Robert Smithson, Spiral Jetty, jetée de pierres et gravier dans la Grand Lac Salé du Utah, aux Etats-Unis
Nous le savons bien, les artistes aiment bien expérimenter avec les matériaux et, depuis le début du XXème siècle, élargissent de plus en plus la palette de leurs moyens d'expression, avec le but de surprendre, provoquer et de bouleverser la tradition de l'art.
Les années 1960 et 1970 furent une période de renouveau et subversion de l'art (et en général de la culture): c'est à ce moment que plusieurs “courants” de l'art d'aujourd'hui ou certaines tendances toujours actuelles remontent.
Le Land Art en fait justement partie, cet art qui montre une nouvelle façon de se relationner à la nature. Vous devez savoir que jusque dans les années 1960 la nature était bien sûr une source d'inspiration pour les artistes, qu'ils se limitaient toutefois à représenter dans des tableaux selon des critères bien précis établis par la tradition académique.
Walter De Maria, Lightning field, installation dans le désert du Nevada
Les artistes américains furent les premiers à concevoir des œuvres qui avaient leur place dans la nature et qui étaient réalisées (la plupart des fois) avec des matériaux naturels: ils partirent au milieux des déserts américains ou dans les étendues de leur pays et créerent des installations (non plus des sculptures, mais des “objets” qui trouvaient leur sens dans le contexte dans lequel ils se trouvaient). Robert Smithson créa l'énorme spirale de pierres et gravier au milieu du Grand Lac Salé dans le Utah que vous pouvez voir dans la première photo, Walter de Maria planta 400 poteaux sur une surface de 1 mile x 1 kilomètre au milieu du désert du Nouveau Mexique (les poteaux attirent les éclairs en période d'orages et le spectacle est vraiment impressionant), Michael Heizer déplaça 240.000 tonnes de roches dans le désert du Nevada en créant une sculpture “negative” (c'est-à-dire une double entaille dans la roche).
Vous n'avez pas un peu l'impression que ces artistes se moquent de nous, les visiteurs? Pourquoi? D'abord ces installations ne sont pas très facilement visibles. Pour se rendre au milieu du désert, ou pour les voir en entier, on a souvent besoin de se déplacer, de monter sur un avion, bref, ce n'est pas à la portée de tous. Et puis, si on pense que la spirale de Robert Smithson a été engloutie dans les eaux du lac et qu'aujourd'hui elle est que partiellement visible, on se pose la question de leur durée de vie. Ces sculptures ne sont pas faites pour durer longtemps, et ça, c'est exactement ce que ces artistes voulaient: s'opposer à l'art que l'on voit dans les galeries, qu'on peut tranquillement acheter, installer dans notre salle à manger, montrer à nos amis ou conserver dans un musée avec un cartel et parfois une vitrine... Les œuvres du Land Art ne peuvent pas se vendre! À la limite, on peut penser d'exposer et vendre des maquettes faits par les artistes ou encore des photos ou des vidéos de documentation (et d'ailleurs c'est ce que les galeristes font).
Richard Long, A line made by walking, 1968
En Europe aussi, dans les années 1970, il y a des artistes qui travaillent avec et dans la nature. Mais vous pouvez imaginer que, compte tenu de l'énorme différence entre les paysages en Europe et ceux des Etats-Unis, leurs œuvres diffèrent considérablement de celles de leurs collègues américains.
Un des plus célèbres “land-artistes” européens s'appelle Richard Long et est né en Angleterre. A line made by walking est son œuvre la plus connue et il s'agit exactement de ce qu'elle dit dans le titre: une ligne laissée dans l'herbe par les allées-retours repétées de l'artiste. Un peu comme quand on fait un pique-nique et, quand on part, on s'aperçoit d'avoir écrasé l'herbe en laissant notre trace. Richard Long est connu aussi pour ses installations dans des musées ou galeries, souvent dans des formes simples comme des spirales ou des cercles en pierres ou tracées avec la boue sur les murs ou les sols des lieux d'exposition.
Richard Long, Wood circle, installation en bois au Van Abbemuseum de Eindhoven (2004)
La différence fondamentale réside dans le fait que cet artiste, comme d'autres collègues européens, fait son “retour” dans les musées et les galeries. Ses pièces peuvent etre exposées, vendues, achetées... Et puis, ses interventions dans la nature restent toujours très délicates, discrètes, encore plus éphémères que celles des américains. L'herbe, une fois pietinée, se relève. Par contre, pour faire disparaître une jetée de 460 mètres de long au milieu d'un lac il faut une grande crue.
Souvent, Richard Long lie son activité de marche dans la nature à la refléxion et à la méditation et cela n'est pas que sa spécificité, car on retrouve cette attitude dans d'autres artistes, par exemple dans Nils Udo (qui crée des sculptures dans la nature avec des matériaux comme des feuilles, du bois et les photographie) ou Andy Goldsworthy (dont les sculptures éphémères sont composées d'éléments cueillis au hasard dans la nature) ou encore Giuseppe Penone (artiste italien faisant partie d'un courant qu'on nomme “Arte Povera” et qui travaille souvent avec et sur les arbres).
Andy Goldsworthy, Wood line, installation de branches d'eucalyptus dans la foret de Presidio, San Francisco
De plus, les contextes dans lesquels ces artistes travaillent sont très différents: pas de paysages spectaculaires, surdimensionnés, où les forces de la nature peuvent être très violentes ou les conditions très dures, souvent c'est des espaces ruraux, où la nature se fait beaucoup plus timide et où, pour les découvrir, il faut s'approcher en douce.
Aujourd'hui encore des artistes travaillent dans la nature et avec la nature, le Land Art n'est pas mort. Et comme les grandes problèmes de l'écologie et du développement durable sont très présents, souvent ces artistes s'en servent pour attirer l'attention du public sur ces thématiques. Parfois cette attitude est devenue un peu trop courante, malgré le travail de certains artistes très intéressants, très souvent on a l'impression que le Land Art actuel est plutôt un effet de mode.
(Stefania)