J’ai le trac, bien sûr que j’ai le trac, et si j’en parle c’est pour le traquer, afin qu’il disparaisse, que je puisse vous parler convenablement de ce roman que j’ai tant aimé. Un gros coup de cœur. Ce n’est pas la première fois que je trouve Denis Thériault remarquable ; l’Iguane et Le Facteur émotif, ses deux premiers romans m’ont frappée. Mais, pour moi, ce troisième est le meilleur. Pourtant, le titre me laissait indifférente et l’apparence du roman ne m’attirait pas. Heureusement que je connaissais l’auteur !
Au début de ma lecture, j’étais remplie d’appréhension. D’après le résumé, s’y trouvait quantité de personnages hors norme, « étranges et fascinants » disait-on. Une squeegie, une prostituée muette, un ex-prof alcoolo, un nain exhibitionniste, le naïf, Mollusque, le dur à cuire, Frigon, Matsheshu, l’Indien et le fragile Ozzy que sa sœur, Aude (la squeegie) protège. Déjà, en partant, le lecteur sait qu’il va perdre ses repères. Pas trop... espérais-je, que je m’y retrouve à la fin. Oh que oui, je m’y suis retrouvée ! La fin est géniale, c’est à en pleurer, mais le chemin pour y arriver, tout autant.
Nous partons d’un lieu qui prend beaucoup d’importance tout au long de l’histoire, un immense bunker que des itinérants squattent, les personnages ci-hauts mentionnés en étant. Il y a des personnages plus importants que d’autres, Ozzy et sa sœur, ce que l’on réalise rapidement. Une fête se prépare pour Ozzy, dont c’est l’anniversaire, et l’événement laisse supposer qu’Ozzy est le personnage central. Il serait le centre de la tribu mais ne la dirige pas. Ce beau monde a conféré à Aude l’autorité, toute l’autorité. C’est une tribu, d’accord, aux liens tissés serrés, d’accord, mais pourquoi Aude en serait-elle la chef, plus que des personnages plus imposants ? Déjà, ce mystère, en partant.
Les mots « tribu », « bunker », « autorité », suggèrent qu’un danger menace, la vie est précaire pour des itinérants. Une vie quotidienne en apparence réglée au quart de tour se déroule sous nos yeux, chaque membre de la tribu s’acquittant d’un rôle dans ce bâtiment rudimentaire. Une mini société s’est organisée, jusqu’à ce que des éléments extérieurs viennent perturber ce semblant d’harmonie. Des menaces d’expropriation du bunker squatté et l’arrivée d’une femme qui fascine Ozzy. Cette femme commencera sa vie sur les murs du bunker, Ozzy crée des personnages, il est peintre. Ce qui perturbera grandement Aude, sa sœur. Par jalousie ? Par esprit de protection trop fort ? Ou est-ce une réelle menace ?
À partir de là, tout bascule. Je me suis demandé à un moment donné si l’histoire ne s’était pas transformée en haletant suspense policier. D’innombrables questions m’assaillaient mais, fébrile, je ne m’arrêtais pas pour les confronter. L’auteur a fait en sorte qu’il en soit ainsi. Il arrive à entretenir l’attitude que l’on a devant un rêve ; ne pas remettre en questions les personnages créés dans notre tête, les laisser agir selon leur propre logique interne.
Ce n’est pas pour rien que j’avais le trac, comment communiquer ce que j’ai ressenti devant cette histoire « à la poupée russe » pour ses couches soulevées, une à une, dévoilant une réalité autre que celle que je croyais ? Je conserve intacte l’intrigue qui repose sur des clés, ouvrant des portes, qui elles ouvrent d’autres portes. Vous allez dire que jusqu’à date, vous devez me croire sur parole. C’est vrai, je m’avoue prudente, ne prenant aucun risque d’en dévoiler trop, évitant à tout prix d’arracher le rideau exposant les ficelles.
Ce que je peux dire est que les amateurs de psychiatrie, dans ce qu’elle a de meilleur à donner, seront servis sur un plateau de symbolismes. Qu’une solide et sordide histoire de famille sert de trame de fond. Que les amants de symboles lourds de sens et faisant du sens seront projetés au septième ciel, encore plus s’ils sont ouverts à la mythologie.
Le style ? À la hauteur de l’histoire, ce qui n’est pas peu dire.
Un roman qui démontre avec force et imagination l’instinct de survie d’un esprit gravement perturbé et jusqu'où peuvent aller les aberrations d’un cerveau traumatisé. Si vous privilégiez les romans convenus où vous ne vous sentez jamais égarés, passez votre tour pour celui-ci.