Quand les gens meurent ce ne sont pas que des
gens qui meurent
meurt avec eux un univers
de façon de faire, de travailler, de nuances de
voix, de sagesse, de stupidité.
Meurent un rire particulier, un sourire particulier.
L’armoire éclate
ça aussi, c’est irrémédiable,
car aucune armoire ne ressemble à une autre.
Chez ceux qui n’ont pas eu le courage de jeter
l’histoire de leur âme peut se lire à partir des
cintres
Quand une personne meurt, une coiffure meurt
avec elle
et si la morte est une vieille femme, meurt aussi
un sac à main, usé
et les gestes pour l’ouvrir et le fouiller.
*
Nombreux ceux qui ignorent
le sens de la vie.
Pour moi aussi c’était une énigme
jusqu’à un matin vers le milieu de mon âge
quand je me retrouvai après le sommeil
j’ai vu alors la lumière:
Le sens de la vie, justement, c’est de se retrouver.
Se retrouver après le sommeil d’une nuit
ça prend la moitié d’une journée. Se retrouver
après une sieste,
voilà un projet qui prend jusqu’au soir.
Se retrouver après la naissance, le cri primal,
une vie entière est nécessaire pour ça.
Se retrouver après une enfance malheureuse:
ça prend quarante ans minimum,
après ça descend.
C’est-à-dire, si l’on est vivant.
Se retrouver après une promenade, une colique,
des morts, la construction d’une maison, un calin,
un rhume, un coup de fil, la vaisselle, la folie, une
journée de travail, un orgasme. Ces projets n’ont
pas de fin et l’homme n’est guère capable d’en
faire beaucoup plus.
Se retrouver après un chagrin d’amour. Rien n’est
plus désespéré que ça
car l’amour est infini comme le chagrin.
Infini du moins
tant que dure cette petite vie.
Bien avant que l’homme se retrouve
après un coup de fil, un orgasme, un rhume.
***
Steinunn Sigurdardóttir (née en 1950 à Reykjavik) – Traduit de l’islandais par Thór Stefánsson et Lucie Albertini