Magazine Société
Les lois de l’économie politique sont construites à partir d’hypothèses sur le comportement des acteurs du champ économique. Une hypothèse fondamentale et originelle est le comportement dit « rationnel » de ces acteurs, c’est-à-dire un comportement visant à maximiser l’intérêt particulier de chacun ou encore maximiser la satisfaction obtenue de la consommation d’un bien ou d’un service, dans un monde de concurrence parfaite et d’information totale sur l’état du marché. Bien entendu, très vite, les économistes se sont aperçus (pas tous) que cette hypothèse était sans fondement, le monde réel étant très éloigné de ces hypothèses simplificatrices et du fait que la somme d’intérêts particuliers ne fait pas l’intérêt général (ce que n’ont pas compris les syndicats français et tous les corporatismes). L’information étant asymétrique entre les acteurs, ceux-ci cherchent à pallier leur manque d’information par des hypothèses sur les raisons qui ont poussé les autres acteurs à prendre les décisions qu’ils ont prises. C’est ce que l’on appelle les anticipations. Celles-ci ont d’abord été prises en compte dans les théories économiques en supposant que les acteurs ne faisaient qu’extrapoler les tendances passées, seule source d’informations relativement disponibles. L’observation de l’inflation passée, par exemple, permet à l’acteur économique de construire une anticipation de l’inflation à venir et de modifier son comportement en fonction de son analyse. Une inflation élevée incitera certains acteurs à rechercher des emprunts à taux fixes. Cette anticipation aura, bien entendu, une influence sur les résultats de la politique économique mise en œuvre. Ces anticipations sont dites « rationnelles ». Elles obligent les gouvernements à intégrer ces comportements dans leurs décisions. Ce qui rend très aléatoires les résultats recherchés par les gouvernements, puisque les décisions prises en tenant compte de ces anticipations, une fois connues des autres acteurs, auront une influence sur les anticipations elles-mêmes. De plus, ce modèle de fonctionnement sous-entend toujours que les acteurs possèdent toutes les informations nécessaires pour construire leurs anticipations, ce qui n’est évidemment jamais vrai. De nombreux prix Nobel en économie ont été décernés à des économistes qui ont simplement dit que le modèle classique de l’économie était une tromperie : des acteurs agissant au sein d’un marché parfait en concurrence non déformée, entièrement informés sur l’état des marchés et sur le comportement de tous ses acteurs, agissant et anticipant de façon rationnelle en fonction de l’état immédiat du marché, tout cela était une parfaite utopie. Ils ont alors essayaient, sans beaucoup de succès et avec de nombreuses simplifications, de tenir compte du fait que les acteurs sont parfaitement humains, c’est-à-dire égoïstes, fascinés par l’argent, prêts à toutes les magouilles pour en gagner davantage, passant entre eux des accords frauduleux, perpétrant sans cesse le délit d’initié, réagissant par anticipation à ce qu’ils considèrent comme un mensonge des autres acteurs, etc, etc … Il n’est finalement pas très difficile d’obtenir un prix Nobel d’économie !! La frénésie de l’argent est peut-être un caractère humain mais n’est pas un comportement rationnel. Le comportement d’un trader est compulsif. La passion du gain fait qu’il remplace l’anticipation par le pari, ce qui est très mal pris en compte par les théories économiques. La recherche effrénée du gain immédiat crée, sur le marché sur lequel intervient le spéculateur, un impact immédiat, parfois considérable et de très court terme. Aucun modèle économétrique ne peut prendre en compte de tels comportements compulsifs et dont les conséquences sont chaotiques. C’est pourquoi, la déroute bancaire et financière de 2008 n’a été anticipée par aucun économiste ni par les fameuses agences de notation. Pas plus que les conséquences de la faillite de la banque Lehman Brothers. La logique la plus élémentaire, c’est-à-dire le bon sens, est de croire que le développement économique passe par le développement des entreprises, créatrices d’emplois, par l’innovation et la conquête de marchés. Or, le système bancaire est le « système sanguin » de l’économie réelle en « irriguant » celle-ci avec les prêts qu’il consent aux entreprises. Aussi, lorsque ce système se dévoie de son rôle, par l’intermédiaire d’une population de traders et avec la complicité des dirigeants, en détournant les ressources financières d’un pays vers la spéculation effrénée, on ne peut pas dire qu’il s’agisse là d’un comportement rationnel du point de vue de l’intérêt général. Tous comptes faits, ni le comportement ni les anticipations des acteurs ne sont rationnels. Qui peut douter que même les salariés de l’Etat aient une vision biaisée de l’intérêt général et qui peut croire qu’ils soient prêts à sacrifier peu ou prou leur intérêts particuliers ? On comprend mieux les grandes difficultés de la science économique à construire des modèles crédibles de simulation qui puissent fournir des prévisions fiables et des conseils crédibles. De plus, il existe un acteur majeur intervenant sur l’économie, le gouvernement lui-même. C’est pourquoi s’ajoute un autre biais. Celui des mensonges du monde politique, particulièrement en campagne électorale. Les promesses faites, toujours présentées comme des engagements irrévocables, sont rarement tenues car elles contiennent toutes une part de pure démagogie, nécessaire pour attirer les voix et les suffrages de tous ceux qui ne demandent qu’à y croire et ignorent volontairement les contraintes existantes. Mais la réalité prend vite le dessus et les citoyens sont de plus en plus réticents à prendre pour argent comptant le discours des hommes politiques. Comment tenir compte alors du fait que les agents doutent que le gouvernement se comportera effectivement comme il l’annonce ? L’inefficacité d’une politique économique peut découler du fait que ces agents soupçonnent de plus en plus le gouvernement de vouloir les tromper. Peut-on, dans ces conditions, construire des théories économiques crédibles ? On peut en douter. La méfiance généralisée des peuples envers leurs gouvernements s’illustre dans un récent sondage français qui, parmi les femmes politiques françaises populaires, place en tête C. Lagarde et M. Le Pen. Une femme qui exerce ses talents à l’étranger (c’est toujours mieux ailleurs !) et la championne du populisme (on ronronne toujours quand on vous caresse dans le sens du poil !). Dans la médiocrité ambiante actuelle, il est décidément clair que nous manquons cruellement en politique d’un De Gaulle du XXIe siècle et en économie politique d’un J.M.Keynes contemporain !