Exil fiscal : depardieu, vu par les russes

Publié le 02 mars 2013 par Martine Denoune @mdenoune

En direct de Moscou : l’exilé fiscal Gérard Depardieu, n’est pas forcément une idole en Russie. La réalité d’un Russe est bien éloignée de son tourbillon de banquets-lezguinka-chapka

Photo AFP

En Russie comme en France, l’opinion publique reste divisée sur l’exil fiscal de Gérard Depardieu.  Basée à Moscou et abonnée du Blog, Talliyana qui suit l’actualité de son pays à travers plusieurs supports (RosBusinessConsulting Daily,  RosBalt, Moskovsky Komsomolets, Agence de presse Grozny Inform et Kultura) vient de me faire part de son analyse sur cette icône du cinéma français. Je vous la communique :

Ce qui avait au début semblé n’être qu’une blague finit par gagner les esprits les plus sérieux: Gérard Depardieu continue de faire parler de lui tant en Russie qu’en Europe.

À Moscou, on se pose surtout la question de savoir si le “popularissime acteur français” est sincère dans ses sentiments et sa conduite.

L’opinion russe reste divisée

Gérard est autant plus apprécié qu’il adopte volontiers un comportement exubérant, fort en émotion. Semblable en somme, au comportement du Russe de la rue, lorsque heureux il n’arrive plus à retenir les manifestations de son “âme russe” dont on a tant parlé.

Que l’acteur fuie en Russie refusant de payer l’impôt en France n’est pas forcément révoltant. Après tout, bientôt 75% de prélèvement sur les revenus dépassant un million deuros paraît tout aussi révoltant au Russe, qui a tendance à comprendre le geste du comédien. En Russie, l’impression d’être volé par l’État et ses fonctionnaires est en permanence présente à l’esprit d’une grande majorité de la population.

 

Coup de griffe aux politiques

 

En Russie, il n’y a plus d’élite autre que le corps politique. Et l’homme politique russe est bien loin du fonctionnaire au service de son pays et de son peuple. De la politique, les Russes retiennent “le meilleur”, à savoir : revenus, statut, pouvoir – les trois ouvrant des possibilités infinies à l’homme d’État, bien au-delà du commun des mortels.

Quant au peuple sensé légitimer le pouvoir de ses dirigeants politiques et leur conférer leurs pouvoirs par le biais d’élections, il n’en garde bien souvent qu’une impression vague d’impuissance, un sentiment de s’être fait avoir, de financer de façon plus ou moins directe le bien-être de ces “élus” sans que jamais il y ait une quelconque politique sociale coordonnée qui soit mise en place.

 

Scepticisme de l’intelligentsia

 

L’approche de l’intelligentsia, catégorie définie sur bien des aspects par son scepticisme, est beaucoup plus critique.

Une façon de penser pour ces gens consiste à mettre à mal l’acteur et son enthousiasme. N’oublions pas, dit-on ainsi au sein du corps diplomatique, que l’acteur perçoit des honoraires de plusieurs millions. Il est facile d’aimer celui qui a du succès, celui qui est riche. Et un riche, européen qui plus est, saurait-il jamais être véritablement proche du “peuple russe” même s’il le prétend?

À voir les choses d’un regard impartial, Depardieu reste un étranger. Et ses tentatives de se faire passer pour un “simple Russe” relèvent limite de la comédie de mauvais goût. En effet, cest facile d’aimer la Russie lorsqu’on est reçu partout au plus haut niveau et avec des fanfares. Mais la réalité d’un Russe est à des années lumière de l’espèce de tourbillon de banquets-lezguinka-chapka qui semble avoir englouti Monsieur Gérard.

Aimer la Russie, c’est lutter : il faut l’aimer contre tous et contre tout, malgré les problèmes, la misère et la grisaille. L’intelligentsia va jusqu’à reprocher à l’acteur de montrer par son choix de vivre en Russie au grand jour ce que l’on préfère ne pas évoquer du tout : que nous, les Russes, vivons dans un État de non-droit, qui se finance principalement par la vente de ses ressources naturelles, où l’impôt ne se paie pas. Et où limpôt remplit une fonction punitive lorsqu’il s’agit au politique de remettre à sa place quelque businessman  trop indépendant et devenu dangereusement influant.

Une comédie à l’échelle mondiale ?

 

Pour clôre la liste des diverses émotions agitant le champ médiatique et la blogosphère russe, Gérard Depardieu est avant tout un acteur de comédie. Alors pourquoi ne serait-il pas entrain de nous jouer une comédie à échelle internationale, se moquant ainsi de ses “amis” politiques, français tout comme russes?

 Finalement, si l’homme finit par s’installer pour de vrai dans le pays, par faire quelques bons films à la française, créer un restaurant de bon goût – chacun aura au bout du compte gagné au change.

Entre les politiques qui auraient reçu un magnifique sujet médiatique pour détourner l’opinion de la crise,

l’acteur reçu en grande pompe à travers tout le pays,

les régions visitées et mises en valeur par un acteur de renom, plein de charme et de talents et

les simples citoyens de la grande Russie fiers de compter Depardieu dans leurs rangs –

le dossier russe de Gérard est loin de faire un bilan négatif après toutconclut Talliyana.

Talliyania, merci encore pour votre analyse pertinente. J’invite les lecteurs de ce billet à laisser des commentaires  sur la fiscalité française et… nos hommes politiques. Le clavier est  à vous.

A noter

France Culture diffusera à partir de lundi un entretien exclusif avec l’acteur, réalisé avant que n’éclate le scandale de son exil fiscal. Extraits.