Article publié sur le site du Huffington Post le 26 février 2013.
« Gauche populaire », « gauche durable », « gauche forte »… N’en jetez plus ! A chaque jour ou presque suffit sa « gauche » au groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Depuis quelques temps, les groupuscules de députés socialistes se multiplient, animés d’une créativité adjectivale débridée.
Cette efflorescence printanière avant l’heure a une apparence : des réunions dans les sous-sols de l’Assemblée nationale, des manifestes et des tribunes dans la-presse-de-gauche. Elle a une réalité : une compétition acharnée entre des élus peu connus pour se faire entendre dans le brouhaha médiatique et conquérir des « parts de marché » au sein du groupe socialiste.
Un classique diront les plus capés des commentateurs du microcosme socialiste. Certes. Mais cette année, il y a tout de même une nouveauté : les noms que se sont choisis ces groupuscules d’élus. Ils s’intitulent tous « gauche… quelque chose ». Singeant d’ailleurs, plus ou moins consciemment, leurs homologues de droite qui rivalisent, eux, dans l’adjectivation décomplexée depuis des années. Des esprits moqueurs osent même plaisanter en remarquant qu’au PS la seule expression qui n’ait pas encore été retenue, c’est « gauche sociale ».
Le côté archi-classique de la chose mérite tout de même d’être rappelé. Dans les périodes d’exercice du pouvoir, le parti se vide en effet de ses principaux dirigeants devenus président de la République, ministres, présidents d’assemblée, de groupe… ou se plaçant « en réserve » dans leur fief local. Les second, troisième… rangs (on n’ose dire couteaux) s’avancent alors, en ordre plus ou moins dispersé, vers le guichet des attributions de places et de postes. C’est là précisément qu’il faut s’organiser. Dans ce carrousel, les députés sont prioritaires, oints du suffrage universel. C’est la pole position du grand prix des ministrables qui est en jeu. Et comme c’est moins facile aujourd’hui qu’hier pour certains, en raison du tryptique « parité, diversité, rajeunissement » qui orne désormais le fronton du siège du PS, l’esprit combatif n’en est que renforcé. D’où l’effervescence actuelle.
Loin de ces viles préoccupations, nos élus des gauches adjectivales rappellent bien évidemment qu’ils travaillent d’abord et avant tout pour le bien commun, c’est-à-dire, dans leur langage d’époque, pour « la réussite du quinquennat de François Hollande ». Ils le font en organisant, soulignent-ils, « un rapport de force pour appuyer les choix du gouvernement » (sic). Tous sont d’ailleurs issus de la majorité du parti, n’ayant pas voulu ou osé sortir du bois à l’occasion du dernier congrès de celui-ci en novembre 2012. On les comprend, nombre d’entre eux doivent en effet leur élection à la « vague rose » qui a suivi la victoire hollandaise de mai 2012. Difficile donc de prétendre travailler à la réussite de celui qui a contribué à les faire élire tout en expliquant que son action ne va pas assez vite ou qu’elle ne va pas dans la bonne direction. Se distinguer tout en restant exemplaire, on frôle la schizophrénie.
Comme ils veulent être pris au sérieux et jugés sur leurs « idées », ces députés écrivent force manifestes et tribunes. Malheureusement, la place et la caféine nous manquent ici pour en livrer un commentaire détaillé. On décèle toutefois, au-delà de la mise en scène des différences sémantiques, qu’il s’agit d’un exercice obligé qui tient du pensum indispensable pour « exister » – un mot dont raffolent ces élus.
Bien sûr, certains y mettent moins d’ardeur que d’autres. La palme de la brièveté textuelle revenant incontestablement à la « gauche forte » qui a expédié son « manifeste », le 20 février, sur une demi-page de Libération. Celle de la longueur va à la « gauche populaire » qui le même jour (coïncidence ?) avait convoqué la presse pour asséner ses 76 pages reliées. Celle de la persévérance enfin échoit à la « gauche durable » qui entretient régulièrement le public inattentif de ses « prises de position » sur son blog.
Tous démontrent en tout cas, à longueur de paragraphe, leur peu d’appétence pour les idées et l’argumentation. Ainsi, par exemple, aucune référence ou aucun auteur n’est jamais cité à l’appui de telle ou telle affirmation – seuls quelques sondages ou articles de presse viennent égayer une lecture vite ennuyeuse. L’habitude du texte de congrès socialiste au mètre (ou au kilo) se fait sentir.
L’essentiel n’est de toute évidence pas là pour nos élus-rédacteurs. On peut en juger, rapidement mais assez exactement, par l’incroyable audace dont ils témoignent dans leur propos. Alors que les uns veulent « renforcer les valeurs de la gauche » et « combattre les idées de la droite », les autres proposent rien moins que de « se battre pour l’Europe de la croissance et du juste échange » quand les troisièmes vont même jusqu’à vouloir « s’opposer à l’embardée libérale, droitière et xénophobe de l’Europe » ! Tenez-vous bien.
Au-delà de leur caractère convenu, la lecture de ces contributions permet néanmoins de percevoir leurs différences, du moins les subtilités du positionnement de niche qu’ils adoptent pour se différencier. La « gauche populaire » reprend la thématique déjà largement développée et portée dans le débat public de la nécessaire réintégration des catégories populaires dans le projet d’ensemble et les politiques menées (pouvoir d’achat, fiscalité, industrie…) par la majorité. La « gauche durable » insiste surtout sur les aspects environnementaux, institutionnels (interdiction du cumul des mandats surtout) et « sociétaux », le tout nimbé d’une nostalgie pour la candidature de Martine Aubry aux primaires socialistes. La « gauche forte », moins loquace donc, se contente de déclarations sur les « valeurs » de la gauche et le combat contre la droite et l’extrême-droite, sans qu’on comprenne bien en quoi cela se distingue de ce que font déjà le PS, la majorité et la gauche en général à longueur de journée.
Dernière, et non des moindres, limite inhérente à l’exercice : l’entre-soi. Ces élus font finalement surtout gauche… à part. Ils restent entre eux, établissent des listes de ralliés au sein du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, à la mode d’un congrès PS encore une fois. Ne comprenant ni la transformation profonde des formes de l’action politique contemporaine ni, plus grave pour eux, que la prochaine étape de cette carrière à laquelle ils attachent visiblement tant d’importance se jouera davantage sur leur capacité à convaincre et à rassembler hors-les-murs plutôt que dans le microcosme politico-médiatique dans lequel ils confinent leur parole.
Liens
La « gauche forte » animée par Yann Galut et Patricia Schillinger.
http://www.liberation.fr/politiques/2013/02/19/manifeste-pour-la-gauche-forte_882967
La « gauche populaire » animée par Laurent Baumel et Philippe Doucet, avec François Kalfon (élu régional).
http://www.philippedoucet.fr/?p=3642
La « gauche durable » animée par Christian Paul et Laurence Rossignol.
http://lagauchedurable.tumblr.co