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" De l'indifférence au sens du partage : un parcours complexe ", écrit par Elisabeth Berthou.
Selon une série d'expériences menées en Suisse sur des enfants de 3 à 8 ans, l'égoïsme prévaut jusqu'à 4 ans, puis vient le sens de l'équité vers 7-8 ans, âge où l'envie de se montrer généreux ne concerne que 45% des enfants.
Le souci de l'autre est donc loin d'être inné.
Encore une histoire de reconnaissance ??!!
Découvrez le détail de cette expérience...
D'où naît la capacité de penser au bien-être de l'autre, et pas seulement au sien propre – qualité qui représente l'un des principaux ciments de la vie sociale ? s'interroge le journal helvète Le Temps.
En reprenant les conclusions d'une étude* tout juste parue dans la revue britannique Nature, le quotidien s'intéresse à la façon dont les enfants, selon leur âge, se comportent devant le dilemme que bien des adultes ont des difficultés à résoudre :
rester centré sur soi ou s'intéresser au sort de l'autre.
Un choix sous-tendu par la question : Qu'est-ce cela peut m'apporter ?
"Ils ont chaque fois mis quelques bonbons à disposition de leurs interlocuteurs, puis ils ont placé ces derniers devant des choix simples : prendre ou ne pas prendre, laisser ou ne pas laisser une friandise à un camarade."
Étant entendu que le camarade était absent, pour que le sujet (l'enfant observé) exprime son souci de l'autre à l'état pur, et qu'il ne se détermine pas en espérant quelque récompense en retour.
La première expérience, dite "prosociale", a demandé aux enfants de choisir entre "recevoir seul un bonbon" (traduit par 1-0) ou "en recevoir un et permettre à un camarade d'en avoir un aussi" (1-1).
"Elle a été menée pour capter la présence éventuelle d'une forme élémentaire de sociabilité, le sujet ayant la possibilité de donner quelque chose sans que cela ne lui coûte rien", note le quotidien.
La deuxième expérience, dite "de l'envie", a proposé aux enfants de "recevoir un bonbon et d'en donner un à un camarade" (1-1) ou d'en "recevoir un et d'en donner deux" (1-2).
Ainsi, à l'instar du premier protocole, le sujet pouvait offrir sans rien perdre.
Mais cela signifiait cette fois qu'il acceptait une inégalité de traitement en sa défaveur.
La troisième expérience, dite "du partage", a consisté à distribuer deux bonbons aux enfants, puis à leur demander très classiquement s'ils voulaient les garder tous pour eux (2-0) ou s'ils préféraient faire moitié-moitié (1-1) avec un camarade.
Les résultats de l'étude indiquent que les enfants de 3 à 4 ans se sont montrés très peu sensibles à autrui.
Dans le test "prosocial" comme dans le test "de l'envie", ils ont été pratiquement aussi nombreux à choisir l'une et l'autre des deux options proposées.
"Comme s'ils avaient tiré, sans opinion et sans préférence, leur réponse à pile ou face.
Dans la troisième expérience, ils se sont en revanche clairement prononcés, toujours dans le même sens : seuls 8,7 % d'entre eux ont choisi de partager."
Mais ils ont été sensiblement plus nombreux (22 %) à accepter le partage dans le troisième test ("du partage").
En revanche, dans la catégorie d'âge supérieure, les 7-8 ans, 45 % des filles et des garçons ont accepté de partager leur gain.
D'après Nature, cette attitude serait liée au début de l'autonomie de l'individu.
"Nul doute que leurs premiers pas hors du cocon familial ont été pour quelque chose dans cette soudaine attention aux autres et cette subite prise en compte de règles à respecter, écrit Le Temps. Mais il reste à identifier le moteur de leurs décisions.
La générosité ? ...Pas vraiment…"
Car, dans les deux autres tests, ces mêmes enfants se prononcent à une écrasante majorité de 78 % et 80 % en faveur de l'option de l'égalité de traitement (1-1).
Soit contre la préférence de "recevoir seul un bonbon" (1-0) qu'ils auraient pu s'octroyer dans la première expérience, mais aussi contre la préférence de "recevoir un et donner deux" (1-2) qu'ils auraient pu s'accorder dans la seconde.
Alors, que penser des résultats obtenus par le Pr Ernst Fehr ?
Ils signifient, répond celui-ci dans Nature, que l'être humain, enfant, "traverse d'abord une période d'indifférence.
Et qu'ensuite, lorsqu'il se met à s'intéresser au sort d'autrui, c'est essentiellement pour le comparer au sien.
Ce qu'il veut, ce n'est pas le meilleur pour ses pairs, c'est l'égalité entre eux et lui."
Nos ‘cousins' se focalisent uniquement sur la nourriture qu'ils peuvent acquérir et montrent une parfaite indifférence à celle dont disposent leurs congénères.
Alors, serait-il là, le propre de l'homme ? Dans la prise en compte, pour le meilleur ou pour le pire, du sort d'autrui ?" se demande le quotidien de Lausanne.
Dans les années 1950, déjà, le psychologue américain Abraham Maslow (devenu célèbre grâce à sa pyramide des besoins et père fondateur du développement personnel) estimait que l'être humain ayant compris toute l'importance de se tourner vers les autres avait atteint le stade ultime de son développement.
Il écrira ainsi : "La meilleure manière de devenir un meilleur serviteur des autres est de devenir une meilleure personne. Mais, pour devenir une meilleure personne, il est nécessaire de servir les autres.
Il est donc possible, obligatoire même, de faire les deux simultanément." **
Elisabeth Berthou du Courrier International
*Egalitarianism in Young Children de Ernst Fehr, Helen Bernhard et Bettina Rockenbach, Nature, vol. 454, 28 août 2008. ** Motivation and Personality ; Devenir le meilleur de soi-même : Besoins fondamentaux, motivation et personnalité (éd. Eyrolles).
Allez, au plaisir de vous lire...