Les pouvoirs publics se décident enfin à aménager la région parisienne en
réseau pas seulement étoilé mais concentrique. Un projet très ambitieux mais nécessaire à la vie économique de la dizaine de millions d’habitants qui vivent parfois un enfer quotidien pour se
déplacer.
Devant un auditoire de décideurs économiques et d’élus
territoriaux réunis à l’Université de Marne-la-Vallée le 6 mars 2013, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé les intentions du
gouvernement concernant le projet très ambitieux du Grand Paris.
En clair, le gouvernement a décidé de confirmer ce vaste projet de construction de transports en commun en
région parisienne. Malgré la crise économique et la situation budgétaire peu encourageante, le Président François Hollande a quand même pris cette mesure courageuse de pari sur l’avenir que je salue vivement, d’autant plus courageuse politiquement que l’initiative de cette "aventure" urbaine provenait de son prédécesseur Nicolas Sarkozy le 6 novembre 2008 (qui a abouti à la
loi du 3 juin 2010 et à 67 réunions publiques du 30 septembre 2010 au 31 janvier 2011).
Un besoin urgent de désaturer le réseau actuel
De quoi s’agit-il ? De mailler le réseau de transports en commun en Île-de-France de manière
périphérique en complémentarité au maillage actuellement étoilé. La France centralisatrice de Colbert a eu cette très mauvaise "manie" de vouloir structurer le territoire de manière étoilée, à
savoir de faire passer tout, les lignes ferroviaires, les trains franciliens, les autoroutes etc. par Paris, passage obligé pour aller d’un côté à un autre du pays ou de la région parisienne.
Il y a plusieurs décennies, des investissements avaient été décidés pour réduire cette forme étoilée, mais
c’était à l’époque du tout automobile, cela a donné le périphérique parisien, puis les rocades périphériques A86 et la Francilienne (A104). Même dans le pays, des autoroutes ont enfin été
construites de manière transversale (l’autoroute des Présidents par exemple traversant le Massif central).
Pour les transports en commun, la perspective des Jeux Olympiques à Paris en 2012 avait encouragé la construction du tramway le long des boulevards des maréchaux,
nouveauté qui, si elle est fort utile aux Parisiens, ne l’est pas vraiment aux Franciliens vivant ou travaillant hors de Paris.
Les transports franciliens ont été souvent un serpent de mer très difficile à gérer qui nage à la fois dans
un centralisme quasi-délirant (tout doit passer par le STIF, le Syndicat des transports d’Île-de-France, même l’implantation d’une ligne de bus localement sur une seule commune francilienne) et
dans une désorganisation brownienne (chacun prenant quand même des initiatives – coûteuses – sans concertation et sans plan d’ensemble régional, ce fut le cas notamment de certaines lignes de
tramway mais aussi des Vélib’ qui ont pu être étendu à la Petite Couronne au prix de quelques contorsions dans les appels d’offre, puisque le prestataire choisi par les communes environnantes
devaient être le même que celui choisi par la Ville de Paris), désorganisation qu’on peut aussi retrouver de manière opérationnelle dans le partage d’exploitation de certaines lignes du RER entre
RATP et SNCF.
Ce n’est qu’en 2008 que le gouvernement a décidé de lancer un plan nouveau de transports franciliens. Inutile
de dire que ce plan aurai dû être lancé dès les années 1970, dès l’époque des villes nouvelles, de La Défense etc.
Contrairement à d’autres sujets bien plus polémiques, Nicolas Sarkozy avait cherché à obtenir le consensus
avec les acteurs franciliens, ce qu’il a réussi à obtenir relativement facilement avec les socialistes (Bertrand Delanoë, maire de Paris, et Jean-Paul Huchon, président du conseil régional
d’Île-de-France, sont même en rivalité pour assurer le leadership du projet) mais plus difficilement celui des écologistes qui se sont parfois opposés durement sur le sujet face à l’UMP et au PS
au sein du conseil régional d’Île-de-France.
Aujourd’hui, malgré le changement de majorité politique, malgré un rapport rendu le 13 décembre 2012 peu enthousiaste, Jean-Marc Ayrault vient donc d’annoncer que le projet sera poursuivi dans son intégralité, et je m’en réjouis.
Nouvelle carte du réseau francilien
Bien sûr, l’implantation de nouvelles lignes de transport (métro, tramway, bus en voie propre etc.) est
l’occasion de nombreuses discussions, pas forcément faciles à mener, puisque le trajet lui-même, la localisation des gares et stations, et plus tard (mais on n’y est pas encore), la fréquence des
lignes etc. sont des aspects très sensibles pour les habitants.
Les arbitrages ne sont pas encore complètement terminés mais il est déjà acquis qu’il y aura d’ici 2030 deux
cents kilomètres de métro supplémentaires avec soixante-douze nouvelles gares. L’objectif est de faire un réseau concentrique entourant principalement la Petite Couronne.
La carte officielle a été publiée par Jean-Paul Huchon mais ce sont avec des cartes un peu plus anciennes qu’on pourra avoir un peu plus de visibilité de lecture (cliquer sur la carte
pour agrandir).
Il y a la carte issue de la Société du Grand Paris (juin
2012).
Il y a aussi la carte de la commission nationale du débat
public (décembre 2012).
Très grossièrement (le rapport Auzannet est assez détaillé ainsi que les cartes), une ligne rocade enserrera
Paris en passant par Villejuif, le Pont de Sèvres, La Défense, Saint-Denis Pleyel, Le Bourget, Sevran, Chelles, Noisy-Champs, Champigny Centre, et Créteil.
À cela s’interconnecteront des lignes pour aller aux aéroports de Roissy et d’Orly, notamment par le
prolongement de la ligne de métro 14 qui ira d’Orly à Saint-Denis Pleyel en passant par les gares de Lyon et Saint-Lazare. Enfin, il y aura une ligne de métro (aérien ?) qui sera appelé la
"ligne 18" pour la traversée du Plateau de Saclay, allant d’Orly (et reprenant donc la fin de la ligne 14) et allant jusqu’à La Défense en passant par Antony, Massy-Palaiseau, le campus
d’Orsay-Gif, CEA Saint-Aubin (au sud de Saclay), Saint-Quentin-en-Yvelines, Versailles Chantiers et Nanterre.
Aux gares TGV de Marne-la-Vallée et de Massy-Palaiseau, d’autres gares TGV viendront s’ajouter à l’extérieur
du périphérique parisien, à savoir Saint-Denis Pleyel, Orly et Roissy.
Critiques de certains tracés
L’ancienne Ministre de la Justice, également maire du 7e arrondissement et candidate à la
candidature UMP pour les municipales parisiennes de mars 2014, Rachida Dati a protesté contre l’oubli du
gouvernement d’une ligne directe, rapide et moderne, entre le centre de Paris et Roissy. Cependant, comme prévu dès la conception de ce projet (CDG Express) en 2000, ce projet devra être
autofinancé et ne recevoir aucun financement public, ce qui bloque aujourd’hui le projet par manque d’investisseur privé.
Dans le même ordre d’idée, on pourra reprocher à ce grand projet l’oubli de l’interconnexion des grandes
gares parisiennes intra muros (TGV), notamment gare du Nord, gare de l’Est, gare de Lyon, Montparnasse et Saint-Lazare. À part la ligne 14, rien n’a été fait depuis plusieurs décennies sur ce
sujet (tout voyageur provincial devant prendre une correspondance à Paris peut comprendre l’importance stratégique d’une telle interconnexion qui existe dans la plupart des grandes capitales dans
le monde).
Parmi les sujets de discussion, il y a la critique d’avoir mis la rocade de la Petite Couronne jusqu’en
Seine-et-Marne à l’est (ce qui pourtant se conçoit car dans département de Seine-et-Marne, très étendu au nord-est et au sud-est de Paris, il n’est pas vraiment possible de faire un déplacement
sud-nord sans passer par Paris, ce projet est donc un petit pas qui va dans le bon sens).
Une autre ligne de métro est d’ailleurs prévue pour aller de Saint-Denis Pleyel vers l’est parisien, vers
Noisy-Champs et vers Champigny Centre en passant par Rosny-sous-Bois, pour innerver tout l’Arc de l’est parisien.
Agenda 2015-2030
Il est clair que l’agenda va surtout dépendre du financement (voir plus loin) mais l’ensemble du projet
devrait être achevé et les lignes mises en service en 2030. Les premières travaux devraient être menés à partir de 2015 et dès 2017, il devrait y avoir déjà des mises en service, comme la liaison
du métro 14 entre Saint-Lazare et Saint-Denis Pleyel en passant par la Porte de Clichy et la mairie de Saint-Ouen.
En 2020 devraient être achevées la liaison entre le Pont de Sèvres et La Défense ainsi que Saint-Denis Pleyel
et Rosny-Bois-Perrier (ligne 15), cette dernière station étant le prolongement du métro 11 qui va à Châtelet. Le RER E devrait être aussi prolongé à l’ouest de Saint-Lazare à Mantes-la-Jolie. Ces
travaux désenclaveront donc des quartiers considérés parfois comme "chauds".
En 2025, la ligne 11 irait jusqu’à Noisy-Champs, la ligne 14 serait prolongée au sud de Olympiades à
Villejuif, l’ensemble de la partie sud de la ligne 15 serait achevée (de Pont de Sèvres à Noisy-Champs), ainsi que la ligne 16 du nord-est allant de Noisy-Champs au Bourget par Clichy-sous-Bois.
La ligne 17 irait de Saint-Denis Pleyel au Bourget et la liaison entre Massy-Palaiseau et CEA Saint-Aubin (ligne 18) serait achevée.
Enfin, en 2030, la ligne 18 serait prolongée à l’est vers Orly et à l’ouest vers Versailles Chantiers, la
ligne 14 serait elle aussi prolongée vers le sud pour aller de Villejuif à Orly, la liaison de Saint-Denis Pleyel à Roissy (ligne 17) serait achevée, ainsi que la liaison entre Rosny et Champigny
(ligne 15).
Dans cet agenda, il faut évident bien comprendre que plus l’objectif est lointain, plus la ligne est
incertaine car sous condition d’être financée.
Environnement à Saclay
Un des aspects où le projet peut susciter des critiques, c’est sur les choix technologiques et leurs
conséquences sur l’environnement. Si la construction de nouveaux réseaux de transports en commun ne peut que favoriser la prise en compte d’une meilleure qualité de vie des Franciliens, tant d’un
point de vue économique qu’écologique (notamment avec la réduction du trafic de certaines autoroutes franciliennes), certaines associations sont par exemple inquiètes du métro aérien prévu dans
la traversée du Plateau de Saclay.
Cette liaison est intéressante d’autant plus qu’il est prévu d’implanter sur cette zone un grand "cluster" à
la fois scientifique, regroupant des écoles de premier plan (Normale, X, HEC, Centrale, Supelec, etc.) et une université hautement renommée (ayant reçu prix Nobel et médailles Field), et
économique (Jean-Marc Ayrault avait confirmé cet engagement du rôle mondial de Saclay le 30 octobre 2012, mais les déclarations de sa ministre Fleur Pellerin, d’annonce d’un pôle de start-up à la
Halle Freyssinet en plein centre de Paris, viennent refroidir cette confirmation).
Le problème actuel, c’est qu’il n’y a aucune liaison, à part des bus peu fiables et lents (surtout utilisés
pour les scolaires), donnant directement accès aux RER B et C.
Construire une nouvelle université et faire venir un flux dense d’étudiants, de chercheurs etc. dans une zone
qui mettra quinze années avant d’avoir des transports en commun corrects risque de ne pas être très attractif et faire des générations sacrifiées. C’est donc bien que la liaison Massy-Versailles
soit construite en même temps que le pôle en lui-même à l’horizon 2025.
Cependant, la zone est actuellement l’une des rares étendues agricoles près de Paris et un métro aérien (de
type Orlyval) aurait sans doute des conséquences désastreuse dans l’environnement : des piliers en béton de 6 mètres de haut tous les 25 mètres sur plusieurs kilomètres dévisageraient
assurément tout le paysage. De nombreuses communes ont déjà exprimé leur opposition au métro aérien (Gif-sur-Yvette, Saclay, Guyancourt etc.).
Le financement
Sujet essentiel quand on parle d’aménagement du territoire, le financement du projet de Grand Paris va
susciter, lui aussi, bien des polémiques. En effet, le coût global de l’opération peut être évaluer, selon les différentes sources, entre 26,5 et 32,4 milliards d’euros, ce qui ferait très grosso
modo dans les 2 milliards d’euros par an jusqu’en 2030 (et 18 km à forer par an, ce qui est supérieur à l’aménagement considéré comme modèle de Madrid).
Pour l’instant, si j’ai bien compris, 6 milliards d’euros sont déjà débloqués par l’État jusqu’en 2017, dont
2 milliards pour les lignes existantes, et à partir de 2015, l’État pourrait rajouter 1 milliard d’euros par an en cas de besoin (la région avait estimé à 7 milliards d’euros le seuil à mobiliser
pour démarrer le projet). Des emprunts de la SGP (Société du Grand Paris) pouvant aller jusqu’à 21 milliards d’euros et les contributions des collectivités territoriales devraient boucler les
premières étapes.
Le financement des autres tronçons devrait être assuré par le gain économique induit par la mise en service
des premiers tronçons, mais cela reste encore assez aléatoire.
Le gouvernement a lancé d’ailleurs quelques pistes pour que les collectivités territoriales puissent
augmenter leur capacité d’emprunt : déplafonnement de la taxe locale sur les bureaux, augmentation de la CET (ancienne taxe professionnelle), et aussi (le sujet est très sensible),
augmentation des amendes de stationnement. Pas du stationnement gênant comme beaucoup de médias le disent mais du stationnement payant non payé, ce qui est différent.
Le PV passerait ainsi de 17 euros à 35 euros, ce qui le doublerait, et même plus que triplerait en quelques
années, puisque, avant le 1er août 2011, l’amende était encore à 11 euros. Certains maires ne trouveraient d’ailleurs pas cela injuste, puisque l’amende de défaut de paiement à la RATP
est par exemple de 45 euros, encore supérieur aux 35 euros.
Cependant, il serait difficile de l’appliquer pour financer un projet purement francilien car soit le
gouvernement augmenterait l’amende uniquement pour les Franciliens et il y aurait discrimination anticonstitutionnelle, soit il l’augmenterait pour toutes les communes et les communes non
franciliennes participeraient injustement au financement d’un aménagement dont elles seraient étrangères.
Pour l’instant, comme pour les autres recherches de milliards pour d’autres raisons (réduction du déficit
public), le financement complet n’est pas vraiment assuré (aucun emprunt n’a encore été contracté etc.). Or, c’est le financement qui assurera la réalisation intégrale du projet. Le TGV Est a mis
au moins deux décennies à être réalisé en raison du manque de financement.
De là à imaginer des péages urbains pour les automobilistes franciliens, je suppose que ce type d’idée a déjà
germé dans certains cerveaux créatifs, et ce sera sans doute l’un des enjeux cruciaux des municipales de l’année prochaine en Île-de-France…
L’essentiel
Dans tous les cas, l’essentiel est que ce grand chantier soit relancé, sans heureusement avoir pris en compte
des considérations politiciennes. Même si les objectifs du calendrier ne sont pas tenus, la transformation des transports parisiens aura bien lieu et Paris pourra encore rester dans le clan de
grandes villes d’intérêt mondial, à l’égale de Londres, Tokyo, Moscou, New York, Berlin etc.
Il reste encore beaucoup de décisions à prendre, mais la vision du Grand Paris est clairement donnée, et
c’est pour cela que j’applaudis : bravo Monsieur Ayrault !
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (8 mars
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Jean-Marc Ayrault.
Rapport Auzannet du 13 décembre 2012 (à télécharger).
Zoom sur les cartes du projet du Grand Paris (à
télécharger).
Plan proposé par Christian Blanc le 22 janvier
2010.
Documents initiaux sur le Grand Paris à télécharger (7
novembre 2008).
Initiative du 6 novembre 2008.
http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/grand-paris-2030-la-confirmation-132050