L’envol présidentiel de François Fillon, trancheur de nœuds (2/2)

Publié le 04 mars 2013 par Sylvainrakotoarison

Finie la rivalité avec Jean-François Copé, finie la soumission à Nicolas Sarkozy. François Fillon a montré qu’il savait cogner dur contre le gouvernement, parfois avec une ironie mordante, et qu’il savait exprimer clairement son ambition présidentielle au service d’un projet solide. Métamorphose d’un suiveur en leader. Seconde partie.

Après les attaques contre le pouvoir, François Fillon a bâti ses propositions par une série de "nœuds" qu’il fallait trancher.

Puissance internationale vs puissance régionale

Il y a le nœud « qui nous fait hésiter entre le choix d’assumer la mondialisation et la tentation de la rejeter ». Pour lui, il ne faut pas d’ambiguïté et affirmer clairement vouloir que la France reste une puissance internationale en s’organisant au sein d’une Europe puissante au lieu de subir « les coups qui sont réservés aux puissances régionales ». L’Europe, c’est « un levier décisif pour le rayonnement de la France ». Cela passe selon lui par un "noyau dur politique" avec l’Allemagne, en appelant de ses vœux une « confédération entre nos deux patries ».

François Fillon s’est montré conscient des crispations sur le projet européen mais « l’euroscepticisme et le repli sur nous-mêmes sont tellement dans l’air du temps, mais l’air du temps ne fait pas l’Histoire. Il la subit ! ».

Il voit trois strates à l’organisation européenne : un espace homogène entre la France et l’Allemagne, l’Europe des 28 (il a dit 27 mais la Croatie sera membre le quatre mois), et au-delà, il souhaite « bâtir les structures d’une Europe continentale » avec une association entre l’Union Européenne et deux États essentiels, la Russie et la Turquie.

Compétitivité vs privilèges sociaux de certains

Il y a aussi le nœud « qui nous fait hésiter entre la productivité nationale et la protection de nos acquis ». C’est probablement le seul clivage qui donne encore du sens à l’opposition droite/gauche.

Rejetant le statu quo qui ferait croire à la préservation d’acquis alors que ces derniers ne sont réservés qu’à une catégorie de plus en plus restreinte de la société, François Fillon a tenu un discours de raison forcément peu populaire mais courageux : « Si la croissance et l’emploi sont véritablement notre objectif absolu, alors assumons des changements de fond ! ».

Parmi les changements de fond, la décentralisation du dialogue social, la fin des 35 heures (retour aux 39 heures), qui constitue, il faut bien le reconnaître, un serpent de mer pour la droite depuis plus de dix ans, la réorganisation de la formation professionnelle, l’intégration des universités dans le monde économique, la "vraie" refondation de l’école : « Ce n’est pas de centralisme démocratique dont l’école a besoin mais d’autonomie et de liberté. ».

Ne plus croire aux trésors cachés

Le nœud des déficits publics et sociaux est parmi les plus douloureux à traiter. François Fillon a fait ce diagnostic : « Cette schizophrénie nationale qui nous conduit à ne plus supporter les impôts mais à demander toujours plus à l’État et à la solidarité sociale ne doit plus durer. Arrêtons de croire qu’il y a des trésors cachés que l’on peut débusquer pour rester une nation fraternelle. ».


Pour l’ancien Premier Ministre, la solution pour remettre sous contrôle les finances publiques est de réduire la voilure de l’État et des collectivités publiques : relever l’âge de la retraite à 65 ans (à condition que les "seniors" puissent trouver du travail !), reposer la question de la dégressivité des allocations chômage (ce qui ne me paraît pas très pertinent), réduire les effectifs (en particulier dans les collectivités locales qui ont multiplié les doublons) et simplifier le mille-feuilles territorial : « Nous n’échapperons pas (…) à la fusion des régions et des départements et à celle des communes et des communautés. ».

La sécurité, c’est nous

En parlant du nœud « qui enserre notre civisme et nos responsabilités », François Fillon a voulu évoquer les enjeux de la sécurité en affirmant que l’État devait être ferme avec les délinquants, mais aussi en considérant que c’était aussi l’affaire de tous : « La sécurité, c’est aussi nous ! (…) Avant de tout exiger de l’école, bien des familles feraient mieux de ne pas détourner leurs yeux de l’éducation de leurs propres enfants. ».

Le tonnerre d’applaudissements qui a suivi cette phrase a illustré les difficultés des enseignants à faire respecter leur autorité face à des élèves indisciplinés qui sont soutenus par leurs parents (et parfois par le chef d’établissement pour ne pas faire de vague).

Transcender nos origines

Le dernier nœud qu’a traité François Fillon est sans doute le plus intéressant et le plus original en faisant une opposition entre le patriotisme, « seule façon de transcender nos origines, nos races, nos religions » (au passage, il a commis une grossière erreur en parlant des races humaines au pluriel), et le nationalisme, mené « par un vent de démagogie et de xénophobie » et servi par un populisme européen avec une multiplicité des « voix de la radicalité ».

François Fillon, qui a observé que ce populisme s’est exprimé dans beaucoup pays d’Europe (en Italie encore la veille), n’en a pas démordu : « De l’extrême droite à l’extrême gauche, ce ne sont que des appels au protectionnisme, à l’exacerbation nationale, à la revanche sociale. Comme si la France pouvait trouver son salut dans le repli et la colère. Être populaires sans être populistes, c’est le défi des républicains que nous sommes ! ».

Au lieu de s’être jeté à corps perdu dans les abysses de la démagogie sécuritaire, c’est ce discours de bon sens, un peu plus digne sur l’unité nationale, qu’aurait dû tenir Nicolas Sarkozy pendant sa campagne présidentielle de 2012 s’il avait voulu convaincre le petit million d’électeurs qui lui ont fait défaut pour gagner.

Force républicaine

Cette ligne programmatique étant posée, François Fillon a expliqué comment il comptait arriver, en 2016, à être l’homme de la situation pour le prochain quinquennat.

En particulier, en faisant renaître son club de réflexion "France 9" qu’il a rebaptisé en "Force républicaine".


Cette expression n’est pas tellement heureuse ni originale (François Bayrou avait transformé le CDS en Force démocrate le 25 novembre 1995 à Lyon ; Jean-Christophe Lagarde avait repris l’expression le 10 juillet 2012 en rajoutant "européen"), et pourrait lui procurer quelques déboires juridiques car c’est aussi la marque d’un candidat aux législatives du 10 juin 2012, dans sa propre circonscription parisienne, qui, certes, n’avait recueilli que 28 voix mais qui a déposé l’expression sémantique à l’INPI comme marque commerciale et qui exploite également le nom de domaine rattaché (François Fillon a acheté des noms de domaine approchés).

C’est là la marque d’un curieux amateurisme en communication politique (avant d’annoncer une nouvelle "marque", il vaut mieux la verrouiller juridiquement et sur Internet) et d’autant plus curieux que l’expression avait été mise en compétition avec une autre qui paraissait bien plus prometteuse : "France futur".

Doute mais détermination

Le discours de la Mutualité de ce 26 février 2013 a donc été un véritable discours fondateur qui marquera les esprits politiques (au même titre que le discours du Bourget du 22 janvier 2012 pour François Hollande). Ce n’est que le point de départ de la présidentialisation de François Fillon.

Bénéficiant d’une cote de popularité encore enviable, dépassant de loin celle de Jean-François Copé, François Fillon a donné aux sympathisants de l’opposition une nouvelle vision de l’avenir : d’une part, qu’il y avait bien une opposition contre un gouvernement brouillon et inefficace ; d’autre part, qu’il y avait un homme capable d’incarner le changement de politique.

La détermination de François Fillon a pu étonner ceux qui ne voyait en lui qu’une personnalité fade et sans aspérité. Cela ne l’a pas empêché de douter de lui, en faux modeste, pour rester prudent : « Serai-je prêt le moment venu, et les Français seront-ils au rendez-vous ? Aujourd’hui, je ne le sais pas. Mais je me lance ! ».

Cela ne lui a pas résolu son problème insoluble sur la prochaine élection du président de l’UMP en septembre 2013 : faudra-t-il y aller ou pas ? La réanimation de son club politique semble avoir parlé pour lui…

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (1er mars 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
François Fillon n’est-il qu’un simple collaborateur ?
François Fillon, le sauveur de l’UMP ?
François Fillon à Matignon.
François Fillon, rigueur et vérité.
François Fillon candidat à la présidence de l’UMP.
L’UMP réconciliée ?
François Fillon et le syndrome Raymond Barre.
Discours de François Fillon à la Mutualité le 26 février 2013 (texte intégral).
Interview de François Fillon au journal "Le Monde" daté du 27 février 2013 (texte intégral).

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-envol-presidentiel-de-francois-131668