Très jeune, j’ai découvert Proust… Enfin, disons, que je n’ai pas vraiment eu le choix !… Ma grand-mère, que j’adorais (et qui adorait Proust…) a tenu à ce que le lise cet auteur… Et comme ma grand-mère, était la plus merveilleuse grand mère du monde, mais aussi la plus intransigeante sur certains points de mon éducation, je suis donc partie à la rencontre dudit écrivain…
Dire que j’ai aimé Proust, serait le plus gros mensonge du monde… J’ai même carrément détesté, toutes ces phrases, que je jugeais interminables… Une vraie lecture en apnée, et des descriptions à n’en plus finir… Bref, cette « obligation » littéraire a été un vrai supplice…
Quelques années plus tard, devant son insistance répétée, je me suis replongée dans Proust, et là, et là… j’ai compris que j’avais failli passer à côté d’un écrivain exceptionnel… Ma grand-mère m’a fait le même coup, d’ailleurs, avec un nombre incalculable d’auteurs, avec plus ou moins de bonheur… Albert Cohen, par exemple, les bras m’en tombent encore à l’heure actuelle, et franchement, « belle du seigneur », je n’ai jamais accroché…
Pour en revenir à Proust, l’hirondelle, amoureuse de la littérature, et grande gourmande, depuis toujours, (les deux vont d’ailleurs très bien ensemble…) que je suis…
… ne pouvait passer à côté de la fameuse petite madeleine… Et franchement, cette petite douceur, encore un peu tiède, avec un bon thé, je crois bien que c’est un très joli bonheur de la vie… Je fais donc souvent ces petits gâteaux pour le tea time avec mes copines,
ou pour le petit déjeuner familial du dimanche matin…
Ultra faciles à préparer, et cuisson en un temps record, ces jolies madeleines ne demandent qu’à être consommées, sans modération !
Je vous livre ma petite recette, (testée et approuvée, depuis des années…)
Ingrédients :
* 3 œufs
* 100 g de sucre (dont 2 sachets de sucre vanillé)
* 1 cuillère à soupe de miel (ce n’est pas indispensable, mais moi, j’aime…)
* 150 g de farine
* 125 g de beurre
* 1 pincée de sel
* 1 sachet de levure chimique
* extrait d’amande amère, ou de vanille (facultatif)
* zestes d’1/2 citron ou d’orange (facultatif)
Préparation :
- Battre les œufs avec le sucre, la pincée de sel et le miel jusqu’à ce que le mélange blanchisse et double de volume.
- Ajouter la farine et la levure. Continuer à bien mélanger.
- Ajouter enfin le beurre ramolli et terminer par les zestes d’agrumes, ou l‘extrait d‘amande ou de vanille, si vous souhaitez parfumer votre préparation.
- Entreposer la pâte, dans un récipient fermé, au réfrigérateur, pendant au minimum 2 heures. (il est tout à fait possible de préparer la pâte, la veille). Après ce temps, la pâte est plutôt ferme, ce qui est normal…
- Préchauffer le four à 200°
- Beurrer légèrement le moule (même s’il est en silicone)
- Remplir les alvéoles du moule d’une grosse noisette de pâte. Ne pas l’étaler, cela se fera tout seul, à la cuisson.
- Enfourner et baisser immédiatement le four à 180°
- Lorsque les madeleines sont dorées (5 à 7 minutes, environ), les sortir du four et les démouler, tout de suite, et délicatement, avec une spatule, sur une grille.
Si vous faites plusieurs fournées, remettre la pâte au réfrigérateur, entre les deux. C’est la différence de température, qui permet à la madeleine d’avoir sa petite bosse caractéristique…
Voilà, vous voyez, c’est tout simple !… Ces petites douceurs se gardent plusieurs jours, sans problème, dans une boite en fer…Et avec un peu de lemon curd, moi, je vous le dit, c’est le bonheur assuré !…
Petite précision, les proportions indiquées, permettent de réaliser très précisément 27 madeleines… Précision suisse oblige, je ne pouvais manquer de vous l’indiquer ! …
Et puis, pour finir en beauté et en poésie, je ne résiste pas à vous proposer le merveilleux et si délicat passage de Proust, sur cette délicieuse petite madeleine du souvenir… Un texte à découvrir, ou redécouvrir… Bonne lecture gourmande !…
« Il y avait bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité; Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement: créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.
Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence, de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé. Je retrouve le même état, sans une clarté nouvelle. Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit. Et pour que rien ne brise l’élan dont il va tâcher de la ressaisir, j’écarte tout obstacle, toute idée étrangère, j’abrite mes oreilles et mon attention contre les bruits de la chambre voisine. Mais sentant mon esprit qui se fatigue sans réussir, je le force au contraire à prendre cette distraction que je lui refusais, à penser à autre chose, à se refaire, avant une tentative suprême. Puis une deuxième fois, je fais le vide devant lui, je remets en face de lui la saveur encore récente de cette première gorgée et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s’élever, quelque chose qu’on aurait désancré, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c’est, mais cela monte lentement; j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des distances traversées.
Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l’image, le souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu’à moi. Mais il se débat trop loin, trop confusément; à peine si je perçois le reflet neutre où se confond l’insaisissable tourbillon des couleurs remuées ; mais je ne peux distinguer la forme, lui demander, comme au seul interprète possible, de me traduire le témoignage de sa contemporaine, de son inséparable compagne, la saveur, lui demander de m’apprendre de quelle circonstance particulière, de quelle époque du passé il s’agit.
Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être; qui sait s’il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre importante, m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine.
Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés depuis si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des autres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. » À la recherche du temps perdu. Du côté de chez Swann, 1913.
Ma madeleine de Proust à moi, c’est le souvenir de la plus délicieuse tarte aux pommes du monde… Celle de ma grand mère, que je regardais œuvrer, dans sa cuisine, émouvante, belle et souriante, enveloppée d’une douce senteur de caramel et de cannelle…
Quelle est la votre ?