Il est des sujets sensibles qu’on ne peut aborder que si l’on a la carte du
parti bien estampillée par le chef. L’appropriation de la mort de Chavez par tout un courant politique ultraminoritaire en France est assez étonnant et montre que le monde a besoin d’idoles et
qu’il a les idoles qu’il peut. Ou une autre définition du fanatisme...
Là, c’est Jean-Luc
Mélenchon, tout seul avec son petit pécule d’électorat gagné avec mérite à la grande loterie de 2012, qui refait vivre cet anachronique clivage : soit on serait chavezolâtre, soit on
cracherait sur un mort. Entre les deux, pour cette pensée manichéenne, c’est impossible ! Une sorte de sarkozysme rouge : si on n’est pas avec, on est alors tout contre (cela me fait
penser à une publicité sur les antibiotiques).
C’est presque de l’infantilisme, mais quand on entend le même leader charismatique, qui a été rémunéré
pendant toute sa vie, de 1986 à 2009, grâce aux nombreux mandats locaux que son ancien parti lui avait octroyés dans l’Essonne, s’en prendre aux « commentateurs haineux », l’évidence me porte à penser que "c’est celui qui le dit qui l’est".
Car franchement, où se trouve l’humanisme si joliment déployé en banderoles électorales (au lieu de le
clamer, ne vaut-il pas mieux le vivre ?) avec tant de haine et tant d’insultes contre ceux qui ne pensent pas comme lui ? Où se trouve le grand démocrate quand on n’est même pas capable
de respecter ceux qui pensent différemment ? J’ose à peine l’imaginer à la tête de l’État, lui, qui a montré sa grande sympathie envers les journalistes, lui qui tolère autant les opinions
divergentes, lui qui respecte tant la parole de ses opposants, lui qui a un don si irremplaçable pour la concorde nationale. Va-t-il donc vider de son sens ce beau mot d'humanisme comme ils ont
vidé de son sens l'expression "république démocratique" ?
Je ne veux même pas parler du fond, à savoir de l’état réel de l’économie du Venezuela, ni du hasard heureux
que le pays soit riche en ressources pétrolières (une injustice heureuse mais pas moins grande que la naissance d’un enfant dans une famille riche), ni du fait non plus que tout grand saint
nationaliste fût-il, le grand commandant avait préféré quand même ne pas se faire soigner dans son propre pays…
D’ailleurs, faudrait-il aussi relever l’accusation à peine voilée des autorités vénézuéliennes qui ont
désigné les États-Unis comme les possibles responsables du cancer de leur bienfaiteur ? Hélas, cette maladie survient à tout moment sur toutes personnes et il est même à craindre que le
mode de vie actuel qui fait que les lasagnes sont désormais chevalines et les saumons goinfrés aux
farines animales n’améliorerait pas la santé des consommateurs de la planète. Et puis, on a déjà accusé les États-Unis d’avoir commis des assassinats. Là, mettre en œuvre cette folle machination
pour durer près de deux ans, ce n’aurait pas été vraiment efficace.
Ce type de pratique serait d’ailleurs plus courante du côté du principal allié de Chavez, à savoir la
Russie de Poutine, notamment avec des empoissonnements au polonium 210 qui auraient fait au moins une victime, un ancien espion russe (Alexandre
Livitchenko, ex-lieutenant-colonel de l’ex-KGB, mort le 23 novembre 2006 à Londres après avoir prétendu posséder des preuves sur la responsabilité de Vladimir Poutine dans l’assassinat de la
journaliste Anna Politkovskaïa, le 7 octobre 2006 à Moscou ; elle enquêtait sur la guerre en Tchétchénie), et peut-être un ancien Premier Ministre russe, Egor Gaïdar (le 24 novembre 2006 à
Dublin, il perdit conscience et fut hospitalisé d’urgence ; une semaine après, on annonça qu’il était victime d’une grave maladie inexpliquée, et il mourut le 16 décembre 2009).
Bref, tous les arguments sont bons pour, d’une part, glorifier, maintenant béatifier Chavez (en pleine vacance papale, il faut le faire), et d’autre part, en rajouter sur l’antiaméricanisme primaire. Si les
États-Unis contrôlaient tout ce qu’il se passait au monde, cela se saurait ; on a plutôt affaire à un
monde complètement désorganisé, et à des dirigeants politiques qui sont incapables d’avoir une vision à moyen terme du devenir de l’humanité.
Je ne sais pas si les Vénézuéliens ont le culte de la personnalité avec Chavez, mais ce que je peux dire,
c’est qu’il y en a en France qui le prennent pour un véritable gourou et qui présentent des comportements qu’on pourrait assimiler à des attitudes sectaires.
L’une des illustrations, ce sont les réactions à mon article
précédent sur Agoravox.
J’évacue les insultes plus ou moins personnelles, les attaques ad hominem, les tirades qui présupposent des
tissus de projections complètement fantaisistes, les vulgarités, les lectures trop rapides (Chavez a bien été élu quatre fois à l’élection présidentielle : les 6 décembre 1998, 30 juillet
2000, 3 décembre 2006 et 7 octobre 2012) et aussi, les commentaires de ceux qui se permettent de critiquer sans l’avoir lu (ils devraient breveter leur méthode, cela ferait avancer l’économie de la science infuse).
Je mets au défi de trouver dans mon texte un seul mot de haine contre Hugo Chavez. Au contraire, j’y parle
même de l’émotion ressentie par beaucoup à l’annonce de sa disparition.
J’avais certes imaginé la possibilité de ce comportement de pensée purement unique ("Chavez est grand, Chavez est divin, Chavez doit être adulé par tous, amen") dans un pays
(le mien) qui jouit d’une totale liberté d’expression, de presse (c’est une joie), et d’une démocratie qui, si elle doit toujours être améliorée, est l’une des rares où un scrutin n’est jamais contesté depuis plus d’une centaine d’années (et qui a connu huit alternances politiques majeures dans
les trente-deux dernières années).
Ces procès staliniens ne traduisent heureusement pas la réalité factuelle de mon article qui, au contraire,
se refusait de faire un bilan, positif ou négatif, du chavisme en expliquant justement qu’il faudrait du temps et du recul pour avoir une vision objective. J’écrivais même que « comme la réalité n’est jamais toute blanche ni toute noire, chacun y trouvera sans doute son compte ». Mais le simple fait de ne pas m’être
prosterné a fait de moi un vilain chavezophobe. Désolé de ne pas être d’accord. C’est encore un droit aujourd’hui en France et j’en profite pleinement.
Comme beaucoup n’ont pas lu l’article et se sont pourtant permis de ne pas comprendre les illustrations
représentant Chavez avec Poutine, j’explique donc que mes propos portaient en particulier sur la difficile qualification de ce qu’est une démocratie, qu’au Venezuela comme en Russie, il y avait
effectivement des élections, avec une multiplicité de candidatures, mais que cela ne donnait aucune indication ni garantie sur la sincérité de ces scrutins, sur la réalité du pluralisme
politique, sur les tentatives d’achat de votes ou d’intimidation contre les oppositions, de répression dans les médias, sur Internet ou dans la rue.
La peine certainement réelle (pourquoi en douterais-je ?) de nombreux Vénézuéliens ne m’empêchera pas de
rappeler que de nombreux Soviétiques, eux aussi, sans doute tout aussi sincèrement, pleuraient la mort de Staline. C’était il y a soixante sans.
Plus récemment, le peuple nord-coréen pleurait la mort de leur chef suprême, Kim Jong-il, le 17 décembre 2011. Ces larmes avaient même fait l’objet de quelques interrogations dans plusieurs
médias.
Mais la réalité, c’est que dès qu’on touche à une particule de leur suprême héros, ces "humanistes",
incapables de faire moralement la différence entre un Nelson Mandela et un Che Guevara, deviennent fous de
rage dès qu’on émet une opinion différente de la leur. Pourtant, ils devraient se méfier, l’insulte en dit plus long sur son auteur que sur sa cible. L’heure du recueillement pour les uns
n’est pas incompatible avec l’heure des comptes pour les autres. Et en quatorze ans de pouvoir autoritaire, il y a de quoi en faire quelques-uns.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (7 mars
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Chavez, Président à vie.
Staline est-il vraiment mort ?
Poutine.
Che Guevara.
Le complot ou le chaos ?
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/crime-de-lese-chavez-131925