Jacob de Becker (Anvers, c.1540/45-avant 1600),
La luxure, c.1570-75
Huile sur toile, 117 x 152 cm, Naples, Museo Nazionale di Capodimonte
(cliché © RMN-Grand Palais / Luciano Pedicini)
En France, le XVIe siècle fut indubitablement celui de la chanson, tant ce genre semble y avoir trouvé un plein épanouissement en se pliant à toutes les inspirations – amoureuse, religieuse, historique – et en devenant parfois un terrain privilégié d'expérimentations pour des compositeurs à la recherche de nouveaux modes d'expression. Avec Mignonne allons voir si la rose, que publie le remarquable label Ramée, l'ensemble Ludus Modalis, dont le travail a déjà été salué ici, nous propose de faire plus ample connaissance avec un musicien aujourd'hui négligé mais qui fut pourtant fameux, Guillaume Costeley.
Musique, tel est le titre sans apprêts du recueil que fit paraître en 1570, chez les imprimeurs royaux Adrien Le Roy
et Robert Ballard, celui que le frontispice décrit comme « organiste ordinaire et vallet de chambre du treschrestien et tresinvincible roy de France Charles IX. » Deux possibilités
étaient offertes jusqu'alors à qui souhaitait entendre certaines des pièces qu'il contient : soit en picorer quelques-unes disséminées au petit bonheur dans telle ou telle anthologie, soit
se reporter à l'unique enregistrement monographique qui leur avait été consacré par A Sei Voci (Erato/Musifrance, 1990), difficilement trouvable et, avouons-le, assez peu satisfaisant.
Aujourd'hui, grâce au travail mené par David Fiala, Yohann Elart et leurs étudiants de l'université de Rouen dans le cadre d'une collaboration débutée, il y a quelques années, autour du Puy de
Musique d’Évreux, et voué à déboucher sur une édition complète,
Il ne saurait être question, dans une chronique, de passer en revue les quelque cent chansons qui forment l'essentiel de la
substance de Musique et lui confèrent une grande variété d'inspirations, de la plus élevée à la plus triviale. Il est, bien sûr, question d'amour dans ce recueil, dans ses expressions
aussi bien raffinées (le soupirant Bouche qui n'as point de semblable) que désespérées (le sombre Sy c'est un grief tourment), grivoises (le piquant Perrette, disoit
Jehan) voire franchement lestes (le scatologique Grosse Garce noire et tendre), on y danse dans une campagne idéalisée conformément à la tradition (Allons au vert
boccage), mais pas seulement. L'histoire y a également sa place, comme dans La prise du Havre qui, en racontant un événement remontant à 1563 en faisant l'économie des onomatopées
et en utilisant des éléments de style savant, prend clairement ses distances vis-à-vis du modèle donné par Clément Janequin dans sa célèbre Bataille de Marignan,
On sait Ludus Modalis fin connaisseur du répertoire de la Renaissance française et son expertise trouve une nouvelle fois à
donner sa pleine mesure dans ce répertoire que l'on aimerait voir plus souvent défendu par les interprètes spécialisés. Les sept chanteurs réunis sous la houlette toujours aussi exigeante et
attentive de Bruno Boterf délivrent une prestation comme toujours de grande qualité, tant en matière de tenue vocale, parfaitement maîtrisée du point de vue de l'intonation, de la projection et
de l'articulation, que de discipline d'ensemble, essentielle pour que ces musiques sonnent avec toute la lisibilité indispensable au maintien de la clarté de leurs lignes et à leur
intelligibilité générale.
Mignonne allons voir si la rose est donc une réalisation particulièrement soignée et intelligente qui s'impose sans mal comme le disque à acquérir en priorité pour qui veut se familiariser avec l'univers de ce compositeur de premier plan qu'est Guillaume Costeley. Fruit d'un travail de maturation dont on salue le sérieux et l'engagement, il est une nouvelle réussite à mettre au crédit de Ludus Modalis qui, sans jamais verser dans les compromissions de certains de ses pairs, se révèle disque après disque comme l'un des meilleurs ensembles actuels spécialisés dans la musique de la Renaissance.
Ludus Modalis
Freddy Eichelberger, clavecin
Bruno Boterf, ténor & direction
1 CD [durée totale : 71'58"] Ramée RAM 1301. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Venez dancer au son de ma musette
2. Seigneur Dieu, ta pitié
3. Fantasie sus orgue ou espinette
4. Grosse Garce noire et tendre
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Guillaume Costeley : Mignonne allons voir si la rose | Guillaume Costeley par Bruno BoterfIllustrations complémentaires :
Artiste anonyme, XVIe siècle, Portrait de Guillaume Costeley dans l'édition princeps de Musique, 1570, cote VM 60 RES, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève.
Lambert Sustris (Amsterdam, c.1515/20-Padoue ou Venise, après 1568), Noli me tangere, entre 1548 et 1553 ? Huile sur toile, 136 x 196 cm, Lille, Palais des Beaux-Arts (cliché © RMN-Grand Palais / Jacques Quecq d'Henripret)
La photographie de Ludus Modalis est de Rainer Arndt, utilisée avec autorisation.