Laure était en plein désarroi..
Elle devait mettre fin à une histoire qui venait à peine de commencer..
C'est dommage, ça partait plutôt bien.
La première fois, au speed-dating, il lui avait fait bonne impression. Plus qu'une impression même. Comme toute jeune fille que sa maman aura mis en garde, elle s'était méfiée, les 30 premières secondes.. Puis elle est tombée sous le charme.
Certes, il n'était ni beau ni laid, ni grand ni petit. Il portait une carapace « rétro vintage » (ses copines auraient dit : « dandy au RSA ») derrière laquelle se dissimulait (à grand peine) une timidité tout à fait charmante (les mêmes copines auraient dit « puceau »). D'un physique assez frêle, il inspirait pourtant une irrésistible envie de se blottir contre lui. Car sa force résidait dans ses mots. C'est ce qui l'avait faite chavirer. Sa voix, comme un opéra du siècle dernier, l'avait envoûtée, elle en vibrait encore (ou alors c'est un SMS qui venait d'arriver).
Il était si galant (« faux-cul » ? dixit les mêmes copines) , elle se promenait fièrement à son bras, s'imaginant une autre époque, d'autres lieux, il parlait, parlait, elle écoutait, écoutait encore.. C'était un poète (« pouet-pouet la galette ouais»).
Elle lui présenta ses amies, il avait rougi (« oh il tire encore sur la bobinette, le p'tit chaperon ? »), elle lui présenta ses amis, il avait blanchi (« possessif, on te dit ! ).
Laure était du genre tactile (mais pas tablette) et généreusement formée. Mélange, qui, plus d'une fois auparavant, lui valut le prix de la mauvaise interprétation. Et Laure, qui dernièrement vouait une tendresse publique exclusive à son galant, retrouva sans arrière-pensée sa sociable gestuelle. Le dandy pensa (« ça pense, un mec ? », demandent les copines pseudo-réalistes) qu'au final sa mère avait raison (« toutes des gourgandines ! »), se leva, prit son veston, et partit, sans payer l'addition (« c'est pas la première fois, tu sais ! »). Laure, cherchant un sens à tout cela, n'en trouva pas, et se sentit perdue (« besoin d'un GPS, chérie ? » les bonnes âmes ne manquent pas, dans ces cas-là). Quelques jours sans nouvelles plus tard (« laisse tomber il en vaut pas la peine »), la concierge, inquiète (et surtout contrariée de voir la boîte aux lettres pleine à craquer) lui apporta son courrier.
Laure, minée (ce n'était pas lui..), referma la porte traîna sa mauvaise mine jusqu'au canapé, laissa tomber le paquet de publicités (mensongères, il va sans dire) duquel s'échappa, une enveloppe blanche, sur laquelle grondait une adresse manuscrite. Intriguée autant qu'elle pouvait l'être, elle l'ouvrit, et lut :
Si tu ne m'aimais pas, dis-moi, fille insensée,
Que balbutiais-tu dans ces fatales nuits ?
Exerçais-tu ta langue à railler ta pensée ?
Que voulaient donc ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots et ces cris ?
Ah ! si le plaisir seul t'arrachait ces tendresses,
Si ce n'était que lui qu'en ce triste moment
Sur mes lèvres en feu tu couvrais de caresses
Comme un unique amant ;
Si l'esprit et les sens, les baisers et les larmes,
Se tiennent par la main de ta bouche à ton coeur,
Et s'il te faut ainsi, pour y trouver des charmes,
Sur l'autel du plaisir profaner le bonheur :
Ah ! Laurette ! ah ! Laurette, idole de ma vie,
Si le sombre démon de tes nuits d'insomnie
Sans ce masque de feu ne saurait faire un pas,
Pourquoi l'évoquais-tu, si tu ne m'aimais pas ?
Son dandy la prenait pour une catin ("ah, on t'l'avait bien dit !).. Laure hésita, entre la "décristallisation" et hurler de chagrin. Elle choisit les chaudes larmes cristallines.