On s’était dit qu’on se l’autoriserait de nouveau, peut-être, un jour d’inspiration à marée basse. On pensait que l’occasion se présenterait plus tôt, elle vient seulement de frapper à notre porte. Pour les besoins de notre devoir chronique, nous avons eu besoin de ressortir de son étui le site à surfer au hasard: Randomizz (www.randomizz.com). Le sort est versatile. Il eut le bon goût cette fois de pencher de notre côté en nous envoyant droit et du premier clic vers www.terriens.com. Une page entièrement noire, avec une minuscule mappemonde en haut à gauche, et rien d’autre qu’un compteur au centre, sans explication. Mais on ne met pas longtemps à comprendre ce que l’on fait là : on y compte les hommes. Ce nombre à 10 chiffres commençant par un 7 et dont les unités se bousculent au portillon n’est rien d’autre que la population mondiale en temps réel. Le nombre de Terriens.
On aurait pu relancer la roue de Randomizz immédiatement. Mais non. On est resté un moment, fasciné, puis on a noté sans savoir vraiment pourquoi, le chiffre qui apparaissait à l’écran à cet instant-là : 7.073.045.073. Le temps de l’écrire, plus d’une centaine de Terriens avaient déjà vu le jour. La question de la régulation des naissances ne se résout pas de quelques traits de crayon.
Nous n’avons pas pu nous empêcher de songer un peu à ce 7.073.045.073e Terrien, à cet enfant à peine sorti du ventre de sa mère. On a posé la plume quelques instants, on s’est frotté les yeux. On a entendu son cri, on lui a cherché un pays, un métier, un avenir. Pas simple surtout au rayon travail et avenir. Forcément, on s’est interrogé : et nous-mêmes, à quel rang figurons-nous ? Quel est notre classement parmi les 7 milliards et quelques de participants ? Comment savoir ? Sur le site du Guardian (http://goo.gl/Ecf7t), contre sa date de naissance, le chroniqueur s’est vu attribuer le dossard n° 3.074.751.704. Approximativement.
Pendant ce temps, le compteur des Terriens.com n’avait pas faibli. Il affichait maintenant 7.073.046.647. A l’aune de cette horloge singulière, nous venions donc de laisser notre esprit musarder durant 1 574 hommes. Et des poussières. Vertigineux. Tout comme ces soixante compteurs sur la page de Worldometers (http://www.worldometers.info/fr/) qui avancent chacun à son rythme pour tenir en temps réel l’inventaire des hommes, de leurs ressources, de leur consommation, de leurs activités.
Peut-on y croire : à mi-journée, les Terriens se seraient déjà envoyés depuis le matin plus de 212 milliards de messages électroniques, auraient posté 2 millions d’articles sur les blogs, et effectué plus de 2 milliards de requêtes sur Google. Drôle d’espèce.
par Olivier Zilbertin
(Paru dans Le Monde daté du 6 mars 2012)