Soudain illuminé par cette fabuleuse « lampe torche » de la Littérature, le malheureux détenu au pyjama rayé se met à escalader ces parois rugueuses qu’il avait jusqu’à lors ignorées, et il voit enfin au grand jour de ses lunettes grossissantes, les collines échauffées de Giono, les chevelures électriques des femmes, les langueurs tièdes de la mer et les bains langoureux sur la plage. Il découvre que les mots sont là, dans son ventre, en fourmillement d’attente. Il les caresse dans sa paume, comme un reste de magnésie, il les laisse monter, envahir les pages, remplir les verres irisés de ses lunettes.
Expérience inoubliable : « miracle de la grâce » et évidence de Dieu pour Pascal, « illumination de Vincennes » pour Jean-Jacques Rousseau, « temps retrouvé » pour Marcel Proust. Pas de tasse de thé, de madeleine ou d’auréole chez Frégni. L’avènement a lieu de façon peut être plus rude mais il a lieu... Le cancre du fond de la salle, l’exclu de l’école, le « retardé mental » de la prison militaire devient écrivain. Et le voilà qui parcourt à son tour les grands thèmes de la Littérature éternelle, qui relit les auteurs universels, qui observe, prend des notes, voyage, écrit sur l’amour, la vie, la nature, la mort, l’origine... Revient aussi dans les prisons où il anime des ateliers d’écriture. Echanges riches avec les détenus : comme le prof de philo de jadis, il leur apprend à retrouver les mots qu’ils ont perdus et à « réenchanter le monde ». De leur côté, eux aussi lisent ses livres, lui donnent leurs avis, lui expliquent comment « mieux tuer un personnage, pas avec un 9 mm mais avec un 11,43... »