Le Conseil d’Etat vient de rendre, ce 1er mars 2013, deux arrêts qui apportent d’importantes précisions au régime de responsabilité du producteur et du détenteur de déchets à l’origine de la pollution du sol.
L’arrêt n°348912 rendu ce 1er mars 2013 par le Conseil d’Etat (6ème et 1ère sous-sections réunies) peut être consulté ici.
L’arrêt n°354188 rendu ce 1er mars 2013 par le Conseil d’Etat (6ème et 1ère sous-sections réunies) peut être consulté ici.
Il convient de rappeler que, par un arrêt « Wattelez II » rendu le 26 juillet 2011, le Conseil d’Etat a pu juger :
« Considérant que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L.541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur le terrain ».
Ainsi, le propriétaire négligent d’un terrain souillé par la présence de déchets, peut être regardé comme leur détenteur et, à ce titre, être destinataire de mesures de police dont le but est d’assurer leur évacuation. Cette solution a été confirmée par la Cour de cassation par arrêt du 11 juillet 2012.
Les arrêts rendus ce 1er mars 2013 par le Conseil d’Etat apportent une précision logique mais importante : la responsabilité du propriétaire/détenteur de déchets n’est que subsidiaire.
Dans ces deux affaires, les requérants (deux sociétés dans un cas et un particulier dans l’autre) avaient été mis en demeure par un maire d’avoir à procéder à l’évacuation de déchets abandonnés sur un terrain dont ils sont propriétaires. Dans ces deux affaires, les requérants demandaient l’annulation de ces arrêtés.
Les deux arrêts comportent un considérant de principe, relatif à la responsabilité subsidiaire du propriétaire, rédigé en termes assez proches.
L’arrêt n°354188 précise :
« 3. Considérant que le responsable des déchets au sens de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, tel qu'interprété à la lumière des dispositions précitées de la directive du 5 avril 2006, s'entend des seuls producteurs ou autres détenteurs des déchets ; que si, en l'absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l'obligation d'éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets ne revêt qu'un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s'il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu ; »
Il convient de souligner plus particulièrement ces termes de l’arrêt : « la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets ne revêt qu'un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s'il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu »
Le propriétaire négligent, qui a laissé des déchets s’accumuler sur son terrain n’est pas automatiquement responsable de leur évacuation : il ne l’est que pour autant que le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets ont disparus ou ne sont pas connus.
L’arrêt n°348912 comporte un considérant de principe rédigé de manière presque identique :
« 7. Considérant, en second lieu, que le responsable des déchets, au sens de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, tel qu'interprété à la lumière des dispositions rappelées ci-dessus de la directive du 5 avril 2006, s'entend des seuls producteurs ou autres détenteurs des déchets ; que si, en l'absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l'obligation d'éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets, qui peut être recherchée s'il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu, ne revêt qu'un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets ; »
Aux termes de ces deux arrêts, la responsabilité du propriétaire négligent d’un terrain souillé par des déchets n’est donc que « subsidiaire ». C’est toute la chaine de responsabilité qui doit être analysée. La responsabilité du producteur des déchets, a fortiori s’il s’agit de l’exploitant d’une ICPE installée sur le terrain ainsi pollué est première.
Dans l’affaire concernée par l’arrêt n°354188, le Conseil d’Etat annule l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon au motif qu’elle a, à tort, qualifié d’inopérant le moyen tiré de ce que la société productrice des déchets en cause était connue :
« 5. Considérant que, pour juger que le maire avait pu légalement mettre ces sociétés en demeure de prendre les mesures nécessaires à l'évacuation des déchets situés sur ce terrain, la cour s'est fondée sur la circonstance qu'elles devaient être regardées, en leur seule qualité de propriétaires du terrain sur lequel avaient été stockés les déchets produits par la société chargée de l'exploitation du site, comme détentrices de ces déchets au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, après avoir écarté comme inopérante la circonstance que la société chargée de l'exploitation du site, productrice de ces déchets, était connue ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la cour a, ce faisant, commis une erreur de droit ; »
Ainsi, la Cour administrative d’appel aurait dû s’assurer que l’exploitant du site, connu, était ou non à l’origine des déchets abandonnés avant d’engager la responsabilité des propriétaires.
Dans l’affaire concernée par l’arrêt n°348912, à l’inverse, la Haute juridiction rejette le pourvoi au motif que la Cour administrative d’appel de Douai n’a commis aucune erreur de droit :
« 8. Considérant qu'il n'est pas contesté que M. D...avait la qualité de producteur des déchets en cause, qui résultaient de son activité de décapage exercée sur ce terrain ; que, par suite, en le regardant comme le responsable de l'abandon de ces déchets, quand bien même il n'était plus le propriétaire du terrain où ils se situaient, et en en déduisant qu'il lui incombait de les prendre en charge, la cour administrative d'appel de Douai n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée, ni, en tout état de cause, méconnu le principe d'égalité ».
Ainsi, aux termes de cet arrêt, le requérant était bien le producteur des déchets en cause. Peu importe qu’il ne soit plus le propriétaire du terrain : en sa qualité de producteur sa responsabilité est engagée.
Ces arrêts sont particulièrement intéressants en ce qu’ils démontrent une convergence entre les polices ICPE, déchets et sols pollués et ce, sous l’influence certaine du droit de l’Union européenne. La police des déchets tend à réguler de manière croissante les problématiques de sols pollués. On remarquera dans ces deux arrêts que c’est d’abord la qualification de producteur de déchets qui vaut à celui-ci d’être le débiteur de l’obligatio d’évacuation avant même celle d’exploitant d’une ICPE.
Ceci emporte des conséquences importantes.
En premier lieu, ces arrêts tendent à renforcer la responsabilité du producteur mais aussi du détenteur d’un déchet. Ces derniers doivent donc demeurer très vigilants quant à leur traitement. La pertinence des mécanismes de responsabilité élargie du producteur va sans doute devenir de plus en plus évidente.
En second lieu, ces arrêts contribuent à accroître les compétences mais aussi la responsabilité des maires en leur qualité d’autorités de police en charge de la police des déchets.
Arnaud Gossement
Selarl Gossement avocats