C'est amusant parce que, de prime abord, j'ai pensé que rédiger un billet sur le concert d'Alain Souchon au Trianon, ce serait sans doute la tache la plus facile de l'année étant donné que j'ai vraiment beaucoup aimé le moment et que je nourris une sincère admiration pour cet artiste depuis longtemps. En fait, ça a rarement était aussi compliqué. Impossible de trouver un angle d'attaque, je n'ai cessé d'écrire, de relire puis d'effacer. Si bien que, voilà, j'en suis là : à te raconter mes problèmes existentiels sur l'air du "comment raconter un moment que l'on a peut être trop aimé?".
Alors j'ai pris le parti de ne pas chercher à trouver un angle particulier. Je me suis dit qu'il fallait que j'essaie de retranscrire ce moment comme si je le racontais à un de mes amis, simplement, sincèrement, en n'oubliant pas de donner mon sentiment sur les moments forts du concert. Je vais livrer les mots comme ils viendront, sans plus rien effacer ou tenter de reformuler quitte à écrire trop, quitte à me perdre un peu aussi, mais tant pis.
Défi (il faut imaginer que ce son là résonne à tes oreilles)(sinon c'est moins bien) : "Votre mission, si vous l'acceptez, est de rédiger en 30 minutes chrono un live report du concert d'Alain Souchon au Trianon sans essayer d'en faire des tonnes ni abuser des superlatifs. Bref : sans céder à la facilité".
Deal.
C'est parti.
"Tu veux savoir comment c'était le concert de mon Souchon, vraiment?" (je me mets en condition)
"Attends, je peux pas te résumer ça en deux mots, comme ça ... T'as un petit moment devant toi, là? Genre, une demie-heure?"
"OK parfait, alors j'y vais"
Bon d'abord il faut savoir que j'ai toujours aimé Souchon, tu sais bien.
Il m'accompagne depuis toujours, ses textes trouvent systématiquement en moi une résonance particulière si bien qu'il fait un peu partie de ma vie.
C'est bête à dire, comme ça, mais je t'assure que c'est vrai.
Alors bien sûr, chaque fois que je vais l'écouter, j'ai un peu l'impression de retrouver un membre de la famille, un cousin éloigné que je ne verrais pas souvent mais avec qui, à chaque fois, j'aurais l'impression de partager quand même une étrange forme d'intimité.
Ce dimanche là, c'était un concert un peu particulier. En plus.
Oui parce que bon, je ne t'apprends rien en te disant que la carrière d'Alain Souchon lui a permis de se composer un public de fidèles qui le suit sur chacune de ses tournées ce qui conduit son tourneur à le programmer dans des salles de grande capacité. Tant mieux pour lui. Mais tant pis pour nous.
"Nous" : Ceux qui viennent l'écouter, je veux dire. Bah oui : S'il excelle dans l'art d'instaurer une complicité avec son public, il faut quand même reconnaitre que, quand on l'aperçoit perdu sur une scène, au loin, alors que l'on est, soi même, coincée sur des gradins -tellement lointains- la perspective de se sentir comme dans un repas de famille tient plus de la science-fiction que du ressenti immédiat. Il faut faire un gros effort d'imagination pour que la proximité soit presque palpable, ses boutades à répétition ne suffisent pas : quand on l'aperçoit de si loin, l'émotion est là mais...la frustration aussi.
La dernière fois que je l'ai entendu, c'était aux arènes de l'Agora à Evry et bon, comment te dire?
C'était malgré tout un peu froid.
Aussi, quand on a annoncé qu'Alain Souchon allait faire un "petit tour", bien sûr, j'étais sur les rangs.
D'autant que l'évènement a été annoncé de la plus charmante des façons. Par une petite séquence filmée home-made qui me semble beaucoup lui ressembler :
Alors voilà ce dimanche après-midi, j'étais en route pour le Trianon, plaçant en ce concert pas mal
d'espoirs, j'avoue. Tout en ayant bien conscience que c'est le meilleur moyen d'être déçue... Mais enfin ça n'est pas une raison pour brider un enthousiasme débordant, tu en conviens
sûrement.
Pas de première partie, nous annonce-t'on. Tant mieux. D'ordinaire j'aime beaucoup découvrir de nouveaux talents mais dans ces conditions là, je me suis déplacée pour un moment d'intimité (oui, je suis un peu dans la fantasme, tu l'auras compris) avec mon Souchon et je n'ai aucune envie de voir le moment dérangé par l'intrusion d'un personnage supplémentaire.
Qui n'aurait pas été invité. En plus, ce que je ne sais pas, sur l'instant, c'est que le concert va durer 2h30.
Quand même. Quelle santé, l'artiste!
Alain Souchon entre seul en scène, sur un plateau dépouillé, habillé seulement de quelques magnifiques projecteurs et -bien entendu- des instruments qu'utiliseront les deux musiciens qui l'accompagnent. Il s'est simplement muni de sa guitare et s'installe sur un tabouret, dans une de ces poses alanguies de félin dont il a le secret.
Ouverture du set sur "rêveur" , titre qui installe l'ambiance de ce début de concert qui sera placé sous
le signe de la conscience politique.
Souchon est un idéaliste un peu résigné, on le sent. Il subit de plein fouet les évolutions du monde contemporain et s'en désole. J'aime ça aussi, chez lui. Qu'il ose soutenir ces idées que de plus en plus considèrent comme rétrogrades mais que quelques uns partagent encore. C'est aussi ça que j'aime chez lui. Il me donne l'impression de ne pas être seule, il me rassure un peu. Aujourd'hui on est taxé(e) de sentimentalisme pour un rien. Les temps sont durs pour les utopistes. Souchon garde le cap. Et je l'en remercie.
Après ce premier morceau il est rejoint par ses deux musiciens.
C'est rarement le cas alors c'est la raison pour laquelle je me permets de le souligner : Alain les
présente dès le début, réclamant pour eux des applaudissements qui, d'ordinaire, n'arrivent qu'en fin de concert. J'aime l'initiative.
Il introduit le titre suivant en expliquant "je fais partie de la génération de Dylan, de Lennon. Je ne me compare pas à eux, hein, attention, mais enfin on a commencé à faire de la musique en même temps, quoi. Et depuis mes débuts, le monde a changé. Pour bien comprendre les choses, souvent, on a besoin d'une notice. Pour le comprendre, le monde d'aujourd'hui, j'ai justement une notice. Et je vais la partager avec vous.
Et il chante "Putain ça penche", morceau pendant lequel il énumère des marques, litanie interrompue par un refrain qui est une invitation à profiter de l'instant, avec une insouciance inquiétante : "Putain ça penche, on voit le vide à travers les plances... Let's dance"
Un petit tour du côté des laissés-pour-compte de ce "monde idéal" qu'est celui dans lequel nous vivons et d'une réalité qu'on fait souvent semblant de ne pas voir avec "petit tas tombé" et il enchaine sur "les cadors": contraste saisissant puisqu'on bascule soudain de l'autre côté.
"C'est déjà ça" nous invite ensuite à jeter un oeil sur la triste condition des réfugiés politiques. J'aime cette partie du répertoire d'Alain Souchon qui dresse un bilan plutôt désabusé mais toujours bienveillant sur le monde qui l'entoure.
C'est d'ailleurs là-dessus qu'il effectue la transition avec l'autre partie du concert, plus lyrique.
"Bon je sais que certaines jeunes filles de l'assistance vont être déçues mais vous savez : je suis un homme marié. Et ma femme me dit souvent "chéri, tu es quand même bougon comme garçon" (oui elle dit chérie, vous avez vu comme je vous fais rentrer dans notre intimité un peu, comme ça, là, l'air de rien) "tout t'énerve, tu lis les journaux et puis tu râles tout le temps"
Alors bon moi je lui dis "c'est vrai chérie (oui, je lui dis chérie, aussi), c'est vrai mais en même temps ça date pas d'hier..."
Et il lance "Carrément méchant".
J'adore son côté sale gosse, qui s'exprime sur ce morceau parfaitement et qu'on retrouvera plus tard avec bonheur sur "j'ai 10 ans".
Sur "un baiser", je frémis ("c'est vrai qu'en blondes j'ai des lacunes, en blondes j'ai des lacunes....").
Oui. Bon.
Parce qu'il faut que je t'explique que j'adore cette idée, celle d'un improbable baiser échangé comme ça, entre deux inconnus, baiser qui ne sera suivi de rien. Pas même d'une ébauche d'histoire, aucun mot, aucun espoir.
Juste le moment. Doux. Intense. Un peu fou.
Et chaque fois que je me rends à un concert de Souchon, il me vient l'idée folle de le faire. De choisir un inconnu dans la foule et de l'embrasser comme ça, gratuitement, puis de fuir, dans le noir. Bon mais voilà, ce soir là j'étais assise, coincée, au milieu du rang, au niveau de l'orchestre. Cernée par des femmes quinqagénaires qui plus est, ce qui a mis à mal mon projet t(il y avait pourtant de jolis garçons au balcon...). Enfin, ce n'est que partie remise, hein, il n'a pas fini de tourner mon Souchon. J'y arriverai (bon mais le temps passe, je vieillis, c'est ça le problème...)
S'en suit une jolie intervention sur la condition d'artiste, toujours placée sous le signe de l'autodérision :
"C'est rigolo d'être chanteur, ça donne l'impression d'être important, d'être intéressant.... On vous pose des questions tout le temps :
- "Alors la politique, le monde, tout ça, vous en pensez quoi?"
Nous, les chanteurs, on répond n'importe quoi. Bah oui, forcément, parce que comme tout le monde : on ne sait pas.
Et puis des fois il y a des questions sur notre travail aussi et nous demande :
- "et l'inspiration, vous la trouvez où l'inspiration?"
Et moi en fait je réalise que des fois, ce qui m'inspire, c'est les gens avec qui je travaille. Et en réfléchissant un peu je me rends compte que mes meilleures chansons sont celles dont la musique est signée Laurent Voulzy. Comme celle-là par exemple.."
Et les premières notes de "Somerset Maugham" retentissent alors. C'est beau.
Mais au fond, pourquoi tu chantes, Alain?
C'est un peu comme si quelqu'un lui avait posé la question parce qu'ensuite, c'est "Chanter c'est lancer des balles" que l'on entend et que juste après, il choisit d'expliquer pourquoi il a voulu se lancer dans son projet de reprises de chansons de son enfance dernièrement (album dont les bénéfices ont été intégralement reversés aux "chercheurs qui cherchent" à lutter contre le cancer chez les enfants).
Il en profite pour présenter une planche dessinée spécialement pour illustrer cet album par Sempé, l'illustrateur qui, selon lui, "traduit le mieux l'âme de l'enfance". L'occasion d'évoquer, à demi-mots seulement, sa condition d'enfant coincé dans un corps d'adulte. Cette particularité qui le rend si émouvant.
Alors après avoir expliqué tout ceci et aussi que, ayant été sensibilisé à cette cause qui est celle des enfants atteints de cancer, il a voulu participer pour aider à la recherche et que "étant donné que la seule chose que je sais faire c'est chanter, je me suis dit que j'allais faire un album" il a interprété l'unique titre qui est une création sur ce recueil "le jour et la nuit".
Ôde à la rêverie.
J'applaudis.
"Souvent je sors, incognito, et je m'installe dans les cafés et j'écoute les discussions de comptoir, les débats, j'aime bien. Alors ça parle, de tout et de rien...et des fois ça cause de David Guetta. Et les gens il disent (ton emphatique)
"Oui, tu vois, David Guetta c'est super bien... Mais ouais, il fait des trucs comme ça, là, il fait de la musique (*il imite grossièrement un mec qui appuie sur un bouton*), c'est vachement bien tu vois".
Et après les gens ils prennent une petite vodka-artichaut, un petit martini-brocolis et hop ils discutent et ensuite ils vont s'installer devant des baffles énormes et ils bougent comme ça (il imite) et ça leur fait du bien...
Mais vous savez quoi? Ils ont raison.
C'est important David Guetta.
Parce que bon, on a tous des semaines difficiles vous savez (il prend quelques exemples savoureux) et on a besoin à un moment de danser. Parce que ça permet de décompresser, d'évacuer les tensions. Et il en a toujours été ainsi. Alors bien sûr les temps ont changé et on n'écoutait pas, avant, David Guetta.
Non. Mais on faisait aussi des chansons pour danser.
Et nous ce soir, pour vous aider à décompresser, on va vous en chanter une. Elle s'appelle "Au Bois Joli" et comme c'est une chanson un peu ancienne, elle fait un peu comptine, alors on va vous l'interpréter maintenant et vous seriez gentils de pas vous foutre de nous".
Autre temps, autre son. A ma connaissance, personne n'a ri. Par contre il me semble bien que tout le monde a applaudi à la fin.
C'est ensuite sur "Au ras des pâquerettes" que je fredonnerais quelques passages, ceux qui m'émeuvent particulièrement :
" Sans ce penchant pour une personne, l'être aimé, sans les ailes que ça vous donne, d'être aimé, on reste au ras des pâquerettes. Sans cette attirance qui plane sur le monde, dont on est toxicomane, tout le monde, on reste...au ras des pâquerettes"
Puis retour sur son complice de toujours "Laurent Voulzy, c'est un garçon sensible, vous savez. C'est un artiste, quoi. Il a besoin de sentir qu'on l'aime, sans ça il peut facilement tomber dans la dépression, dans l'alcool, voire pire : tout arrêter. Alors il faut lui montrer qu'on l'aime".
Et hop, hommage à Laurent Voulzy, tonnerre d'applaudissements. On s'attend tous un peu, à ce moment précis, à le voir débarquer. Mais Non (patience...).
Et c'est parti pour "la légende de Jim" qui est dans le top 5 de mes morceaux préférés de Souchon et que je chante donc de bout en bout avec un sourire jusqu'aux oreilles ("Jimmy, les filles pour le coeur, c'est comme l'alcool et les revolvers. C'est sauter en l'air. Puis tomber par terre. Boum")
Il congédie ensuite ses musiciens (l'occasion de se livrer à une scènette délectable, là encore) puis se lance dans un improbable monologue au cours duquel il sera question notamment du sexe des anges, de la douceur du ventre des filles,, des chasseurs à décollage vertical de l'armée britannique, des bois du renne (mais si, je te jure) et où on entendra que Dieu a quand même bien fait les choses en sacrifiant quelques sujets pour notre divertissement, citant pêle-mêle DSK, Valérie Trierweiler et Franck Ribéry. Bon, moi, pendant ce temps là j'ai ri un nombre incalculable de fois.
C'était bien.
Suite à ça, il lance "Manivelle", ce parallèle parfait entre un film et la vie, cette réfexion douce sur la limite entre réalité et fiction.
"Mais c'est du vrai sel dans l'eau des
yeux,
Du vrai amour qui rend
malheureux,
Un coeœur vrai, du sang
vrai,
Deux p'tits enfants
qu'j'ai.
Manivelle tourne un drôle de
cartoon,
Manivelle tourne mais c'est ma vraie vie
qui tourne.
Manivelle tourne combien d'années encore
?
Manivelle tourne. Déjà, j'aime plus mon
corps.
Manivelle tourne j'suis maquillé
pâle.
Manivelle tourne j'savais que ça finirait
mal"
Fin de set sur "Casablanca" (je suis né à Casablanca, au bord de l'océan, malheureusement ça commence à faire un ptit bout d'temps") et puis, en guise de dernier morceau "Et si le ciel, était vide" qui sonne comme un "à quoi bon, tout ce malheur gratuit, toutes ces souffrances pour rien" et laisse un petit goût amer dans la bouche.
Mais bien sûr, et heureusement, ce n'est pas vraiment la fin.
Car il y aura des rappels.
Deux.
intenses.
Pendant lesquels Alain Souchon interprètera ses tubes.
Egrénés comme ça, les uns après les autres, c'est irrésistible.
Il attaque avec "On avance" ("tous ces petits moments magiques, de notre existence, qu'on met dans des sacs plastiques, et puis qu'on balance") (à ce stade là, je chouine un peu, j'avoue), puis suivent "quand j'serai KO", "j'ai 10 ans", "Foule sentimentale", "Allo maman bobo", "j'suis bidon" (où il remplace "j'ai bousillé "satisfaction" par "j'ai bousillé rockcollection", clin d'oeil à Voulzy : encore!), "l'amour à la machine"...
Et il termine sur un texte de François Villon qui me parle beaucoup (forcément) "hé dieu, si j'eusse étudié" l'occasion pour Alain Souchon, une fois encore, de se livrer un peu.
L'occasion de dire que parfois, il se prend à rêver qu'en ayant travaillé davantage, à l'école, sa vie aurait pu être totalement différente. Comme quoi, on n'est sans doute jamais vraiment satisfait de ce que le destin nous réserve...
Il annonce ce dernier morceau, interprété seul, à la guitare ainsi "je vais finir sur un titre rasoir comme ça quand je vais m'arrêter vous serez soulagés, vous vous direz "ah enfin c'est fini, en même temps il était temps que ça se termine" bon parce que, il faut bien, à un moment s'arrêter, vous comprenez..." (ça fait à ce moment précis, 2h30 qu'il est sur scène...)
Mais c'est sans compter sur l'ultime surprise qu'il nous a réservé : Il est rejoint par Laurent Voulzy pour un duo magnifique de tendresse et de complicité sur "Belle île en mer"
Parfaite conclusion d'une parfaite soirée (après-midi? Peu importe, j'ai perdu la notion du temps 3 heures durant, de toute façon)
A la prochaine Alain. Et (mille fois) merci.
(je n'ai bien sûr pas tenu la contrainte de rédiger ce billet en 30 minutes chrono et j'ai sans doute explosé mon record du nb de signes employé pour écrire un article ici mais tu sais quoi? Tant pis! Quand on aime, on ne compte pas. C'est ce qu'on dit...)