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Alpha Blondy © R.Deluze & S.Derradji
Comment chanter la société quand le tissu social s’est déchiré ? Après plus d’une décennie de crise ivoirienne, Alpha Blondy veut donner de l'espoir et avec Mystic power, son dernier album, incite à "recycler" la peine, les traumatismes et les examens de conscience, en chansons. Recyclage Dans Mystic Power, Alpha Blondy aborde ses sujets de prédilection : la Françafrique ou la religion. Il a brandi une Torah sur l’album Jérusalem, chanté Jésus, Jah et Mahomet. Sa profession de foi œcuménique se fait ici en arabe et en français. Dans Crime Spirituel, composé peu de temps après l’attentat du 11 septembre 2001, Alpha Blondy chante "Faut pas mêler Allah à vos actes criminels, (…) Mahomet n’est pas un prophète terroriste". D’une brûlante actualité, notamment au nord du Mali, le thème est cher à Alpha Blondy, croyant convaincu, pour qui la foi est une source d’inspiration continue. Dans l’album Vision, sorti en avril 2011, juste après les violences post-électorales et la victoire d’Alassane Ouattara, Alpha Blondy n’abordait pas clairement la crise ivoirienne. Deux ans plus tard, voilà venu le temps du "recyclage". Dans plusieurs morceaux (Ivoirité Danger, Pardon ou Réconciliation avec Tiken Jah Fakoly), Alpha Blondy tente de remettre à zéro les compteurs de onze ans de crise nationale et d’un engagement personnel paradoxal et controversé. De 2005 à 2011, le reggaeman ivoirien a en effet endossé le rôle d’ambassadeur de la paix de l’ONU. Il a ouvertement soutenu Laurent Gbagbo lors des élections de 2010 mais a tout de même reconnu clairement la défaite de l'ancien président. Trauma-choqué Seydou, quatrième morceau de Mystic Power ramène Alpha à l’énergie des débuts. Pour ce fringant sexagénaire, saupoudrer de rock son reggae fait l’effet d’une cure de jouvence. Le temps, au coin des yeux a creusé seulement deux profondes rides. Sans ciller, Alpha Blondy traduit le morceau, chanté en dioula : "Seydou, où vas tu avec ce long fusil ? Tu marches seul, tu parles seul, tu ris et tu pleures. Accroche-toi à ta foi, pardonne". "J’essaie de calmer un traumatisé par la guerre, un trauma-choqué comme on dit chez nous. Parfois, on a programmé les gens pour aller à la guerre mais souvent, on oublie de les déprogrammer" explique-t-il.
Pour son dix-neuvième album, Alpha Blondy a choisi de faire (presque) profil bas. Enregistré entre Paris et Abidjan, Mystic power s’ouvre sur Hope, une déclaration d’amour énergisante (à son public ?), avec en featuring le Jamaïcain Beenie Man. Il se termine par un mea culpa, Pardon, une balade où Alpha Blondy s’excuse d’avoir pu offenser les siens pendant la crise ivoirienne.
Entre les deux, on trouve des reprises - I Shot the Sheriff de Bob Marley ou Le Métèque de Georges Moustaki, des pamphlets ou des professions de foi, mais surtout six morceaux autour de la crise ivoirienne, comme s’il fallait à tout prix, clore le chapitre de cet interminable cauchemar national.
Dans My american dream, il raconte comment son expérience outre-Atlantique - quatre ans de petits boulots et d’espoirs déçus, ont viré au cauchemar. "Le recyclage dans la vie peut être très positif. Au lieu de pleurnicher, fais une chanson avec ta peine. Les gens vont fumer leurs joints ou boire leur champagne, ils vont planer en écoutant ta chanson. Mon rôle est de donner de l’espoir" explique Alpha Blondy.
La Bataille d’Abidjan prend un tour reggae-électro halluciné. "Tous les artistes ont parlé, tous les chanteurs ont chanté, les médiateurs ont médiaté", scande-t-il et pourtant, c’est arrivé. Fréquemment qualifié de "girouette" par les Ivoiriens, à prôner la paix tout en soutenant un président va-t-en guerre, Alpha Blondy n’échappe pas à la remise en question."Dans ce contexte, certaines prises de positions sont dangereuses, parce que tout le monde veut s’approprier Alpha Blondy. Ceux qui sont de l’autre côté pensent que tu les as trahi. Il faut être de toutes les religions, être de tous les partis. (…) Mon public m’a habillé selon son rêve, je voudrais rester dans ce costume de lumière". En somme, mieux vaut s’écarter de la scène politique, surtout quand le terrain est miné. "C’est ce que je dis dans ma chanson Pardon : mea culpa. J’ai pris la décision de prendre de la hauteur, et voilà pourquoi j’ai décidé de jouer mon rôle de grand frère, de rassembleur" insiste l'artiste.
Page facebook d'Alpha BlondyPar Eglantine Chabasseur