Source : Nikos Smyrnaios
Au delà de la crise économique et sociale dont souffre la Grèce, un drame politique grève le pays : l’émergence et la consolidation des pratiques autoritaires qui piétinent l’État de droit et la démocratie.
La Grèce n’a jamais été exemplaire au niveau du respect des libertés individuelles et des principes démocratiques. Comme le dit Cornelius Castoriadis, depuis le 5ème siècle av. J.-C., les Grecs n’ont jamais vraiment réussi à constituer une société politique reposant sur un État de droit au service de l’intérêt général.
Néanmoins, des grands progrès avaient été accomplis dans ce domaine les trois dernières décennies grâce à l’enracinement du pays dans un régime de démocratie libérale et l’influence positive de son adhésion à l’Union européenne en 1982.
Or depuis l’enclenchement de la crise économique, rapidement mue en chaos social, ces progrès politiques ont été dilapidés. Pire, le processus qui voit la naissance d’un régime autoritaire au sein de l’Europe s’est accélérée à partir de la chute du gouvernement Papandréou début 2012.
En effet, sous Papadèmos, le banquier dont la coalition incluait un parti xénophobe, mais surtout sous Antonis Samaras, premier ministre depuis juin 2012, il y a eu une terrible radicalisation autoritaire de l’État.
Pourtant, le gouvernement actuel est composé de trois partis a priori tout ce qu’il y a de plus respectable : la Nouvelle démocratie, parti de droite rassemblant néolibéraux et conservateurs populistes ; le Pasok bien connu ; et la Dimar, qui se veut le parti de la gauche réformiste.
Or c’est la garde rapprochée du Premier ministre qui exerce réellement le pouvoir profitant de la passivité bienveillante de ses alliés. Cette garde rapprochée est composée des transfuges de l’extrême droite comme Makis Voridis, militant violent dans les années 80 et proche de Jean-Marie Le Pen. Samaras lui-même s’était illustré dans les années 90 par des prises de positions nationalistes qui avaient même causé la chute du gouvernement de droit dont il était ministre en 1993.
Les trois piliers de ce régime autoritaire sont :
1. l’usage systématique de la violence policière contre les opposants à la politique du gouvernement actuel mais aussi contre des groupes sociaux faibles et marginaux comme les immigrés ;
2. l’intimidation et la censure des journalistes ;
3. l’emploi des méthodes de propagande et de désinformation afin de discréditer l’opposition de gauche de Syriza.
Plusieurs épisodes récents, parmi des dizaines, illustrent cette réalité. Début février quatre jeunes anarchistes ont été arrêtés dans la ville de Véroia, au nord de la Grèce, pour un braquage à main armée. Le lendemain la police a publié leurs photos, en vertu de la loi antiterroriste. Sur les clichés des traces de coups violents sont visibles malgré une tentative grossière de les effacer avec Photoshop. Les suspects ont confirmé avoir subi des tortures au sein du poste de police pendant plusieurs heures après leur interpellation.
Le même jour, quinze participants à une manifestation antifasciste en octobre 2012 portent plainte contre la police : ils avaient été arrêtés, puis torturés pendant plusieurs heures (coups, privation d’eau, insultes, terreur psychologique) dans les bureaux de la sécurité intérieure, en plein cœur d’Athènes. Le lendemain deux Commissaires de police dans deux quartiers différents de la ville ont été arrêtés pour avoir racketté des travailleurs immigrés.
Le 20 février plusieurs militants écologistes qui se battent contre l’exploitation minière de la forêt de Skouries sont kidnappés par la police. Ils restent sans contact avec l’extérieur pendant plusieurs heures pendant lesquelles ils sont interrogés sur leurs activités militantes et se voient prélever un échantillon d’ADN, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. Interrogés, les policiers declarent avoir agi sur « ordre du ministre ».
Le 31 janvier dernier, le magazine indépendant Unfollow publie une enquête mettant en cause la société Aegean Oil dans une affaire de contrebande de fioul et d’évasion fiscale. Le lendemain son propriétaire, le riche homme d’affaires Dimitris Melissanidis, appelle l’auteur du reportage et le menace de mort. Quand l’affaire est révélée Melissanidis porte plainte pour diffamation contre le magazine. Il est représenté par l’avocat Faïlos Kranidiotis, candidat de la Nouvelle démocratie et conseiller proche d’Antonis Samaras.
Dans une affaire similaire, le journal Parapolitika, propriété du richissime armateur proche de la droite Vangelis Marinakis, porte plainte contre le quotidien Avgi, organe politique du parti de l’opposition Syriza. La plainte porte sur un reportage d’Avgi qui dénonçait l’emprise des nouveaux oligarques Melissanidis et Marinakis sur les médias. L’avocat plaignant dans l’affaire n’est autre que le député de la Nouvelle démocratie Makis Voridis, admirateur de Le Pen et favorable au rétablissement de la peine de mort. La plainte exige que Avgi reverse 300 000 euros au titre de dommage et intérêts, ce qui équivaudrait à l’arrêt de mort du journal.
Ainsi va la vie dans un pays au sein de l’Union européen où des principes de base du régime démocratique comme le respect de la loi par les représentants de l’État et la séparation des pouvoirs n’ont plus lieu. Là où le Premier ministre effectue ce que François Hollande qualifie de « travail courageux ».