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La socialisation numérique de la télévision, vue par le CSA

Publié le 07 mars 2013 par Fmariet

CSA, Première approche de la "télévision sociale", 2013, 43 p. (2,33 Mo, PDF)
Le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel), organisme français de régulation de la radio-diffusion, publie une étude sur de nouvelles formes de consommation de la télévision, consommation socialisée grâce à des appareils numériques (smartphone, tablette, ordinateur). Cette socialisation, ces interactions  prennent place sur les réseaux sociaux et sur divers moyens d'expression publique des téléspectateurs.
La socialisation numérique de la télévision, vue par le CSA
Ce rapport constitue un travail rigoureux d'inventaire des modalités récentes de socialisation de la consommation de télévision (écosystème, cas, définition provisoire). La description historique des deux dernières années de télévision sociale est confrontée à l'évolution des agrégats télévisuels courants.
La difficulté majeure que rencontre cette approche tient d'abord aux changements technologiques constants que connaît le milieu économique de la télévision socialisée (socialisante ?), changement des équipements et des outils de mesure ; la difficulté tient aussi au flou des notions que mobilise cet univers. Tant de mots / notions sont utilisés de manière magique, sans que l'on puisse les définir de manière opérationelle ("engagé", "social", "audience sociale", "interactivité", etc. ) ; d'ailleurs, prudents et circonspects, les auteurs de cette approche ont souvent pris la peine de mettre des guillemets à tous ces mots pour signaler aux lecteurs qu'ils ne sont pas dupes des incantations familières du milieu qu'ils analysent. Saine rupture de style !
De plus, beaucoup de données évoquées par les acteurs de la télévision sociale sont issues de méthodologies mystérieuses et avantageuses : les auteurs le soulignent (cf. p. 22 : "la bataille des chiffres","Les difficultés de la caractérisation socio-démographique des audiences sociales", "les données d'audience sociale ne sont pas extrapolables à l'ensemble de la population française comme le sont les données d'audience traditionnelle de la télévision"). Tout ceci, rappelé non sans fermeté par les auteurs, indique à quel point "on" ignore encore l'économie de ce marché, ou, autrement dit, à quel point ce marché organise et "bétonne" son opacité tout en imposant sa rhétorique et son auto-célébration.
Les pages sur les modèles économiques de la télévision "sociale" mettent en évidence, à leur tour, combien il reste difficile d'y voir clair. Pour la télévision, les coûts sont certains, les bénéfices ne le sont pas. Si l'on ne perçoit pas clairement et distinctement ce que la télévision sociale apporte à la télévision, on perçoit bien ce que la télévision apporte aux réseaux sociaux : trafic, légitimité, contenus (l'objet même de la discussion), continuité, etc. Difficile de ne pas craindre que la télévision, aveuglée, réduite malgré elle à un rôle ancillaire, ne contribue à la formation d'une richesse dont elle ne profite guère et qui, bientôt, pourrait se retourner contre elle (cf. Facebook's Great Advertising Expectations as TV's Risk Factors") ; l'exemple de la presse invite à y réfléchir (cf. "menaces ", p. 29).
Ajoutons trois points à discuter au diagnostic prononcé par le rapport.
  • La presse est le premier degré de socialisation de la télévision. Historiquement et statistiquement. On a oublié la place et le rôle de la presse de télévision (une quinzaine de magazines, sans oublier les rubriques TV dans des centaines de titres). Même si son lectorat "papier" baisse, cette presse compte des millions de lecteurs réguliers, avec de nombreuses reprises en main ; de plus, elle fournit d'importantes occasions de lire, de choisir, de critiquer les émissions avec ses outils numériques (applis, sites). 
  • Qui est propriétaire des données recueillies par les réseaux sociaux grâce à la télévision ? Qui enrichit ses bases de données riches, nombreuses et précieuses ? Les groupes de télévision ? Certainement pas. Peut-être faut-il intégrer dans les analyses et discussions de la télévision socialisée les pistes de réflexion du "Rapport sur la fiscalité de l'économie numérique" de Pierre Collin et Nicolas Colin (cf. le point 2 qui recommande de "lier la fiscalité à la collecte et à l'exploitation des données"). Peut-être faut-il aussi à ce propos évoquer les conséquences à terme du déséquilibre scientifique et technologique entre les réseaux sociaux américains et les équipes travaillant sur ces sujets dans les groupes de télévision française : l'initiative technologique est concentrée entre les mains de quelques grandes entreprises de réseaux sociaux n'ayant en France que des équipes commerciales.
  • Une ethnographie de la télévision sociale (multiscreentasking, etc.) compléterait avantageusement les descriptions de l'écosystème. On comprendrait et verrait mieux ce que signifient l'engagement, l'interactivité, le partage, etc.
On ne peut que saluer la volonté d'observation de ce secteur que manifeste le CSA au travers de cette première approche : travail indispensable dont il faut souhaiter qu'il soit poursuivi et approfondi. Il permet d'envisager l'économie de la télévision sous un plus grand angle, de la désenclaver. Lecture indispensable, polémique, bien sûr.

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