L’arrêt n°350306 rendu ce 1er mars 2013 par le Conseil d’Etat (6ème et 1ère sous sections réunies) peut être consulté ici.
Au cas présent, le Conseil d’Etat était saisi, par plusieurs particuliers, d’un pourvoi tendant, in fine et notamment, à l’annulation d’un arrêté du 13 août 2008 par lequel le Préfet de la Manche avait autorisé la construction d’une éolienne et d’un poste de livraison.
Par jugement en date du 19 novembre 2009, le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté « en tant qu’il autorisait la construction du poste de livraison ». Par arrêt du 22 avril 2011, la Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête d’appel et confirmé ce jugement de première instance. Tant le Tribunal administratif que la Cour administrative d’appel ont donc jugé que le permis de construire était divisible : l’illégalité de l’autorisation de construire le poste de livraison n’imposait pas l’annulation du permis de construire en entier.
Saisi d’un pourvoi par les requérants demandant l’annulation du permis de construire en son intégralité, le Conseil d’Etat, va, à l’inverse, juger que la Cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
Tout d'abord, le Conseil d’Etat rappelle la règle contenue à l’article L.600-5 du code de l’urbanisme et son interprétation classique :
« 6. Considérant que, d'une part, lorsque les éléments d'un projet de construction ou d'aménagement ayant une vocation fonctionnelle autonome auraient pu faire, en raison de l'ampleur et de la complexité du projet, l'objet d'autorisations distinctes, le juge de l'excès de pouvoir peut prononcer une annulation partielle de l'arrêté attaqué en raison de la divisibilité des éléments composant le projet litigieux ; que, d'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 600-5 citées ci-dessus qu'en dehors de cette hypothèse, le juge administratif peut également procéder à l'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme dans le cas où une illégalité affecte une partie identifiable du projet et où cette illégalité est susceptible d'être régularisée par un arrêté modificatif de l'autorité compétente, sans qu'il soit nécessaire que la partie illégale du projet soit divisible du reste de ce projet ; que le juge peut, le cas échéant, s'il l'estime nécessaire, assortir sa décision d'un délai pour que le pétitionnaire dépose une demande d'autorisation modificative afin de régulariser l'autorisation subsistante, partiellement annulée"
Ainsi, l’annulation partielle de l’autorisation de construire est possible dans deux cas :
Premier cas (divisibilité des éléments du projet): Lorsque des éléments d’un même projet, ont des «vocations fonctionnelles autonomes » mais auraient pu faire l’objet « d’autorisations distinctes » « en raison de l'ampleur et de la complexité du projet » : l’autorisation entreprise est divisible et le Juge administratif peut prononcer une annulation partielle si un de ces éléments est irrégulier
Deuxième cas (absence de divisibilité des éléments du projet) : l’annulation partielle est possible lorsque l’illégalité affecte une « partie identifiable du projet » et est susceptible d’être « régularisée par un arrêté de l’autorité compétente »
Au cas présent, la Cour administrative d’appel de Nantes avait jugé en ce sens :
« Considérant qu'en dépit du lien fonctionnel existant entre eux, l'éolienne n° 6 et le poste de livraison dont le préfet de la Manche a autorisé la construction sur le territoire de la commune de X, par l'arrêté du 13 août 2008, constituent deux ouvrages matériellement distincts ; que le vice de procédure tenant à l'absence d'avis de l'architecte des bâtiments de France n'a pu affecter que le poste de livraison seul situé dans le périmètre de protection du manoir de X ; qu'une telle irrégularité est susceptible d'être corrigée par la consultation de l'autorité compétente et l'a été par une déclaration préalable présentée par la SARL X le 16 mars 2010, à laquelle le préfet de la Manche n'a pas fait opposition ; qu'ainsi, doit être écarté le moyen tiré de ce que ce vice de procédure était de nature à entraîner l'annulation totale de l'arrêté du 13 août 2008 et non pas, comme l'a décidé le Tribunal administratif de Caen, son annulation partielle en tant qu'il autorisait la construction dudit poste de livraison ; »
La Cour avait donc jugé :
- D’une part, que l’éolienne et le poste de livraison constituent « deux ouvrages matériellement distincts » en dépit « du lien fonctionnel existant entre eux » ;
- D’autre part, que l’irrégularité (vice de procédure) affectant le seul poste de livraison peut être régularisée par l’administration.
Le Conseil d’Etat infirme cette analyse. L’arrêt rendu ce 1er mars 2013 précise
« 7. Considérant que, pour apprécier si les conditions prévues par l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme permettant de prononcer une annulation partielle de l'arrêté du 13 août 2008 du préfet de la Manche en tant que celui-ci autorisait la construction du poste de livraison étaient remplies, la cour administrative d'appel de Nantes s'est fondée sur la circonstance que l'éolienne et le poste de livraison autorisés par le permis de construire, bien que fonctionnellement liés, constituaient deux ouvrages matériellement distincts ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit qu'elle a, ce faisant, commis une erreur de droit ;"
Aux termes de cet arrêt
- Une éolienne et un poste de livraison sont, certes « deux ouvrages matériellement distincts » mais « fonctionnellement liés ».
- Ces deux éléments ne sont donc pas divisibles et l’annulation partielle – pour ce motif – n’était pas possible.
Par voie de conséquence :
« 8. Considérant que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à cet arrêté, l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. et Mme A...tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Caen en ce qu'il n'a prononcé qu'une annulation partielle de l'arrêté du 13 août 2008 autorisant la construction d'une éolienne et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Gonfreville »
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes du 22 avril 2011 est donc annulé et l’affaire est renvoyée devant cette même Cour.
Il convient de bien souligner qu’il n’est pas possible d’anticiper à ce stade sur le sens de la prochaine décision de la Cour administrative d’appel de Nantes.
En effet, si la Cour a commis une erreur de droit, cette « erreur » de raisonnement ne signifie nullement que le permis litigieux est nécessairement illégal dans son intégralité. Rappelons en effet que l’annulation partielle est possible dans deux cas, selon que les éléments du projet sont ou non divisibles.
Le premier cas est ici écarté par le Conseil d’Etat : l’éolienne et le poste de livraison sont « fonctionnement liés ». Le deuxième cas semble rester à l’étude : à supposer que l’éolienne et le poste de livraison ne soient pas divisibles, il appartiendra à la Cour de dire si le poste de livraison peut constituer une « partie identifiable » du projet, susceptible d’une régularisation administrative. A la lecture du premier arrêt de la Cour, la réponse pourrait être affirmative. Il convient toutefois et sans doute de prendre connaissance - si cela est possible - des conclusions du rapporteur public devant le Conseil d'Etat pour s'assurer sur ce point de la portée de l'arrêt.
Arnaud Gossement
Selarl Gossement avocats