René Frégni devant les lycéens de Dautet par Sheumas1
Baudelaire, Rimbaud, Céline, Giono et les autres, il les a rencontrés dans le huis clos d’une cellule, sur le périmètre restreint d’une cour de prison, grâce à la complicité d’un prof de philo qui, comme lui, purgeait sa peine pour ne pas s’être présenté à la bonne date au service militaire... Ce prof de philo, lui aussi épave dans son genre, ne possédait rien, dans cet enclos de violence, que sa culture et ses grands auteurs. Dans ce milieu, il vaut mieux savoir se servir de ses poings que des mots et il vaut mieux boxer qu’écrire (cette dualité est d’ailleurs le thème du prochain roman de Frégni qui sortira en avril prochain)... Mais la rencontre avec René l’a sans doute lui aussi sauvé des tourments de l’univers carcéral, un peu comme ce prisonnier qui, au sein du camp de concentration d’Auschwitz, dans Si c’est un homme de Primo Lévi, oublie la corvée et récite lentement avec l’auteur, des passages entiers de la Divine Comédie de Dante. La littérature tient la barbarie en échec...
Après les longs discours qui refont le monde, après les mots encagés sous les miradors et les barbelés, il reste les paquets de livres naguère maudits et les pages noircies à l’écriture fine... Un nouveau défi pour un myope qui a pris l’habitude de cracher sur l’esprit et de se protéger loin de la lumière. Mais rien n’est jamais perdu, même pour le dernier des cloportes ! Le prof de philo est un petit Socrate, un péripatéticien qui arpente l’espace de la caverne et qui jette des piolets et des cordes à l’alpiniste en déroute ! Fouillez dans les stocks de la prison et vous y trouverez tous les accessoires de la grimpette, caleçons et vestes élimés, chaussures à clous, à talonnettes, crocs et grappins, vieilles lunettes munies, comme dans « le mauvais vitrier » de Baudelaire, « de verres de couleur, de verres roses, rouges, bleus, des verres magiques, de verres de paradis qui font voir la vie en beau! »