Article paru dans SOS Crise
L’élite, telle que conçue en nos sociétés platement matérialistes et pragmatiques, est précisément la ronde des fourbes les plus idéologiquement habiles qui savent accaparer oligarchiquement pour eux-mêmes, toutes les ressources communes de l’humanité par des empires financiers (bancaires, boursiers) et industriels, tout en se créant des alliés dévoués produits en politiciens de partis pour les aider à séquestrer les États en mentant aux peuples par le jeu dit d’alternance démocratique.
Car si les têtes visibles du pouvoir s’alternent via des élections cycliques, les maîtres de l’argent mondial avec leur acte de prédation permanente, restent pratiquement les mêmes de manière pérenne et se succèdent de père en fils.
Il n’y a d’élite que de la noblesse du caractère, le reste n’est qu’ironie et manipulation idéologiques des oligarchies faussement moralisatrices d’un monde systémiquement immoral. Quand on se rappelle que l’institution sociale est dispensatrice de valeur et de signification pour les membres de la société, l’on saisit alors la déformation corrompue de la vision collective lorsque tous les horizons du regard collectif sont, dès le départ, dilués dans des simulacres. Les simulations de prestige et de valeur par l’attribution des honneurs, la production d’individus (parfois de purs nullards et d’ignobles sous-hommes parvenus et arrivistes) en icônes dans un contexte macabre de faussetés et d’immoralités sont précisément là, pour suggérer aux multitudes menées, la voie à suivre tout en nourrissant en chaque individu, le secret espoir d’être désigné, coopté par le système. Ce n’est jamais rien que la reproduction sociale, la parturition institutionnelle du même.
Nous vivons hélas le temps des élites factices, étrangères aux vertus et qualités élévatrices de l’homme et des collectivités. Nos élites politiques, médiatiques, institutionnelles publiques, figures de comparses, désignées par les institutions des quelques-uns qui font les rois et les valets au gré de leurs caprices et volitions, pour faire miroiter l’invraisemblance, la fausse valeur dans une société non pas « unidimensionnelle » comme dirait Marcuse, mais d’illusionnisme axiologique. Société platement capitaliste qui se fout supérieurement des valeurs et n’élit que ses serfs et esclaves à degrés divers dans la plus sinistre des affectations institutionnelles. Société qui ne reconnaît et consacre que ses moulés, ses zélateurs produits en élites et hommes de pouvoir public pour la gesticulation des délirantes cohues, qui, miracle, vont parfois jusqu’à s’identifier à ces affectés officiels.
L’une des caractéristiques majeures d’une civilisation en crise, est l’incapacité de former des élites authentiques, des hommes dignes de leur humanité selon les valeurs fondamentales de vraie justice et de grandeur qui élèvent le collectif. La crise se corse par la marginalisation des vrais hommes d’élite auxquels on substitue des singes du pouvoir aux valeurs postiches qui ravalent la vision sociale au niveau des mufleries telles le nationalisme grivois égoïste, la haine discriminatoire et la persécution des moins nantis, le genre de démarches de dirigeants ignares appliquant au premier degré en simples exécutants serviles, les vœux de quelques oligarques pervers, cupides et prédateurs d’État.
Le concept d’élite est gravement galvaudé par nos sociétés en décomposition morale et morbide altération logique du sens. Hier mystifié et mythifié par les ignominies religieuses dogmatiques selon le mythe du droit prétendument divin, aujourd’hui il se laïcise sans se séculariser et se vautre dans l’affairisme servile, le larbinisme des politicards par rapport aux oligarchies. Mais attention, d’autres dogmes envahissent l’espace de la signification, ce sont les désignations institutionnelles. Dogmes laïcs car il n’y a pas dogmes séculiers, les décideurs au pouvoir se sont toujours placés in cathedra, pour instituer leur structure, leur bureaucratie et s’ériger idoles dans le monde du sacré sans autres divinités qu’eux-mêmes, à qui la sphère du profane des masses, doit vouer le culte de toutes les obtempérations et de tous les zèles flagorneurs de la soumission sans limite.
« ÉLITES » ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES
Les « élites » économiques, on le sait, sont surtout une nébuleuse financière et industrielle qui mènent les États et la planète au bout de leur spéculation, leur marchandisation et c’est eux qui se créent des serviteurs dits « élite politique » via leur financement des partis politiques. Les partis politiques qui font l’alternance au pouvoir dans des pays du nord hautement structurés, sont des caisses de résonance de la bourgeoisie financière et industrielle. Le discours populaire voire populiste y est uniquement pour tenir le peuple en haleine. Ce n’est donc pas sans raison que les autres partis plus ou moins libres en leurs courants doctrinaux sont soit totalement occultés soit forcés de se rallier aux « vrais partis » de pouvoir dans les perspectives électorales pour rendre utile le vote de leurs partisans, en intégrant se serait-ce que marginalement et nominalement les gouvernements issus des élections. Donc, l’élite politique est suspendue aux basques de la seule élite qui soit et qui puisse être dans un contexte capitaliste: les oligarchies milliardaires. Naturellement, bien que les pays du nord fortement structurés et institutionnels sur le plan étatique et administratif, eussent pu se passer des chefs d’État dans la marche effective des pays et les choix de société qui affectent les majorités, l’institutionnalisation de l’élu suprême s’impose au moins par la nécessité idéologique de l’argutie démocratique pour masquer le pouvoir oligarchique et assouvir sa quête d’anthropomorphisation des structures inhumaines par des visages prêtés au macabre politico-économiquecherchant, faute de vrais sourires, des rictus, des jeux zygomatiques farauds, arborés par les trognes « sympathiques » de politicards affectés.
Qu’en est-il des « élites » intellectuelles ?
L’intellectuel non aligné sera presque toujours ostracisé, car la société n’accepte pas la souveraineté de penser. Pour l’ordre social, seul l’individu consentant d’être rouage de la fonctionnalité institutionnelle est admis. Tout le verbiage de la démocratie omniprésente dans les discours, patauge dans l’incohérence d’une liberté institutionnelle intolérante. La liberté dans nos sociétés est une fantasmagorie où l’ostentation démocratique par les artifices officiels et médiatiques qui gavent les masses de rêves débiles, de passions excentriques, de pulsions indécentes, où le droit de la consommation compulsive figure comme vertu suprême de « l’individu libre », s’insurge contre toute intellectualité qui se veut distanciation vis-à-vis des gesticulations collectives programmées. Si la société place quelques vrais éléments d’élite dans des organes particuliers de prestige pour permettre la justification du système, de fait, elle les statufie pour éluder leur jugement, les empêcher d’intervenir sur le social. Un consacré de l’académie a toutes les chances de rester dans sa petite coupole pour s’occuper des petites minuties statutaires liées à son rôle, c’est cela statufier les valeureux les plus en vue. Des statues fussent-elles vivantes, des monuments aussi organiques soient-ils, n’ont jamais dérangé quiconque, leur statut hors du commun d’entre les vivants, les en empêche! À côté de ce culte hypocrite politisé du talent ostensible vrai ou faux, les capacités réelles qui interviennent sans se prostituer, sans s’assimiler, sont quasi systématiquement relégués à la marge, ciblés par l’excommunication de fait.
Dans cette tour de barbelés que devient le mode de reconnaissance sociale, on est soit aligné soit exclu. La horde des despotes du pouvoir d’exécutants, serfs des maîtres du pouvoir réel et discret qui les agitent en larbins, et tous les menus fretinsde loin ou de près à solde des maîtres discrets, aigris de toute valeur non alignée, sont géniaux à occulter le talent authentique des esprits libres et à faire éclipse institutionnelle de l’excellence véritable par le mugissement du clinquant des intellos-types vils et histrions, spécialistes et répéteurs de tous acabits, idéologues et répétiteurs de tous ressorts, selon l’esbroufe institutionnelle et la grimace maniérée des singeries de scènes et de médias. .
Dans un monde réduit à la dimension des objets, titres et maniérismes qu’il consomme, seuls les rois monstrueux, seigneurs d’horreur opérant sous la kunée des structures et leurs larbins visibles, gesticulateurs d’un pouvoir dont ils ne sont que les singes, ont la gloire infâme d’être « l’élite » qui fait, défait et corrompt tout, la triste et immonde élite de tous les maux.
CAMILLE LOTY MALEBRANCHE
Source: SOS crise