Bon ben voilà, ça, c’est fait, c’est plus à faire : le Parti Socialiste dispose d’un candidat incontestable pour l’élection présidentielle de 2012. Le tout au terme d’une « primaire » qui a suscité un enthousiasme inespéré, exercice qui s’est déroulé dans une ambiance de bon aloi, à tout le moins bien meilleure que celle que pronostiquaient les plus pessimistes (dont votre serviteur, ici-même). Bien sûr le plus dur reste à faire, mais c’est une nouvelle plutôt réjouissante. Car de même que le plus grand plaisir qu’on retire d’une victoire électorale de la gauche c’est qu’elle correspond immanquablement à une défaite de la droite, on apprécie d’autant les premiers chants de victoire entonnés par les ténors socialistes qu’on se réjouit des mines dévastées des dirigeants de la majorité. Ces derniers et, dans son ensemble, le « système Sarkozy » sont atteints dans ce dont ils pouvaient être le plus fiers : leur capacité à faire tourner le débat public autour de thèmes quasi-prédéterminés et astucieusement séquencés dans le temps et l’espace. Un coup la sécurité avec une petite loi vite-fait-mal-fait consécutive à un faits-divers, un coup la grandeur nationale avec l’intervention en Libye, un coup la séquence émotion avec l’hommage aux paras tombés en Afghanistan, un coup le « moi j’travaille » avec les sommets franco-allemands sur l’Euro, etc., j’en passe et des moins glorieuses, comme le pathétique débat sur l’identité nationale. Bientôt cinq ans que ça durait cette avalanche « d’événements », de « news » dont le trait commun était de souligner le génie du président que les Français se sont choisis en 2007. Certes depuis de nombreux mois, le niveau de popularité de l’ hyper-président se situant plutôt à l’entresol, on a adopté une stratégie de raréfaction de la parole présidentielle à la Jacques Pilhan. Cependant cette accalmie était plus que compensée par les « débats » lancés par la Droite Populaire ou les incessantes « pistes » distillées par les ministres à propos de tout et n’importe quoi. Au final, une forme d’ubiquité médiatique qui ne concédait au Parti Socialiste qu’un rôle de faire-valoir : souligner l’inanité de la politique politicienne (en regard d’une politique de l’ « action ») par l’étalage incessant des divergences des un-e-s et des autres. Mieux, le basculement soudain et irrémédiable de DSK de la rubrique politique à celle des faits-divers mettait la cerise sur le gâteau : non seulement le contenu d’une alternance possible était inaudible, mais le défenseur probable (souhaitable?) de cette alternance s’avérait être, au mieux, un queutard de douze intempérant, au pire un dangereux détraqué.
Or que s’est-il passé ces huit dernières semaines ? Non seulement les médias (même le « Figaro ») ont largement couvert l’élection primaire organisée par le Parti Socialiste, mais en plus ils ont dû, dans l’ensemble, faire leur deuil d’une guerre fratricide, d’un pugilat sanglant, d’une « conjuration des egos » qui aurait occulté les vrais nuances de tempérament et d’interprétation du projet socialiste à l’origine même de cet exercice électoral. Cependant, cette séquence a largement publicisé les propositions du PS en matière économique, sociale, fiscale etc., bref plus de « fond » et moins de « petites phrases » qu’anticipé. Mieux, tandis que les électeurs de gauche étaient amenés à décider qui d’Aubry, de Baylet, de Hollande, de Montebourg, de Royal ou de Valls était le mieux à même de leur faire gagner les élections de 2012, ceux de droite en étaient à se demander qui de Bourgi, de Djouhri ou de Takkiedine avait le plus de chances de les leur faire perdre - décidément, comme disait l’autre, "c’est quand il y en a plusieurs qu’il y a des problèmes ».
D’où la rage à peine dissimulée des Copé, Morano, Fillon, et autres, quelques semaines, soit dit en passant, après s’être fait rafler le Sénat. La riposte s’organise sur deux axes : 1. « Çà fait bien trop longtemps qu’on n’entend parler que du PS, maintenant ça suffit » ; 2. « Le succès des primaires est un malentendu, le programme du PS est truffé de conneries »
Pour ce qui concerne le premier point, en toute honnêteté on ne peut qu’opiner du bonnet, cependant la question du second souligne, par contraste, l’assourdissant silence de la droite quant à sa « vision » pour le quinquennat 2012-2017. En admettant que les pistes proposées par le PS soient impraticables, on se demande bien quelles sont les idées que l’UMP entend soumettre aux électeurs l’an prochain, à part bien évidemment celle du renouvellement du mandat de son génial leader. La vérité est que le logiciel de la droite française est sérieusement défaillant : le « travailler plus pour gagner plus » fait la joie des humoristes et les surenchères « identitaires » celle de Marine Le Pen, tandis que le « moins d’Etat » hérité du Reagano-Thatchérisme ne fait plus rêver que quelques fanatiques isolés. Quant aux solutions apportées aux problèmes de l’insécurité, seul le Ministre de l’Intérieur est en mesure d’en parler sans rire.
Mais gageons que, comme le suggérait le titre d’un joyeux nanar des années 70, ce néant, ces impasses n’empêcheront pas ministres et représentants de la majorité de se bousculer devant caméras et micros, afin de récupérer le temps de parole perdu ces dernières semaines. Je leur suggère, bien modestement, quelques « éléments de langage » :
• Le « changement », slogan du PS, ça ne vous rappelle pas 1981 ?• Variante du précédent : le programme du PS est archaïque, la modernité c’est nous• François Hollande est notoirement un indécis, il faut en ces temps de crise un décideur, un vrai, suivez mon regard• La France a gardé son « rating » AAA auprès des agences de notation, avec Sarkozy c’est moins grave que si c’était pire• Variante des deux précédents : on ne change pas de capitaine en pleine tempête• Grâce à Sarkozy les Libyens sont libres, c’est important la liberté, d’ailleurs c’est une valeur bien française • Augmenter les impôts c’est ballot, vous voulez payer plus d’impôts, vous ?• Et l’immigration, hein, l’immigration ? Ben nous, on expulse pas loin de 30 000 personnes par an, et on peut faire plus !
Je pense que ces quelques « éléments », ressassés en boucle, permettront à la majorité de tenir jusqu’à Janvier 2012 : c’est le moment que choisira Nicolas Sarkozy pour entrer en campagne et là, l’UMP n’aura plus qu’à espérer qu’il fasse des miracles. « Chez ces gens-là, Monsieur, on ne pense pas : on prie »
La droite n’a pas besoin de « primaire », elle a un président sortant. La droite n’a pas besoin de programme, elle a un président sortant. La droite n'a pas besoin de remettre ses idées en question, elle a un président sortant. Mais il est urgent de lui rétablir son temps de parole, ça serait dommage pour le débat démocratique, sinon.
See you, guys.