Deuil national au Venezuela, drapeaux en berne, et en France, tentative de
récupération. Le régime de Chavez fut comme celui de Poutine, une démocratie "très contrôlée" ou une dictature "élective". Petite réflexion sur "l’entre-démocratie"…
Curieuse coïncidence historique : soixante ans, jour pour jour,
après la mort de Staline, le Président du Venezuela Hugo
Chavez s’est éteint le mardi 5 mars 2013 à l’âge de 58 ans. Il était à la tête du pays depuis le 2 février 1999 et avait gagné quatre élections présidentielles. Depuis le 10 juin 2011, il
était soigné pour un cancer avec des hospitalisations fréquentes à Cuba. Finalement, la maladie l’a emporté.
La manière de mourir peut porter en germe l’éclosion d’une légende. Je ne doute donc pas que cette fin
émouvante (qui rappelle par ailleurs la fragilité extrême des destinées humaines) va placer Chavez sur un piédestal mythique au nom duquel on pourra défendre un peu n’importe quoi. Une évolution
posthume qu’avait connue en son temps Che Guevara.
En France, les réactions sont assez prévisibles. Il va y avoir les tenants de la gauche radicale qui vont en
profiter pour hisser leur héros dans leur imaginaire national, avec, il faut bien l’avouer, peu de chance de succès. Jean-Luc Mélenchon a même déjà commencé, quelques minutes à peine après l’annonce officielle de la mort, se voyant lui-même un avantageux successeur moral dans une Europe en perte de repère. Heureux ceux qui ne voient aucune contradiction entre cet hommage (sincère) à Chavez
et son vote inconditionnel pour François Hollande le 6 mai 2012 (comprenne qui pourra).
Et puis, il y a ceux qui considèrent que Hugo Chavez n’était pas un saint de la démocratie et que le
militaire (très religieux par ailleurs) ancien putschiste ne mériterait pas d’être mis dans ce curieux
Panthéon du nouveau siècle. Je serais plutôt de ce versant.
Les historiens et l’avenir analyseront en détail les quatorze années de pouvoir personnel de Chavez, avec ses
aspects positifs (lutte contre l’analphabétisme, dignité nationale etc.) et ses aspects négatifs (pressions antidémocratiques, corruption etc.). Comme la réalité n’est jamais toute blanche ni
toute noire, chacun y trouvera sans doute son compte.
Ce qui est clair, c’est que Chavez avait cherché à se donner une voix internationale par la provocation, en
rencontrant ceux qui étaient peu admis par la "communauté internationale" en raison de la nature du régime implacable qu’ils contrôlaient dans leur pays, entre autres Mouammar Kadhafi et Mahmoud
Ahmadinejad.
Lorsque Chavez, refusant le résultat négatif d’un premier référendum constitutionnel (le 2 décembre 2007),
avait finalement obtenu gain de cause à l’occasion d’un second référendum (le 15 février 2009) sur le même sujet, à savoir la suppression de l’interdiction d’exercer plus de deux mandats
présidentiels successifs, certains avaient émis l’idée que Chavez voudraient être Président à vie. C’est en
quelques sortes cela qui s’est produit, après avoir été élu une quatrième fois le 7 octobre 2012.
La France a bien connu ce type de processus, appelé bonapartiste, puisque son premier Président de la
République, élu pour quatre ans et non rééligible immédiatement, avait finalement, à la fin de la troisième année de son mandat, commis un coup d’État "en douceur" pour se décréter Président pour
dix ans, puis à vie puis Empereur. Napoléon III avait alors été à l’origine d’un siècle de peur d’un pouvoir
exécutif fort parmi les républicains et il a fallu attendre le "quasi-viol" constitutionnel du Général De
Gaulle en obtenant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct (par le
référendum du 28 octobre 1962) pour réconcilier la République avec un exécutif fort et populaire.
Il est toujours très étrange d’entendre des responsables politiques français faire l’éloge de Chavez qui,
s’il a été apprécié par une partie de la population vénézuélienne (les scènes de deuil viennent le montrer dès cette nuit), n’avait pas grand chose à voir avec ce que des éléments de gauche
radicale préconisent en France dans un contexte complètement différent. D’ailleurs, aussi anecdotique soit-il, il est intéressant d’observer que ces laudateurs chavéziens, embellissant un
champion très habile pour contourner les résultats des référendums qui ne lui plaisaient pas (voir plus haut), étaient parmi les premiers à dénoncer le Traité de Lisbonne et la non prise en
compte du référendum du 29 mai 2005…
Ma réflexion porte ici plutôt sur la difficulté de définir le type de régime qu’a conduit Chavez. C’est la
même difficulté qu’avec Vladimir Poutine qui est arrivé au pouvoir la même année que Chavez. D’un côté, il y a effectivement des élections
pluralistes, ce qui est déjà un avantage sur des régimes qui ont été bien plus contraignants dans l’histoire du monde (le IIIe Reich ou l’empire soviétique par exemple).
Mais d’un autre côté, il faut bien admettre que la sincérité de ces élections a bien des difficultés à s’y
exprimer. Par de multiples moyens, pas forcément par des bourrages d’urnes, mais en réprimant les oppositions politiques, en achetant les voix, en laminant la capacité de leur opposition à être
représentée par des personnalités capables de rassembler. Le régime d’Alexandre Loukachenko en Biélorussie
est très efficace aussi dans ce registre-là et le pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika en Algérie, d’une toute
autre nature, nourrit également de tels paradoxes démocratiques.
Du reste, on peut aussi regarder la difficulté d’un pays comme Madagascar à sortir de la paralysie politique. "Victime" d’un véritable coup d’État le 17 mars 2009, la Grande Île est aujourd’hui toujours gouvernée par un Président de la Haute Transition illégitime qui peut cependant revendiquer un référendum (le 17 novembre 2010) qui a légitimé a posteriori sa démarche autoritaire malgré une très faible participation (52,6%). Alors que les élections législatives et
présidentielle doivent avoir lieu entre mai et septembre 2013, aucun responsable malgache n’est encore capable d’apporter les garanties pour que ces scrutins soient tenus de manière sincères et
libres, et même soient tenus de manière un minimum organisée.
Toute la question est de savoir si une situation très imparfaite du point de vue démocratique n’est que le
résultat d’une transition, d’une évolution vers une situation améliorée et satisfaisante ou est le résultat d’une volonté à peine masquée de contrôler toutes les forces politiques du pays. À
Madagascar, il y a à l’évidence une transition qui se cherche, tandis qu’en Russie ou au Venezuela, c’est bien leurs dirigeants qui ont voulu cette situation de démocratie très critiquable, où
leur personnalité est mise en avant comme un culte.
La disparition de Hugo Chavez va donc probablement changer radicalement la nature du régime au Venezuela
puisqu’il était caractérisé avant tout par sa personnalité très emblématique. Au contraire de ces systèmes totalitaires dont on ne peut sortir que par des révolutions, dures ou douces, selon les
circonstances, les régimes personnels ne durent que le temps …de leur personne.
Fidel Castro, le maître à penser de Chavez, lui aura survécu. Cuba, comme le Venezuela, vont devoir de toute
manière redéfinir leur régime politique et apprendre un peu mieux ce que signifie démocratie …sincère. Tant qu’à lutter contre l’analphabétisme…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (6 mars
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Présidence à vie ?
Che Guevara.
Staline.
Vladimir Poutine.
Andy Rajoelina.
Abdelaziz Bouteflika.
Alexandre Loukachenko.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/chavez-president-a-vie-131876