Le soudain engouement pour la Suisse devrait inquiéter les Suisses

Publié le 06 mars 2013 par Francisrichard @francisrichard

La Suisse est un pays de tricheurs. Ils profitent de ce qui leur plaît dans l'Union européenne, via les accords bilatéraux, et rejettent ce qui leur déplaît. Ils vivent richement, aux dépens des autres.

La Suisse est un pays du secret. Des exilés fiscaux s'y réfugient. Des évadés fiscaux s'y planquent. Ils y apportent leur argent gagné ailleurs, lestant la charge fiscale des restants.

La Suisse est un pays de banques, dont les coffres-forts regorgent de l'argent sale du monde. Pas étonnant que les Suisses soient riches. Ils vivent largement de la finance anonyme et vagabonde.

A aucun moment ceux qui parlent ainsi de la Suisse, ne cherchent plus loin. Ils se satisfont de cette image caricaturale, qui explique si bien pourquoi chez eux rien ne marche. Car c'est la faute à la Suisse! Comme c'était la faute à Voltaire ou à Rousseau...

Il faut les faire plier ces Suisses. Il faut leur faire comprendre que leur insolente réussite est terminée. Et qu'ils devront cracher au bassinet, comme tout le monde.

Au-delà de cette caricature facile, il y a la réalité.

Et la réalité, c'est que les Suisses travaillent pendant que d'autres roupillent (le nombre d'heures à temps plein est un des plus élevés du continent, sinon le plus élevé: 1'914 heures annuelles en 2011).

Et la réalité, c'est que le secteur bancaire ne représente que 10,5% du PIB du pays en 2011 (la législation helvétique contre le blanchiment est une des plus sévères au monde) et que la Suisse excelle dans la microtechnique, dans la biotechnologie, dans la chimie, dans la pharma, dans l'alimentaire, dans l'assurance etc.

Et la réalité, c'est que la Suisse, comme le reconnaît Christian Saint-Etienne dans France: état d'urgence, a un système scolaire performant, que son régime fiscal (dû à la concurrence fiscale entre cantons) est incitatif, que les universités y coopèrent avec le privé, que son environnement macro-économique est stable, que ses institutions sont transparentes, que ses infrastructures sont de qualité, que son marché du travail est fluide (d'où un taux de chômage de 3,4% en janvier 2013, considéré ici pourtant comme élevé...).

Et la réalité, c'est que la Suisse intègre mieux ses étrangers que les autres (22,8% de la population en 2011).

Et la réalité, c'est que la Suisse est moins endettée que les autres (35% du PIB en 2011).

Mais tout cela ne compte pas... même si la Suisse démontre par là-même, en étant beaucoup plus libérale que les autres pays qui l'entourent, que le libéralisme, indépendamment du fait qu'il respecte les droits naturels, est plus efficace, même quand il est encore tout relatif...

Il a suffi que la votation sur l'initiative Thomas Minder "Contre les rémunérations abusives" obtienne 67,9% des suffrages dimanche dernier, pour que l'opprobre jeté sur la Suisse soit miraculeusement levé. Momentanément...

Le premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, a déclaré à propos de cette votation:

"Une excellente expérience démocratique où les Suisses montrent la voie et personnellement je pense qu'il faut s'en inspirer"

Le secrétaire-général du PS français, Harlem Désir, s'est exclamé:

"J'ai envie de dire: "Vive les Suisses!""

Le porte-parole de Michel Barnier, commissaire européen aux services financiers, Stefaan De Rynck, a opiné le 4 mars 2013:

"Nous prenons acte du vote important qui a eu lieu hier en Suisse"

Bref, tous ceux qui se prononcent d'ordinaire contre la libre économie, qui réussit si bien à la Suisse, dans une version relative pourtant, se réjouissent du résultat de cette votation. Cela ne laisse pas d'être inquiétant et devrait faire réfléchir tous ceux qui, guidés par l'envie et le populisme, ont voté pour ces dispositions liberticides.

Ce soudain engouement pour la Suisse sera sans lendemain, rassurons-nous. Cette intrusion législative dans le fonctionnement des entreprises pourrait cependant bien être un premier pas vers leur mise sous tutelle, surtout si les actionnaires des 260 sociétés suisses cotées en bourse, dans leur intérêt bien compris, ne décident pas de limiter les rémunérations de leurs managers comme le voudrait tant le monde politico-médiatique, toujours prêt à battre les montagnes alpines.

Gageons que l'interdiction des indemnités d'entrées et de sorties sera alors suivie d'autres interdictions, d'autres limitations et que les belles paroles de Thomas Minder, qui veut avoir le triomphe modeste, après avoir semé ses grains de servitude dans cette affaire, ne changeront rien au fait que les grands managers d'envergure seront moins bienvenus en Suisse et que cela lui sera préjudiciable.

Alors il faudra faire marche arrière. Ce qui est toujours possible en Suisse par la voie démocratique. Et nulle part ailleurs...

Francis Richard

La photo de Thomas Minder qui illustre cet article provient d'ici