Avant l'élection d'un successeur à Benoît XVI, certains vaticanistes évoquent des "résistances" contre la curie ou contre certains cardinaux. Une surprise de type ''progressiste'' est-elle possible?
Pape. «Dans le conclave, j’ai demandé à Dieu de m’éviter la guillotine de mon élection, mais il ne m’a pas écouté.» Quelques jours après son élection par le sacré collège, Benoît XVI prononça ces mots. Qui s’en souvient? A l’époque, personne n’avait voulu entendre ce sacrilège, digne d’un film de Nanni Moretti. Au fond, ce pape voulait-il être pape? Sept années après un pontificat que l’on dit encore, bien maladroitement, «de transition», l’interrogation ne mérite encore le détour qu’à la seule condition d’essayer de percer une dernière fois les mystères de l’homme derrière la soutane. Sans oublier que Joseph Ratzinger, théologien et chercheur, avait été coutumier du fait. Depuis Vatican II, dont il fut l’un des ardents défenseurs, jusqu’à sa conversion à un conservatisme théorique au début des années soixante-dix, jamais l’Allemand n’avait aspiré à quitter ses chères études. Ainsi, en 1977, lorsque Paul VI l’arracha à sa chaire de l’université de Ratisbonne pour l’imposer à la tête du diocèse de Munich, il n’avait accepté que contraint et forcé.
Plus incroyable, il refusa même une première fois l’honneur de devenir préfet de la Congrégation de la foi à laquelle Jean-Paul II le destinait – poste pour lequel bien des cardinaux renieraient père et mère. Ratzinger l’obtint en 1985. Le pape le lui avait imposé par décret.
Dogmes. Inutile de donner à lire, ici, l’illusion d’une quelconque empathie envers un pape qui n’aura rien épargné au monde, sinon ses engagements positifs en faveur de la paix, symbolisés par son souhait d’un «désarmement atomique complet». Benoît XVI ne fut qu’un intellectuel attaché aux dogmes, défendant des orientations ultraconservatrices à tous points de vue, théologiquement, politiquement et même humainement – quoique taboue, ne négligeons pas la forme. En remettant au goût du jour des célébrations très traditionnelles et des chasubles que les chrétiens eux-mêmes croyaient remisées dans les sacristies italiennes depuis bien longtemps, il a prôné, face aux bouleversements du monde dont il refusait les contradictions, un retour aux sources de la foi jusqu’à revisiter une liturgie traditionnaliste passant par la messe en latin, au nom de «la pureté du message des Evangiles». Certains, naïvement, s’attendaient donc à un pape de transition. Ils ne virent qu’une réponse du refoulé et une lecture à la lettre des dogmes les plus aberrants – comme s’il cherchait sa propre rédemption en châtiant l’Eglise d’avoir été lui-même un acteur de Vatican II, dont il a fini par trahir les préceptes les plus fondamentaux. N’étaient ses excuses publiques, au nom de l’Eglise, pour les prêtres pédophiles, que retiendrait-on, sinon sa condamnation brutale de la théologie de la libération et son ardeur à toute épreuve à réconcilier le Vatican avec les intégristes ? Sans parler de son incapacité à montrer la moindre évolution sur l'éthique, que ce soit la contraception, l'avortement, le préservatif, l'euthanasie, le mariage des prêtres et des personnes de même sexe, la prêtrise des femmes, et même, oui, même le droit aux sacrements envers les divorcés…
Résistances. Le théologien Ratzinger a écrasé l’évêque de Rome. Pour qui s’intéresse de près au Vatican, jamais, dans nos pires cauchemars, nous n’aurions imaginé que l’Eglise en serait encore là en 2013… «Il n’est pas arrivé à transformer la Curie, alors c’est lui qui s’en est allé», tentait de nous justifier le vaticaniste Massimo Franco. Et il ajoutait, avec une forme d’optimisme non feinte: «C’est le sacrifice extrême d’un pape intellectuel défait par un appareil autoréférentiel en proie à des luttes de clans et impossible à réformer ; la rébellion d’un souverain pontife face à une institution qui était un point de référence, un maître de vie, et qui est devenue une grande pécheresse. Le terme ‘’révolution’’ est trop laïque et trop restreint pour décrire sa décision.» Est-il en effet légitime de gouverner encore l’Eglise comme une monarchie absolue, à la manière du concile de Trente? Depuis plus d’une décennie, cardinaux et évêques ne gouvernement plus autour du pape. Quant à la collégialité, réduite à un rôle consultatif, elle n’existe plus. Or, qui détient aujourd’hui la vision vive de la chrétienté, prise elle aussi dans un mouvement multiforme? Beaucoup d'évêques et de prêtres, sur tous les continents, réclament des changements. Mais sont-ils plus nombreux qu’on ne l’imagine? Partant du prima que «la démission de Benoît XVI est le signe d’une secousse très profonde dans l’Église», un autre vaticaniste nous précisait l’autre jour: «Le pape a dû affronter des résistances bien plus fortes que ce qu’on imagine. Il n’a plus trouvé la force pour les combattre et porter le poids de son ministère.» De quelles résistances parle-t-il? Autrement dit, une surprise de type «progressiste» est-elle possible? La tonalité du conclave, donc le nom du nouvel élu, dépendront des réponses à ces deux questions essentielles.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 8 mars 2013.]