Les gouttes de crachin s'allongeaient et s'épaississaient et je parvenais à voir comment chaque goutte tourbillonait dans le vent. Ma veste est, depuis longtemps, entièrement mouillée et l'au qui déjà a pénétré mes sous-vêtements a pris la tiédeur de mon corps. C'est une sensation désagréable, j'ajuste mon chapeau et accélère la foulée.
Il suffirait de considérer ce moi trempé jusqu'aux os qui affronte la grisaille infinie piquée de pointes d'argent comme une silhouette qui ne serait pas moi, pour faire un poème qu'on lirait comme un haïku. C'est lorsque j'aurai oublié le moi présent et que j'aurau un regard purement objectif qu'enfin devenu figure picturale j'entrerai en parfaite harmonie avec le paysage naturel. A l'instant où je me soucierai de la pluie et me préoccuperai de la fatigue de mes jambes, je cesserais d'être le personnage d'un poème ou la figure d'un tableau. Je ne serai plus qu'un citadin mal dégrossi. Mes yeux ne verront plus le déplacement des nuées et des brouillards. Mon coeur ne sera plus sensible à la chute des pétales ni au chant des oiseaux. Et puis je comprendrai moins bien la beauté de ce moi qui s'aventure tout seul dans les montagnes du printemps avec mélancolie. J'ai commencé à marcher en baissant mon chapeau. Ensuite, j'ai avancé en fixant mon regard sur mes pieds. Enfin, j'avais une démarche craintive, le dos rond et les bras croisés. La pluie agitait autour de moi les arbres à perte de vue et menaçait le voyageur solitaire de tous côtés. Je suis allé un peu trop loin dans l'impassibilité.
Texte extrait de "Oreiller d'herbes" de Natsumé Sôseki
Photos à Ohara, Japon, juillet 2007