-Benoît XVI a renoncé à sa charge, invoquant son état de fatigue-
Le mardi 19 avril 2005, en fin d’après-midi, une fumée blanche s’échappe de la cheminée de la chapelle Sixtine, au Vatican : elle annonce l’élection du 265ème successeur de Saint-Pierre. Moins d’une heure plus tard, le monde fait la connaissance du nouveau chef de l’Eglise catholique romaine : le cardinal Joseph Ratzinger. Ce dernier a choisi de s’appeler Benoît XVI, en référence à Benoît XV, « Pape de la paix » durant la Première Guerre Mondiale, mais aussi en référence à saint Benoît de Nursie, fondateur de l’ordre bénédictin et saint patron de l’Europe. En faisant le choix du cardinal Ratzinger, les cardinaux ont voulu placer à la tête de l’Eglise un intellectuel, grand théologien et grand philosophe. Contrairement à une rumeur se diffusant à la faveur de certaines sources mal renseignées, Benoît XVI n’a aucunement fait campagne pour se faire élire Pape. Comme il le dit lui-même dans son livre Lumière du monde[1] « En réalité, j’attendais de trouver enfin paix et repos. Me voir soudain confronté à cette énorme tâche a été pour moi un choc (…). ». Cependant, en fils obéissant de l’Eglise, il accepte cette lourde charge, alors qu’il est âgé de 78 ans. D’aucuns affirment bien vite de lui qu’il sera, à la suite du grand Jean-Paul II, un simple « Pape de transition ». Or, l’Histoire l’a prouvé à de nombreuses reprises, les Papes dit « de transition » sont souvent de grands et bons souverains pontifes. Et, il est évident que l’Histoire se répète avec Benoît XVI… Aujourd’hui, environ huit années après cette élection historique, un nouvel évènement s’inscrit déjà comme un point focal de l’Histoire de la Papauté et de l’Eglise : lundi 11 février 2013, en la mémoire liturgique de Notre-Dame de Lourdes, le Pape a annoncé qu’il renonçait désormais à exercer son ministère « Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l'avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. »[2].
Quel bilan pouvons-nous tirer du pontificat de Benoît XVI ? Peut-on affirmer que ce Pape n’a été qu’un Pape dit « de transition », ou au contraire, peut-on dire de lui qu’il est parvenu à imprégner de sa marque la vie ainsi que l’Histoire de l’Eglise en ce début de XXIème siècle ?
L’œuvre de Benoît XVI en tant que Pape
C’est le 24 avril 2005 que le pontificat de Benoît XVI commence officiellement, à l’occasion d’une messe solennelle d’intronisation. Dans son homélie, très attendue, Benoît XVI reprend les paroles que Jean-Paul II avaient lui-même prononcées lors de la messe d’intronisation de son pontificat en 1978 « N’ayez pas peur, ouvrez toutes grandes les portes au Christ » : dès lors, on comprend que le nouveau pontificat va s’inscrire dans la continuité du précédent. Très vite pourtant, Benoît XVI affiche un style et une personnalité bien différents de son prédécesseur. Le pontificat de Benoît XVI commence dans une vague d’enthousiasme : au cours de sa première année de fonctions, le nouveau Pape rassemble près de quatre millions de personnes sur la place Saint-Pierre, deux fois plus que ses prédécesseurs dans leur première année. Depuis le Habemus Papam du 19 avril 2005, « la bienveillance de l’opinion publique pour le Pape Benoît XVI, alias Joseph Ratzinger, ne faiblit pas » écrit Der Spiegel. Un intellectuel est à la tête de l’Eglise catholique et, cela se ressent fortement. L’objectif du nouveau Pape est de remettre à flot une « barque qui prend l’eau de toute part »[3] pour reprendre les propres mots du Saint-Père.
Afin de remettre l’Eglise à flot, Benoît XVI va d’abord tenter de favoriser une stricte application du Concile Vatican II. Toute la vie de Joseph Ratzinger a été ordonnée autour du Second Concile du Vatican (1963-1965) : le Pape n’a jamais dissimulé l’enthousiasme qu’avait suscité chez lui cette ébullition ecclésiale et intellectuelle. Cependant, il a toujours déploré le fait que, selon lui, l’esprit du Concile ait fini par en détruire la lettre. En effet, pour Benoît XVI, il existe deux Conciles Vatican II : le Concile « réel » et un Concile « virtuel », politique et médiatique. Dès le lendemain de son élection au trône de Pierre, Benoît XVI a réaffirmé son attachement à Vatican II devant les cardinaux réunis dans la chapelle Sixtine. Quelques mois plus tard, le 22 décembre 2005, le souverain pontife prononce un discours face à la Curie romaine, discours qui restera celui de « l’herméneutique de la continuité » : le Pape refuse l’interprétation selon laquelle le Concile a entraîné une rupture radicale entre une « Eglise préconciliaire » et une « Eglise postconciliaire » ; au contraire, pour lui, Vatican II s’inscrit dans la longue Tradition de l’Eglise, à laquelle Benoît XVI est très attaché. Ainsi, le cœur de son pontificat aura été de relire le Concile Vatican II à la lumière de la Tradition. Afin de mettre concrètement en œuvre cette « ligne de conduite », le Saint-Père a usé d’une méthode très simple, combinant à la fois pédagogie et exemplarité. Au lieu d’imposer, Benoît XVI a préféré montrer, suggérer à ses fidèles que les grandes lignes de Vatican II n’étaient en rien incompatibles avec la Tradition. L’exemple le plus évident d’application de cette méthode fut donné dans le domaine de la liturgie. Il est clair que la question de la liturgie a constitué un des « dossiers » majeurs du pontificat de Benoît XVI, notamment du fait que le pontife romain a tenté d’insuffler un nouvel esprit liturgique, proche de celui de la grande Tradition de l’Eglise, et qu’on appelle désormais la « réforme de la réforme ». C’est ainsi qu’à l’occasion des célébrations pontificales, le Pape et son maître des cérémonies, Mgr Guido Marini, ont voulu mettre concrètement en œuvre la véritable liturgie voulue par la réforme issue du Concile Vatican II. Les célébrations pontificales ont retrouvé leur magnificence d’antan et, certains détails ont volontiers manifesté le lien entre la réforme liturgique postconciliaire et la Tradition : la sainte communion donnée selon la forme traditionnelle (à genoux et sur la langue) ; un crucifix dressé au centre du maître-autel afin de rappeler que le sacrifice de la messe est d’abord offert à Dieu ; l’usage de vêtements liturgiques plus « traditionnels » ; etc. Dans une optique similaire, Benoît XVI a entrepris un rapprochement avec les catholiques intégristes de la Fraternité Saint-Pie X. Soucieux de maintenir la communion au sein même de l’Eglise, le souverain pontife a également tout mis en œuvre pour développer l’œcuménisme, le dialogue entre chrétiens, à la suite de l’enseignement de Vatican II. Lors de son élection, Benoît XVI est précédé d’une réputation de gardien du dogme, peu ouvert au dialogue. Aussi les premières déclarations papales provoquent-elles la surprise : face aux cardinaux, le Pape prend comme « premier engagement de travailler sans épargner ses forces à la reconstruction de l’unité pleine et visible de tous les fidèles du Christ ». Plus que de simples paroles, le Saint-Père accomplis de beaux gestes en faveur de l’œcuménisme. Ici, la constitution apostolique Anglicanorum coetibus datée du 4 novembre 2009 pourrait constituer un bel exemple : le Pape a offert aux clercs anglicans la possibilité de conserver leurs traditions tout en réintégrant le giron romain. Par ce geste, le Pape montrait son ouverture d’esprit et sa volonté d’union entre tous les fidèles disciples du Christ. Il montrait surtout que pour lui, l’œcuménisme ne consistait pas en de veines paroles, mais en des actes concrets. Dans cette perspective, Rome est également parvenue à se rapprocher des chrétiens orientaux, et particulièrement des orthodoxes. Durant les presque huit années de pontificat de Benoît XVI, Rome et Moscou se sont davantage rapprochées que pendant les quarante années précédentes. Ce rapprochement est le fait d’une communauté d’intérêts relative à la sauvegarde de la foi et aux « racines chrétiennes » de l’Europe.
Durant son pontificat, Benoît XVI entend également favoriser un certain « recentrage » de la foi. Dans une homélie datée du 18 avril 2005, celui qui n’était encore que le cardinal Ratzinger allait poser les jalons d’un autre grand axe de son pontificat. « Posséder une foi claire, selon le credo de l’Eglise, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c’est-à-dire se laisser entraîner « à tout vent de la doctrine », apparaît comme l’unique attitude à la hauteur de l’époque actuelle. L’on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Nous possédons, en revanche, une autre mesure : le Fils de Dieu, l’homme véritable. C’est lui la mesure du véritable humanisme. Une foi « adulte » ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés ; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans l’amitié avec le Christ. C’est cette amitié qui nous ouvre à tout ce qui est bon et qui nous donne le critère permettant de discerner entre le vrai et le faux, entre imposture et vérité. Cette foi adulte doit mûrir en nous, c’est vers cette foi que nous devons guider le troupeau du Christ. Et c’est cette foi, cette foi seule, qui crée l’unité et qui se réalise dans la charité. ». Il paraît évident que Benoît XVI a été avant tout un Pape intellectuel, un Pape « écrivain », en témoignent les nombreux ouvrages qu’il a rédigé, ou encore la qualité scripturaire de ses homélies ou de ses discours. Durant son pontificat, le souverain pontife n’a cessé d’inviter les fidèles à se recentrer sur l’essentiel de la foi chrétienne : Jésus-Christ. Dans cette perspective, Benoît XVI a concrétisé un projet qui lui tenait à cœur depuis de longues années : il a écrit un livre sur Jésus-Christ, livre dans lequel il allie fort bien le Jésus historique et le Jésus de la foi[4], qui pour lui, sont une seule et même personne. De manière générale, l’enseignement du Pape a largement dépassé le simple domaine de la théologie ou de la philosophie : le regard de Benoît XVI a également porté sur la situation de nos sociétés liée, selon lui, à la crise de la modernité. Cette crise n’est pas, pour le souverain pontife, une simple crise de la foi, de la croyance, elle est avant tout une crise de la raison. Les sociétés occidentales reposent désormais sur des postulats qui ne déroutent pas simplement le christianisme, mais tout le logos occidental. La formule favorite du Pape, « dictature du relativisme », est fort intéressante. Pour Benoît XVI, le monde moderne est dominé par la tyrannie des désirs et, dans ce contexte, il ne saurait exister une place suffisante pour la raison, et donc pour la vérité. Il convient donc de restaurer cette place pour retrouver le sens de la raison, mais aussi le sens de Dieu. Pour y parvenir, le Pape invite à redonner au monde le sens de l’enseignement : la transmission du savoir est un point essentiel pour Benoît XVI.
Enfin, il apparaît clairement que durant son pontificat, Benoît XVI a ardemment cherché à proclamer la complémentarité de la foi et de la raison. La modernité a favorisé une certaine dissociation entre la foi et la raison humaine : Benoît XVI, peut-être à l’image de Benoît XIV (1740-1758), a voulu montrer qu’il n’en était rien. Cela transparaît dans ses nombreux discours, tel celui qu’il a prononcé au collège des Bernardins, lors de son voyage en France en 2008. Pourquoi le souverain pontife a-t-il tant insisté sur ce thème durant son pontificat ? Parce que selon lui, la foi et la raison ont un seul et même objet, la vérité, dont la finalité est la connaissance du Bien, naturel et surnaturel[5]. Or, pour Benoît XVI, recherche le vrai, le bien, c’est percevoir le Christ comme lumière éclairant tout homme. En insistant sur ce thème, l’intention du Pape était donc d’aider les hommes à trouver leur bonheur (en Dieu).
Les difficultés d’un pontificat
Nombreuses sont les « tempêtes » qui ont secoué le pontificat de Benoît XVI, si bien que l’on pourrait comparer ce pontificat, au moins dans ses dernières années, à un véritable chemin de croix : abus sexuels du clergé, épineuse question des catholiques traditionnalistes, fossé se creusant entre l’Eglise et le monde moderne, tsunami médiatique… rien n’aura été épargné au Saint-Père, pas même le fait d’être trahi par son propre majordome !
Dans un premier temps, Benoît XVI a hérité des « affaires » datant du pontificat précédent et, qui n’ont pas été réglées. Ces problèmes, le nouveau Pape les connaît fort bien puisqu’il les a lui-même géré lorsqu’il était Préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi. Dans son homélie du 24 avril 2005, le Pape déclarait « Priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas, par peur, devant les loups. » : sans doute ces quelques mots résumaient-ils à eux seuls les questions délicates dont Benoît XVI savait bel et bien qu’elles se devaient d’être traitées. La levée de l’excommunication de quatre évêques de la Fraternité Saint-Pie X[6] (des catholiques traditionalistes considérés comme intégristes) en janvier 2009 constitue une première rupture dans le pontificat de Benoît XVI : parmi ces quatre évêques figure notamment Mgr Richard Williamson, dont on révèle alors une interview jusqu’alors inédite où il nie l’existence des chambres à gaz. Pratiquement au même moment, une nouvelle rupture intervient : après les Etats-Unis au début des années 2000, des révélations d’abus sexuels accablent l’Eglise d’Irlande, de Belgique et d’Allemagne. Fidèle à sa ligne de conduite, le souverain pontife convoque auprès de lui les épiscopats concernés. Il insiste également pour rencontrer les victimes ainsi que leur famille à l’occasion de ses déplacements internationaux : « Tout cela nous a choqués et me bouleverse toujours au plus profond de moi-même », confesse-t-il dans Lumière du monde. Pour nombre de prélats, cette cascade d’affaires anciennes mettant en cause des prêtres pédophiles n’est qu’une manipulation médiatique au détriment de la personne de Benoît XVI, que les médias jugent d’ailleurs comme un Pape trop conservateur, incapables à leurs yeux de réconcilier l’Eglise et le monde moderne. Or, en mai 2010, lors du pèlerinage du Pape à Fatima, se produit un tournant : le 12 mai, à la veille d’une messe solennelle qu’il doit célébrer, Benoît XVI confie aux journalistes qui l’accompagnent dans l’avion sa vision des choses. Contrairement à bon nombre de prélats, le souverain pontife reconnaît la gravité des actes de pédophilie et assume la part de responsabilité de l’Eglise catholique. Il déclare notamment que la plus grande persécution de l’Eglise ne vient pas finalement d’ennemis extérieurs, mais de son sein même. Pour le Pape, il est indispensable que l’Eglise se soumette à une sorte de « purification » intérieure. Le lendemain, devant une foule de 500 000 personnes, Benoît XVI demande aux fidèles de prier avec lui pour que l’Eglise sorte de cette crise. A peine rentré à Rome, il renforce l’appareil juridique prévu par le droit canonique pour lutter contre les prêtres pédophiles. D’autres décisions seront encore prises par la suite afin de favoriser la lutte contre les cas de pédophilie internes à l’Eglise. Benoît XVI appelle de ses vœux une « tolérance zéro » concernant ce problème. Il est manifeste que quelques erreurs de gouvernance ont été commises durant le pontificat de Benoît XVI, mais le souverain pontife n’en porte pas la seule responsabilité, car à certains moments, ses collaborateurs proches ne lui ont pas dit toute la vérité sur certains sujets. Cependant, beaucoup des attaques médiatiques sur la personne du Saint-Père visaient davantage la déstabilisation de l’institution ecclésiale que le Pape lui-même. A chaque fois, Benoît XVI a su prendre les décisions qui s’imposaient, parfois même des décisions drastiques.
Au-delà des « problèmes » internes à l’Eglise, directement issus du pontificat précédent, divers incidents ont aussi noircis le pontificat de Benoît XVI. Parmi ces « incidents », il convient notamment de citer le discours de Ratisbonne. Le 12 septembre 2006, Benoît XVI prononce à l’université de Ratisbonne en Allemagne[7] un discours intitulé « Foi, raison et université – Souvenirs et réflexions », discours dans lequel il présente un rapport entre la foi et la raison. Dans ce discours, le Pape évoque un moment les rapports existants entre religion et violence, afin de condamner toute forme de violence exercée au nom de la religion. Il relate notamment une controverse datant de la fin du XIVème siècle entre l’empereur de Constantinople Manuel II Paléologue et un érudit musulman persan : les propos du Pape sont mal compris et, ils provoquent une polémique dans certains milieux musulmans[8] ainsi qu’une vague de violences ; dans le monde occidental, beaucoup prennent la défense du souverain pontife au nom du dialogue interreligieux et de la liberté d’expression. Quelques jours plus tard, le 14 septembre, un communiqué du Vatican précise « (…) le Saint-Père souhaite cultiver une attitude de respect et de dialogue envers les autres religions et cultures, et de toute évidence aussi l’islam », et que ce discours était « un refus clair et radical de la motivation religieuse de la violence ». Le voyage du Pape en Turquie permet par la suite de sceller l’entente entre catholiques et musulmans sur le plan international. Notons au passage que sous le pontificat de Benoît XVI, l’Eglise catholique a entretenu de très bonnes relations avec le monde du judaïsme. En effet, dès son discours d’investiture, le Saint-Père a souligné les liens privilégiés existant entre catholiques et juifs, qu’il qualifie de « pères dans la foi »[9]. De même, Benoît XVI est le Pape qui a visité le plus de synagogues ; comme Jean-Paul II, il s’est rendu au mur des Lamentations et s’y est recueillit lors de sa visite à Jérusalem en mai 2009. Enfin, un dernier point qui a particulièrement retenu l’attention des médias durant son pontificat est relatif à sa position en matière d’utilisation du préservatif. Malgré certaines incompréhensions de la part de certains médias, Benoît XVI a su se faire comprendre concernant la question de la prévention à l’égard de l’épidémie du sida, alors que son prédécesseur n’avait jamais accepté de s’expliquer vraiment sur le sujet. Concernant l’utilisation du préservatif, Benoît XVI a déclaré qu’il n’était pas le « seul moyen » possible afin d’empêcher la propagation du sida en Afrique.
Au final, le pontificat de Benoît XVI apparaît comme un pontificat chahuté. Le sortie, en Italie, en juin 2012, du livre Sua Santita[10], véritable polar journalistique écrit à partir de documents confidentiels sortis du Vatican, avec la complicité du majordome du Saint-Père, a mis en lumière les rivalités et dysfonctionnements au sein de la Curie romaine. L’affaire qu’on surnomme déjà « Vatileaks » fait l’effet d’un nouveau coup de tonnerre à Rome ainsi que dans le monde catholique. Cette affaire apparaît aujourd’hui comme la dernière station du pontificat de Benoît XVI : le Pape aura souffert jusqu’au bout. Le 24 mai 2012, le majordome du Pape, Paolo Gabriele, est arrêté et incarcéré, il sera jugé sept mois plus tard. Benoît XVI déclare notamment à Peter Seewald durant l’été 2012 « Je ne suis pas tombé dans une sorte de désespérance, ou de douleur indicible, cette affaire m’a été tout simplement incompréhensible ». Quelques mois plus tard, le 22 décembre 2012, à l’image de Jean-Paul II qui était allé rendre visite en prison à celui qui avait tenté de l’assassiner, Benoît XVI gracie Paolo Gabriele et lui rend personnellement visite. Il est probable que l’affaire Vatileaks ait submergé le Pape. Peut-être a-t-elle joué quant à la renonciation de Benoît XVI. Du reste, cette succession de scandales a véritablement pesé sur la gouvernance de Benoît XVI. Or, trop âgé pour entamer une « réorganisation » de la Curie, le Pape a préféré consacrer toutes ses forces à la nouvelle évangélisation du Vieux continent.
La renonciation et les enjeux du prochain pontificat
La renonciation de Benoît XVI à l’exercice de sa charge d’évêque de Rome apparaît comme un évènement historique dans la mesure où aucun souverain pontife n’a renoncé à la Papauté depuis 1415 (Grégoire XII). De plus, alors que Benoît XVI apparaissait comme un Pape classique, conservateur, il pose là un acte complètement novateur, un acte qui surprend.
Il est environ 11h30 à Rome lorsque, le 11 février 2013, Benoît XVI annonce aux cardinaux présents à Rome et réunis en consistoire face à lui son désir de renoncer à l’exercice du ministère pétrinien. Il invoque pour justifier cette décision plusieurs arguments : l’épuisement physique dû à son âge avancé ; un monde moderne en perpétuel changement que seul un Pape qui a encore la vigueur du corps et de l’esprit peut appréhender. « (…) bien conscient de la gravité de cet acte, en pleine liberté, je déclare renoncer au ministère d’évêque de Rome, successeur de saint Pierre (…) de telle sorte que, à partir du 28 février 2013 à vingt heure, le Siège de Rome (…) sera vacant et le conclave pour l’élection du nouveau souverain pontife devra être convoqué (…). ». Aucun des cardinaux présents ne s’attendaient à cette nouvelle. Le doyen du Sacré Collège, Angelo Sodano, n’a été informé de cette décision qu’une heure auparavant. Cette décision, Benoît XVI l’a mûrie depuis longtemps déjà. En effet, déjà sous le pontificat du bienheureux Jean-Paul II, le cardinal Ratzinger évoquait la possibilité d’une démission papale, alors que Jean-Paul II répondait à cette évocation par la négative. Le Pape polonais était très conscient de son état physique, et pourtant, il ne pouvait admettre renoncer à l’exercice de sa charge : le Christ n’est pas descendu de la croix disait-il souvent. Avec Benoît XVI, Pape plus «rationnel » que mystique, la situation est toute autre : il n’abandonne pas l’Eglise, mais il juge simplement que dans le contexte actuel, il est préférable qu’un homme plus « vigoureux » manie le gouvernail de la barque de saint Pierre. D’aucuns affirment même que dès son élection, le Pape avait pris sa décision : il renoncerait à l’exercice de sa charge lorsqu’il n’aurait plus la force de conduire l’Eglise catholique. Durant son pontificat, il a même semé quelques « indices » qui ne trompent pas. Un des plus significatifs se trouve sans doute dans Lumière du monde, lorsque le souverain pontife déclare qu’en certaines circonstances, le Pape peut, ou a même l’obligation de démissionner.
De manière générale, cette annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Quantité de chefs d’Etat ont manifesté leur sympathie et l’admiration qu’ils entretenaient envers le chef de l’Eglise catholique. Cette décision est aujourd’hui avant tout perçue comme un acte d’humilité et d’amour pour l’Eglise, même si ça et là, quelques critiques se font jour. En tout cas, alors que Benoît XVI apparaissait comme un Pape conservateur, il a posé là un acte totalement novateur et, en ce sens, on peut dire que sa renonciation est un évènement historique. En effet, alors que la pratique du pouvoir pontifical s’exerçait depuis des siècles jusqu’à la mort du Pape, Benoît XVI inaugure une nouvelle façon d’envisager cette pratique : le Pape n’est plus forcément en fonction jusqu’à son dernier souffle. Un tel changement « institutionnel » est un véritable bouleversement au sein de l’Eglise catholique. Cela semble ouvrir une voie au nouveau pontificat qui se dessine à l’horizon, un nouveau pontificat qui aura à faire face à de nombreux enjeux : la sécularisation grandissante de l’Occident et la crise de la modernité ; l’émergence d’une société toujours plus libertaire et relativiste ; la nécessité de poursuivre le dialogue œcuménique et surtout, de repenser le dialogue interreligieux, en particulier avec un Islam présent en Europe ; le nécessité d’assurer l’unité au sein même de l’Eglise catholique.
En 1985, le cardinal Joseph Ratzinger avait donné dans son Entretien sur la foi une sorte de livre-programme pour une remise en ordre de l’Eglise en crise. Parmi les grands axes de ce programme se trouvait notamment la nécessité d’enseigner un catéchisme structuré, de mettre fin aux abus liturgiques, de ne pas laisser les théologiens enseigner en roue libre, mais de leur permettre de s’inscrire dans la fidélité à l’enseignement du Magistère, etc. Il est clair que, devenu Benoît XVI, l’ex-cardinal a tenté au mieux de mettre en œuvre ce « programme ». Cette mise en œuvre, il la fait à sa façon, à la fois discrètement et de manière pertinente. Au terme de près de huit années de pontificat, les médias ne sont pas toujours d’une grande tendresse avec le successeur de Jean-Paul II : beaucoup le jugent effectivement comme un « Pape de transition » qui aura eu un pontificat aux allures modestes…Certes, son pontificat n’aura pas été si « marquant » que celui de son prédécesseur, néanmoins, il aura été tout aussi important dans la mesure où il l’a complété. D’abord comme cardinal, puis comme Pape, Benoît XVI a cherché à répondre à la question suivante : comment l’Eglise peut-elle s’affirmer dans un monde où l’autorité, les institutions et les valeurs sont sans cesse remises en question ? Le Concile Vatican II, mal interprété en ses textes, a rencontré de front une crise de civilisation sans précédent, celle de Mai 68. Dans un contexte d’accélération extrême de la modernité jusqu’à la dissolution de ce qui structurait depuis des siècles la société (l’Eglise, la famille, l’école et l’autorité étatique), l’Eglise catholique, surtout en Occident, s’est trouvée malmenée par une violente « tempête ». Dans le même temps, de nouvelles potentialités naissaient et s’affirmaient, mais en-dehors du Vieux contient. Aujourd’hui, l’Eglise catholique est en pleine expansion dans le monde, alors qu’en Europe, le nombre de ses fidèles diminue. De manière générale, on peut dire qu’avec Benoît XVI, l’Eglise a gagné en vitalité, en visibilité et en crédibilité, même si le pontificat a été entaché par de nombreux scandales. Il n’en reste pas moins que ce pontificat a permis l’émergence d’un « nouveau » catholicisme : un catholicisme alliant tradition et jeunesse, piété liturgique et esprit missionnaire. Au final, le pontificat de Benoît XVI aura peut-être préparé le catholicisme à entrer dans un nouvel âge (au moins en ce qui concerne le catholicisme européen) : un âge où l’Eglise deviendrait minoritaire mais vigoureuse.
Sources :
Lumière du monde, Entretien avec Peter Seewald, Bayard, 2010
Mon frère, le Pape, Entretien avec Michael Hesemann, Bayard, 2011
France Catholique, n°3340, Février 2013
Benoit XVI, Si humble, Si grand, in PELERIN – Hors Série, Février 2013
C’était Benoît XVI, in LE FIGARO – Hors Série, Février 2013
Wikipédia
Emmanuel ECKER.
[1] Ce livre est issu d’un entretien que le Pape a accordé à Peter Seewald. Le fait qu’un Pape se livre de la sorte et, de manière si « informelle » est une première dans l’Histoire.
[2] Extrait du discours de Benoît XVI annonçant, devant les cardinaux réunis en consistoire, sa renonciation au siège pontifical.
[3] Cette expression de Benoît XVI désigne l’Eglise catholique.
[4] Il s’agit du livre Jésus de Nazareth, 2 tomes + un autre livre qui est comme une « introduction » des deux livres précédents, L’enfance de Jésus.
[5] On retrouve là un des thèmes de la philosophie platonicienne, développé dans plusieurs dialogues.
[6] Il s’agit des catholiques intégristes qui refusent les évolutions initiées par le Concile Vatican II, notamment sur le plan de la liturgie.
[7] Benoît XVI a été professeur à l’université de Ratisbonne.
[8] On pense que le Pape a associé la religion musulmane à la violence, qu’il a critiqué le jihad (« guerre sainte ») ainsi que le Prophète.
[9] Jean-Paul II appelait les juifs « frères aînés dans la foi », cette expression étant peut-être plus « maladroite » puisque dans le Bible, le frère aîné fait référence à l’épisode de Caïn et Abel (Gn 4).