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Agnès Desarthe, Une partie de chasse Extrait : Pour l'instant, je suis seul. J'ai trouvé un endroit. Je tiens. Je dois parvenir à penser, à attendre, à m'organiser. C'est contre nature. Mes tendons me démangent. Mon instinct me dicte la fuite, mais j'en ai trop vu qui fuyant, se faisaient prendre, tuer dans le mouvement. Je tente l'immobilité, je tente le calme. Mais tout mon corps aspire à l'évasion, à l'esquive. Je dois le maîtriser lui imposer une loi que j'invente au fur et à mesure.
Le plomb qui jaillit de la carabine à l'instant où je jaillis de mon terrier. C'est beau cette rencontre. Une rencontre dans le temps, dans la perfection synchronique du hasard. Le chasseur ne l'a pas fait exprès. Il ne m'a pas vu. Il n'a pas visé, mais je gis, étonné, admiratif face à la beauté de l'imprévu, face à l'inéluctable Je suis si jeune et je vais mourir. C'est impossible. Je portais en moi un si grand, un si bel avenir. Je n'ai pas pu hériter de cette conscience pour rien. Quelqu'un, quelque part, avait forcément une idée derrière la tête. Ou bien non. Je suis si petit, je suis si mignon Quel dommage. L'homme qui me ramasse me ressemble. Nous nous regardons.... ..."Contre l’asthénie ambiante, les automatismes ou l’habitude du pire qui nous empêche d’apprécier l’ordinaire, Desarthe chante les facultés de l’homme à aimer, à se souvenir, à prendre le temps de vieillir, de jouir de la beauté. En somme sa liberté à changer le cours des choses sans tomber dans le piège de « faire ce qu’il sait faire"... (source Evene)