« La moutarde commence à monter au nez », récit d’une militante

Publié le 08 mars 2013 par Tchekfou @Vivien_hoch

Le 26 février 2013, le Conseil Économique et social, institution en principe indépendante, mais dans les faits de plein pied dans le maillage politique mis en place par le parti socialiste, rend sa décision à l’égard de la saisine. Il refuse les quelques 700 000 pétitions déposées pour défendre le droit des enfants. Récit d’une militante qui, comme tant d’autres, aimerait voir se profiler un printemps français

Le premier geste au réveil au matin du 26 février 2013 ? Ouvrir Twitter, puis Facebook, enfin bref n’importe quel outil permettant d’avoir des nouvelles de la pétition CESE. C’est vrai qu’après l’intervention de son président à la télévision quelques jours plus tôt, j’ai pris peur. Philippe Brillault sort de son rendez-vous de 15 minutes sans questions ni réponses, qui n’a donc d’audition que le nom, et annonce que le verdict tombera à midi. Pendant deux heures, je tourne en rond comme un lion en cage, en faisant des allers-retours entre mon bureau et l’ordinateur : vu l’évènement, je dois avouer que j’ai du mal à le concentrer sur la géopolitique du bassin Caraïbe.

A midi, rien ne filtre, les twittos s’agitent, certains voient dans ce  retard un bon signe, d’autres regardent ça d’un mauvais œil, des tweets contradictoires s’échangent, sans que personne ne sache vraiment le fin mot de l’histoire.  Jusqu’à 13h10. Le CESE tweete son rapport. On s’indigne, on s’insurge.  On retweete, on commente, on parodie, on s’énerve. Même pas besoin de cliquer sur le lien pour connaître la réponse. Pour plus de détails, j’ouvre quand même le communiqué, et là.. « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue / Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue » (Phèdre, Racine).

Le Conseil ne daigne pas recevoir la pétition, bien qu’il relève que cette pétition constitue « la première pétition citoyenne dépassant le seuil requis des 500 000 signatures ». Cela s’était fait en moins d’un mois, sans être relayé par les journaux, bref la mobilisation était historique et, il faut le dire, avait fait découvrir à des centaines de milliers de personnes l’existence d’une chambre dont personne n’avait jamais entendu parler. Il faut croire que c’était trop d’un coup, l’orgueil est monté à la tête du Conseil, qui joue à la princesse au petit pois et fait la moue. Moi personnellement, c’est la moutarde qui me monte au nez. Et je pense que je ne suis pas la seule. Le 2 février, j’ai fait signer la pétition pendant plus de 3h dans la capitale des Gaules, où je réside, au cours d’une manifestation dans laquelle on sent quand même plus d’animosité que les fois précédentes. « On doit se faire entendre », disent et redisent souvent les gens quand je traverse la foule compacte armée de mon stylo et de ma liasse de feuilles, remplies avec empressement.

Rebelote le week-end suivant, mais cette fois c’est dans les rues, sur les parvis, à la sortie des métros qu’on va chercher les sympathisants. Je fais ce jour-là la connaissance d’une famille, qui doit aujourd’hui être sacrément énervée : alors que je viens tracter une petite heure aux alentours de 18h, eux sont là depuis… 7h30. Et pourtant ce jour-là, la météo ne nous avait rien épargné : vent glacé et même un peu de neige. Toujours est-il qu’ils étaient là, sourire aux lèvres, pétition en main, et que le soir le butin s’élevait à plus de 350 feuilles signées. Eux doivent être déçus ce soir… Nous le sommes tous : nous qui avons fait signer ces pétitions, mais aussi les plus de 717 000 personnes qui ont espéré être entendues, ceux qui sont venus des DOM-TOM, avec plus de 26 kg de papier en bagage pour être sûrs que tout arrive, ceux qui se sont relayés tous les jours pour ouvrir, compter, trier…

Attendre le nombre de caisses de courrier du jour que ne manquait jamais d’annoncer le maire du Chesnay, c’était comme attendre de pouvoir ouvrir ses cadeaux le soir de Noël : avec un peu de fébrilité, pas mal de joie et surtout beaucoup d’espoir. Sauf qu’à Noël, on est rarement déçu. Alors qu’aujourd’hui, il y a des centaines de milliers de déçus, d’énervés. On ne demandait même pas un vote contre, on voulait juste se faire entendre, se faire reconnaitre, enfin bref vivre la démocratie dans son sens premier. On a été patients, « bien élevés, taiseux » comme le disait un article qui a circulé sur Internet, mais trop c’est trop. L’ignorance des faits n’en suscite pas moins les conséquences, vous pouvez donc être surs que nous serons là le 24 mars.