« Le soleil est rare, et le bonheur aussi... » chantait Serge Gainsbourg. Aussi lorsqu’en cet été maussade s’affiche la mine réjouie d’un homme qui, en substance, clame haut et fort qu’il est heureux, on ne peut que marquer son intérêt. Cet homme, c’est Claude Guéant, Ministre de l’Intérieur de la République Française. Le printemps arabe vire à l’été sanglant, les marchés financiers vacillent (ça devient une habitude), l’Europe s’enfonce dans son néant politique de « machin » ingérable et ingéré, la guerre en Afghanistan vient de faucher deux soldats français supplémentaires mais bon, heureux, il est, Claude Guéant. Sinon, comment expliquer qu’il se soit fendu, ce 8 Août, d’une déclaration, comme ça, tout à trac, sans qu’on ne lui ait rien demandé?
Alors quoi? Aurait-on enregistré une notable amélioration sur le front des « atteintes aux personnes »? La confiance reviendrait-elle entre les forces de police et les habitants dans les « quartiers »? Non, rien de tout cela. L’objet de ce communiqué de Claude Guéant, c’est un état statistique des expulsions d’immigrants illégaux. Du temps de son prédécesseur, Brice Hortefeux, l’objectif «avait été fixé à 28.000 reconduites, (il a) décidé de (le) remonter à 30.000». «Pour l’instant, il semble que nous puissions atteindre cet objectif», et «si nous l’atteignons, ce sera le meilleur résultat que nous aurons historiquement enregistré», a souligné Claude Guéant. Alors, elle est pas belle, la vie ? 28 000, c’était déjà pas mal : c’est l’équivalent d’une ville comme Soissons, en Picardie. Hop, a p’us Soissons. Mais 30 000, là, respect : on vise quelque chose comme Saint-Laurent-du-Var, ou Mont-de-Marsan. Bon. Notons qu’à date, il ne s’agit encore que d’un objectif à atteindre à la fin de l’année : d’ci là il peut s’en passer, des choses, comme une grève d’Air France (c’est rare, mais ça arrive). Cela dit le ton est donné : à cœur vaillant, rien d’impossible, allez, tope-là, 30 000, et cochon qui s’en dédit. Ça sera un résultat « historique », hosanna au plus haut des cieux.
Mais, peut-on se demander, pour quoi faire? Pourquoi accroître de 7% la charge de travail de policiers passablement débordés ? De la part d’un ministre a priori sérieux, on pourrait s’attendre à des explications socio-économiques, portant sur la pénurie de logements sociaux, ou sur les emplois clandestins que des patrons peu scrupuleux seront bien obligés de pourvoir avec des salariés déclarés. A minima, le Ministre de l’Intérieur pourrait mentionner le fait que «dura lex, sed lex » et que son boulot c’est de la faire respecter, justement. 2 000 contrevenants supplémentaires sanctionnés, en soi c’est un résultat respectable quand on est ministre de la loi et de l’ordre. Bien sûr, à chacune de ces motivations on pourrait faire des objections, à commencer par le fait que l’immigration clandestine est, par définition, difficile à quantifier, et que donc, 28 000 ou 30 000, quelle différence ça peut bien faire ? Mais la question n’est pas là.
Car ce qui est remarquable, dans ce communiqué triomphaliste, c’est qu’aucune de ces finalités n’est évoquée. Non, la « maîtrise des flux migratoires » est une « priorité » car «il s’agit d’une vision de la France de demain», rien que ça. Le ministre explique que la France «a une histoire, des racines, une culture, un corps de doctrine sociale, juridique, très profondément ancré dans l’opinion et les Français tiennent à tout cela». Il s’agit de s’occuper encore plus sérieusement des clandestins « pour que ceux qui viennent puissent adopter cette civilisation française, être intégrés, sinon nous allons à une France de communautarisme, de juxtaposition de communautés, de cultures, de groupes, chacun avec leur histoire et leur religion, ce n’est pas conforme à l’idée que nous nous faisons du pays uni ». Ah bon, donc le problème c’est la clandestinité, un immigré clandestin serait bien moins susceptible qu’un « légal » d’adopter la « civilisation française »? Vous n’y êtes pas : le ministre annonce dans la foulée qu’il entend réduire l’immigration légale de 200 000 à 180 000 entrées. Le problème c'est l'étranger, point-barre.La Police des Frontière a des objectifs, son ministre a une « vision de la France de demain» : accroître les premiers (de 28 000 à 30 000) ne peut qu’embellir la seconde. De 7%. Et la réduction de 10% de l’immigration légale l’améliorera encore d’autant.
En terre helvétique un parti., l'UDC, véhicule, à coup d'initiatives récurrentes, une "vision" très similaire de la "Suisse de demain". Mais par ici, personne ne lui dispute cette "vision".
Un ministre heureux, donc. Non pas parce qu’il fait bien son boulot de ministre de la République, mais parce que des considérations d’ordre statistique lui permettent de remplir sa vraie mission : celle d’une flanc-garde national-sécuritaire en vue de la Présidentielle de 2012. Cette mission vient compléter celle assignée aux tenants de la « Droite Populaire », fraction de l’UMP dont la tâche est de passer un vernis républicain sur ce que la présidente du Front National dit tout haut et que, gnagnagna, les Français pensent tout bas. Mais tandis que les propositions de Thierry Mariani, Lionnel Luca et consorts se font jusqu’à présent régulièrement reconduire à la frontière du Parlement, Claude Guéant, lui, « est dans l’action ». Si la maladie est la désaffection de l’opinion, Guéant et sa « vision de la France» c’est du Lepénisme à dose homéopathique et un traitement dûment suivi. La « Droite Populaire » par contre c’est du bon gros générique, mais la lourde prescription n’a pas encore atterri chez le pharmacien. Ce diptyque, qui fonctionne comme une petite horloge, est la dernière trouvaille de la Sarkozye pour récupérer le fameux « électorat populaire » tout en épargnant au Président d’en faire lui-même des wagons.
« Le soleil est rare, et le bonheur aussi... Mais tout bouge, au bras de Sarkozy?». Non, en fait, depuis le début, rien ne change.
Ciao, belli