'une série de mésaventures culinaires et dégustatives. Étant un grand fan de cette série américaine, je ne pouvais m'empêcher de manger de ce dessert en pensant à certains de mes personnages favoris.
On s'habitue également assez vite aux particularités nationales ou régionales du langage, que se soit les accents ou encore un mot typique d'où l'on se trouve, comme l'apellation 'flat' pour appartement, dans le cas de l'Angleterre, par exemple.
Sinon, dans plusieurs pays ou régions, on peut facilement observer quelques traits caractéristiques d'une culture, via son type d'humour, et via sa télé.
Si la télé peut être le révélateur parfois gênant d'une culture que l'on aimerait probablement cacher (que l'on pense aux cotes d'écoutes d'Occupation Double ou d'autres séries de télé-réalité au Québec par exemple), elle peut aussi fournir un ensemble fort intéressant sur divers traits spécifiques de cette culture.
Côté télé, le Royaume-Uni ne fait pas exception à l'envahissement d'émission de télé-réalité où l'on suit des nobodys qui se font éliminer sur une thématique quelconque, d'émissions de potins sur les artistes et politiciens (ou la famille royale, dans ce cas précis), ni d'émissions centrées sur les commentateurs démagogues visant la controverse pour la controverse sans réellement chercher à alimenter la réelle réflexion. Et là-bas comme ici, certains réseaux se spécialisent dans ces productions bas de gamme et populistes alors que d'autres réseaux visent un peu plus haut en termes intellectuels. Je ne commenterai donc pas la culture britannique à partir de ce genre de choses - il serait aussi injuste de résumer certaines spécificités de la culture québécoise aux citations d'Occupation Double, des Chefs ou aux élucubrations de Martineau et Gendron, par exemple.
A Summer in Wales
Une des premières émissions télé que j'ai pris après mon installation, a été A Summer in Wales, une série documentaire de 6-7 épisodes ayant été tournée au Pays de Galles au cours de l'été 2012, et se concentrant sur une douzaine de lieux ou de gens et suivant l'évolution de leur été. Un parc d'attraction de Barri, des visites de châteaux pour touristes arrivant par bateau de croisière, un couple venant d'ouvrir un hôtel dans un vieux manoir qu'ils restaurent à mesure, un circuit touristique amenant les visiteurs sur les traces d'une populaire série télé (Gavin and Stacey), etc. Si les épisodes de A Summer in Wales se sont avérés aussi intéressant pour moi, c'est par un étrange hasard, qui ferait que chaque sujet allait être relié de près ou de loin à mon séjour. Par exemple, on y parlait à chaque épisode de la météo exécrable que l'été 2012 a aporté sur le pays, avec des pluies abondantes qui allaient saturer les sols, et dont je serais témoin des impacts une fois l'automne venu, avec les inondations un peu partout au Yorkshire. J'y apprendrais également que les anglais aiment les parcs d'attractions situés sur leurs plages; un aspect que j'allais voir également lors de mes visites, particulièrement à Scarborough, où on retrouvait un parc achalandé lors de ma visite. Même chose pour ces ânes avec lesquels on fait faire de tours aux enfants sur les plages. L'élément que je n'avais pas du tout vu venir en regardant A Summer in Wales, c'était Gavin and Stacey. Lors du visionnement du documentaire, j'ai pensé qu'il s'agissait d'une série qui datait de plusieurs années, mais j'ai rapidement réalisé que Gavin and Stacey n'avait que 3 ans et que la BBC rediffusait l'ensemble des trois saisons quelques semaines à peine après mon arrivée au pays et mon visionnement de A Summer in Wales. Comme la série semblait assez populaire pour justifier un circuit touristique, et une rediffusion, j'ai décidé d'y jeter un coup d'oeil.
Gavin and Stacey
Gavin and Stacey raconte une histoire assez banale, si on se contente de lire le résumé de sa trame principale. Gavin et Stacey tombent amoureux, se fréquentent, se marient, vivent les hauts et les bas d'une relation amoureuse, bref, une idée très banale. L'originalité de l'émission vient d'abord de son traitement; le rythme est rapide; ils se parlent au téléphone depuis des mois quand ils se rencontrent enfin pour la première fois dans le premier épisode de la saison 1. Après quelques épisodes, ils sont amoureux fous, ils se marient avant l'épisode 12, bref, ça avance, on ne laisse pas traîner en longueur l'intrigue sur cent-trente épisodes. Puis il y a l'angle d'observation, qui est justement culturel, donc révélateur: Gavin est anglais, Stacey est galloise (de Barri, que j'avais pu voir dans A Summer in Wales). Il s'en suit évidemment des scènes (truculentes) sur les divergences et différences culturelles entre les habitants de l'Angleterre et ceux du Pays de Galles, mais ce décor permet aussi d'intégrer les préjugés d'un côté et de l'autre, en plus d'éléments de langages régionaux qui rendent les dialogues savoureux et parfois irrévérencieux. S'ajoutent à ce tableau une panoplie de personnages secondaires tous plus originaux (mais crédibles) les uns que les autres. Parmi le lot, je mentionne ici le meilleur ami de Gavin, qui développe une étrange relation d'attirance/répulsion envers la meilleure amie de Stacey (une costaude au comportement trash qui semble-t-il a déjà vécu neuf vies si on se fie aux anecdotes qu'elle raconte en évoquant son passé), ou encore l'oncle de Stacey, un gai toujours dans le placard, mais qui assume entièrement ses opinions (Ah, Brokeback Mountain, I can't get enough of it. Of course, Heath Ledger is a great actor, but so is Jake Gyllenhall. And my god, are they good together!). Par un amusant concours de circonstances, certains épisodes évoquent divers éléments culturels reliés à d'autres de mes expériences au UK ou via sa télé; un a priori des scènes de A Summer in Wales, comme lorsque Nessa travaille au parc d'attraction sur la plage, par exemple, ou lorsque Smithy anime un quiz dans un pub, me faisant découvrir la très grande popularité des quiz en Angleterre, un trait culturel qui m'était jusqu'alors inconnu.
Eggheads
Les anglais sont parmi les plus grands fans de quiz au monde, semble-t-il. Ils ont des clubs, ils en jouent dans les pubs, ils en ont à la radio et à la télé... il y a même une émission regroupant dans une sorte d'équipe de rêve «probablement la plus formidable équipe de quizzeur du Royaume-uni»; les Eggheads. État moi-même un amateur de quiz, j'aime bien ce genre d'émission télé, mais il est très rare qu'une émission soit suffisamment concentrée sur les questions-réponses pour soutenir mon intérêt. Soit on se consacre à la chose pour des fins de divertissements (L'Union fait la force, ou le jeu est prétexte à rigolade) ou pour d'autres fins qui n'ont que peu de rapport avec le concept de compétition questions-réponses sur les connaissances générales (Paquet-voleur, par exemple, où en une heure, on pose une douzaine de question, au mieux, et la plupart sont d'une simplicité enfantine).
Ce n'est pas le cas de Eggheads, où cette équipe de rêve composée de 5 personnes ayant une expérience des quiz reconnue en Angleterre (via des expériences passées, à la télé, la radio, etc) doit affronter à chaque jour une équipe de concurrent qui tente de la vaincre. Les questions sont serrées, ardues mais pas d'un niveau qui mènerait au désintérêt du spectateur, intéressantes (on y apprend beaucoup si on aime ce genre de choses). Mais ce qui fascine et éduque à la fois dans Eggheads, c'est d'assister en direct au processus de réflexion des eggheads, dont certains n'ont pas raté de questions depuis des mois - voir jamais dans certaines catégories.
Évidemment, les questions-réponses, les concurrents et les eggheads et leur réflexions à voix haute, sont aussi un formidable moment pour observer la culture anglaise dans son ensemble.
Have I Got News for You
Le quiz étant une activité fort populaire au Royaume-Uni, on s'en sert à toutes les sauces. Have I Got News fro You s'affiche donc comme une émission-quiz, concentrée sur l'actualité hebdomadaire. L'émission s'articule autour de deux équipes, comprenant chacun un membre permanent et un invité, et d'un animateur-invité qui change à toutes les semaines. S'il y a bien des questions sur l'actualité mondiale et anglaise, l'émission demeure un prétexte à commenter avec un humour grinçant et ironique les personnalités et médias qui ont fait la nouvelle. On ne regarde donc pas Have I Got News for You pour apprendre sérieusement, ni pour tenter de trouver les bonnes réponses aux questions posées, mais plutôt pour rigoler, un peu comme on le fait avec Infoman, mais sous forme d'un pseudo-quiz où aucune retenue ou aucun tabou ne semble être la règle. Il en ressort un humour noir, absurde et fortement politique, un autre trait assez typiquement anglais (l'humour britannique étant d'ailleurs renommé pour ces spécificités). Cet humour noir axé sur l'absurdité n'est pas réservé aux émissions commentant l'actualité, puisqu'il est le point central d'une série culte en Angleterre: The Thick of It.
The Thick of It
The Thick of It est probablement le summum de l'humour noir politique, puisqu'il s'agit d'une satire acérée du système et du fonctionnement politique au Royaume-Uni. On y suit les tribulations d'un groupe articulé autour d'un petit ministère, donc le ministre lui-même, ses assistants et conseillers, qui doivent constamment réagir à des urgences, problèmes, scandales, et doivent le faire avec l'aide - mais surtout sous la pression - du directeur des communication du cabinet du premier ministre (Malcolm Tucker). Celui-ci n'ayant pas la langue dans sa poche ne se gène jamais pour insulter, menacer, manipuler ou même terroriser tout un chacun pour parvenir à ses fins, créer un scandale, en étouffer un autre ou servir ses intérêts et ceux de son parti peu importe les conséquences sur son entourage ou les citoyens en général.
La série est d'un sarcasme incroyable, quand on y voit les ministres et conseillers enfiler les bourdes, les déclarations stupides, les improvisations constantes et le manque d'intérêts pour leurs citoyens. Le personnage de Malcolm Tucker, écossais d'une incroyable efficacité doublée d'une agressivité sans borne et s'exprimant avec une quantité incroyable de jurons et d'insultes débitées à un rythme presque difficile à suivre, est le centre physique et psychologique de la série. L'extravagance de The Thick of It est compensée par le réalisme de la réalisation (souvent caméra à l'épaule, les personnages parlent en même temps, improvisent, paniquent, sortent du cadre) et par le réalisme du décor politique (cabinet, opposition, gouvernement de coalition apparaissant en saison 4).
On raconte que la série est interdite dans les pays francophones, d'où l'absence d'une traduction et diffusion ici, mais les curieux peuvent toujours jeter un oeil au style en écoutant le film qui a été adapté à partir de la série, il y a quelques années (et mis en nomination pour l'Oscar du meilleur scénario): In The Loop. Comme j'avais adoré ce film et trouvé son scènario d'une redoutable efficacité et d'une grande finesse d'écriture, j'étais très heureux de pouvoir visionner en direct une saison entière de The Thick of It lors de mon séjour.
Miranda
Si vous aimez votre humour un peu moins chargé et un peu moins politique, alors Miranda est l'idéal pour vous immerger dans l'humour britannique et la culture du pays. Miranda Hart est une humoriste anglaise - qui a également publié des livres - qui écrit cette série centrée sur un personnage homonyme avec laquelle elle explore les traits anglais avec un ton irrévérencieux mais néanmoins poli. L'exercice est déjà en soi un élément intéressant pour qui s'intéresse à la culture locale. La vie personnelle et professionnelle du personnage de Miranda n'est évidemment qu'un prétexte pour se pencher avec humour sur les déviances de la société britannique, mais la série ne serait pas aussi bonne si ce n'était de l'originalité de la réalisation et du point de vue; comme par exemple lorsque Miranda s'adresse au spectateur, un artifice difficile à maitriser mais utilisé ici avec intelligence. Il faut comprendre qu'on ne rit pas avec Miranda de la même manière que ce qui se dégage de The Thick of It ou Have I Got News for You, mais on rit néanmoins beaucoup. De plus, pour le visiteur de passage, Miranda permet de profiter du miroir culturel qu'elle renvoie à ses concitoyens.
Episodes
Je termine ce survol de ma télé anglaise avec une émission qui est également diffusée aux États-Unis - et probablement la seule de disponible en DVD au Québec: Episodes, qui comporte pour le moment deux saisons. Essentiellement, Episodes est une histoire d'autodérision qui met en scène le choc culturel et les divergences de points de vue, ainsi que les préjugés respectifs, de la culture britannique et de la culture américaine issue d'Hollywood. On y suit les mésaventures de deux auteurs anglais à succès, dans leur tentative d'adapter leur série culte pour le marché américain avec un producteur hollywoodien. Grincement de dents, humour noir, satire de la production télé aux États-Unis, Episodes est un concentré satirique sur les différences culturelles dans le milieu de la télévision. Le concept pousse son idée centrale jusqu'à intégrer l'acteur Matt LeBlanc dans une version fictive de son propre rôle d'acteur hollywoodien post-Friends en quête d'un nouveau succès, rempli de bonnes intentions mais aussi de préjugés qui expliquent pour la plupart l'échec de ses projets.
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