Bras de fer budgétaire aux Etats-Unis.
Le néologisme a envahi l’actualité politique américaine : la dette publique ayant atteint son plafond, républicains et démocrates ne parvenant pas ŕ s’entendre sur une solution réaliste et acceptable par les deux bords, tous les budgets de l’Etat vont ętre fortement réduits. C’est ce qu’il est convenu d’appeler ŕ Washington la séquestration, sachant que le terme n’a pas tout ŕ fait la męme signification en anglais qu’en américain. Outre-Atlantique, la notion de saisie, implicite, est ŕ prendre au sens large. Le débat fait rage, aucun arbitrage n’a pu ętre trouvé ŕ la date limite fixée, le 1er mars, et le couperet est tombé. A commencer, dans l’immédiat, par une réduction de 7,9% du budget de la Défense et de 4,6% pour tous les autres postes.
En clair, ce sont les moyens mis ŕ la disposition du Pentagone qui servent de valeur d’ajustement, sans préjuger d’une trčs éventuelle nouvelle maničre de procéder qui pourrait apparaître ultérieurement. Bien entendu, au-delŕ des politiques eux-męmes, c’est l’industrie de la Défense qui hurle aux loups, agite l’épouvantail de centaines de milliers de suppressions d’emplois, de perte de leadership, voire de remise en question du statut de super puissance des Etats-Unis. A distance, il est néanmoins difficile de se forger une opinion, tant les propos des uns et des autres sont excessifs.
C’est dans un contexte trčs tendu, sans précédent, que Chuck Hagel, le nouveau secrétaire ŕ la Défense, prend ses fonctions (notre illustration). Il succčde ŕ Leon Panetta, 67 ans, qui a choisi de partir en retraite. Il ne faudra pas attendre longtemps pour vérifier si Hagel a l’envergure du poste qui lui est confié par le Président Obama. S’il est suffisamment habile, peut-ętre parviendra-t-il ŕ rapprocher des points de vue des partisans et des opposants de la séquestration. Ou encore les orienter vers d’autres options, ŕ commencer, dernier développement en date, par la création de nouvelles taxes. Une formule évidemment trčs impopulaire mais qui ne serait pas automatiquement exclue par le locataire de la Maison Blanche, qui n’a pas ŕ se préoccuper de réélection.
Dčs qu’il aura été quelque peu dépassionné, le problčme qui est posé finira peut-ętre par apparaître sous un jour nouveau. A savoir que les uns et les autres reconnaîtront que le budget de la Défense va revenir, aprčs amputation, ŕ son niveau de 2007. En d’autres termes, il conviendrait de relativiser l’importance des problčmes posés, ŕ commencer par ceux qui concernent le trčs court terme. Les caisses de l'état sont vides, 800.000 civils employés par le Pentagone risque de voir leur salaire diminué de 20% tandis que les nouvelles contraintes budgétaires risquent de sérieusement perturber le bon fonctionnement de diverses administration, par exemple la Federal Aviation Administration. D’oů le spectre d’avions en retard, de grand désordre dans l’espace aérien américain, etc.
Pour sa part,l’Aerospace Industries Association dit, répčte, clame que ses membres sont en grand danger de profonde déstabilisation. Déjŕ, l’USAF a supprimé 200.000 heures de vol d’entraînement d’ici ŕ la fin de l’année et, symbole fort, la patrouille acrobatique des Thunderbirds est mise au sol, tout comme celle des Blue Angels de la Navy. Déjŕ, des missions opérationnelles sont supprimées, par exemple le déploiement du porte-avions Harry Truman dans le Golfe persique. Les réactions sont innombrables mais aucune n’est inattendue.
Ainsi, parce qu’il vaut mieux ne pas tirer sur une ambulance, il est pas (pas encore) question de s’interroger ouvertement sur le devenir du Lockheed Martin F-35, avion de combat dit de cinquičme génération, extraordinairement dispendieux, qui plus est retenu par d’imprudents acheteurs étrangers, notamment le Royaume-Uni, l’Italie et le Canada. La facture, ŕ terme, pourrait atteindre ou dépasser les 400 milliards de dollars, caricature des extraordinaires dérives qui peuvent affecter le lobby militaro-industriel. Il y a lŕ matičre ŕ réflexion, c’est le moins que l’on puisse dire.
A peine arrivé, Chuck Hagel est attendu au tournant, bien que les difficultés du Pentagone ne soient finalement pas directement de son ressort : il est victime d’événements qu’il ne contrôle en rien. En revanche, on attend beaucoup de lui, sur le plan des idées, parce qu’il se situe presque au-dessus des partis. Il fut républicain, proche de Ronald Reagan, élu sénateur du Nebraska sous cette étiquette et, aujourd’hui, bien installé dans le premier cercle d’Obama. Son analyse, ses propositions seront examinées avec la plus grande attention, et cela dans le monde entier. Ainsi, les actuels soubresauts de la plančte, les conflits régionaux, la lutte contre le terrorisme, sur fond de conjoncture économique désastreuse, exigent sans doute davantage de bon sens, de pragmatisme, que la production de milliers de F-35. D’oů l’intéręt exceptionnel des passes d’armes qui se succčdent ces jours-ci ŕ Washington.
Pierre Sparaco - AeroMorning