Livre Noir de la Poste.
Économie et société : Au mois de février, deux salariés de la Poste se sont suicidés. Selon vous à quoi est due cette série d’évènements ?
Thomas Barba : En premier lieu, il ne faut pas perdre de vue qu’au départ l’objectif de M. Bailly et du pouvoir politique qui l’a nommé, c’était de privatiser La Poste. Sans aucun doute, là était sa feuille de route. Il fallait donc mettre en place des organisations et des structures qui soient les plus productives et juteuses possibles, afin de permettre aux futurs actionnaires d’accumuler des profits conséquents. Cet objectif a été momentanément contrecarré par l’opposition farouche des postiers et de leurs organisations professionnelles. Il n’empêche que la feuille de route est restée la même, de mon point de vue, le projet de privatisation est toujours dans les cartons. ..
Pour être prêts le moment venu, certains diront pour se « moderniser », les décideurs de La Poste ont donc mis en œuvre une gestion des ressources humaines particulièrement agressive entraînant une dégradation vertigineuse des conditions de travail. Tout a été mis en œuvre pour que la seule variable d’ajustement soit la réduction drastique du nombre de salariés. Les profits et les bénéfices ont suivi mais jamais l’actionnaire principal – l’Etat- ni le donneur d’ordre, - le politique- ne se sont posé les questions suivantes : comment fait-on de tels bénéfices et quel impact pour l’intérêt général ?
Économie et société : Quelles sont les méthodes utilisées au sein de la société ?
T. B : France Télécom a toujours été le laboratoire de La Poste. Les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, La Poste est devenue une France Télécom bis. Les beaux discours humanistes des communicants, les rapports et les éléments de langage, ne sont que de la poudre aux yeux. La vérité est que si vous demandez à vos managers de faire toujours plus avec moins, si vous maintenez la pratique de la fixation annuelle des objectifs toujours inflationniste, vous ne pouvez échapper à la mise en place mécaniquement d’un « harcèlement institutionnalisé » de vos personnels. Cela engendre, comme l’ont relevé les médecins du travail à La Poste la « création d’inaptes physiques et psychologiques » qu’il faudra s’empresser d’éliminer pour que le système perdure.
Économie et société : Comment est entretenue la précarité des salariés ?
T. B : De par la loi, La Poste a obligation pour faire face à ses missions de service public d’avoir un volant de remplacement pour pallier aux absences (congés – maladie –etc..) composé de postiers titulaires bien formés et performants. Le maintien de ce personnel bien formé et garant de la qualité de service à un coût. Afin d’atteindre son objectif de rentabilité à court terme, les décideurs de La Poste ont opté pour réduire ce volant de remplacement à une peau de chagrin et à le remplacer, par du personnel précaire en CDD ou intérim bien moins coûteux. Bien entendu, la qualité de service et l’absentéisme se sont considérablement aggravés.
"La qualité de service et l’absentéisme se sont considérablement aggravés"
Économie et société : Pensez vous que La Poste soit un cas isolé ?
T. B : Tous les groupes multinationaux (La Poste a 250 filiales dans le monde) agissent ainsi. Tant que l’illégalité rapporte plus que la légalité, ils adoptent cette situation en transgressant la loi. Une fois l’illégalité sanctionnée par la justice et moins porteuse de profits, ils reviennent à des pratiques plus légales. Ce cycle de la « gestion par le risque » est certes plus long à La Poste qui est protégée dans sa phase de transgression par son seul actionnaire l’Etat.
Économie et société : Comment améliorer la situation ?
T. B : Comment imaginer que le PDG de La Poste, nommé par le gouvernement puisse mettre en œuvre une stratégie économique et sociale différente de la feuille de route élaborée par le pouvoir politique ? La question apporte la réponse qui ne peut-être donc que politique. J’ajoute que ce qui est certain c’est qu’il faudra intégrer à terme, dans chaque nouvelle organisation du travail, la dose d’humanité nécessaire pour la rendre rentable et pérenne.