Ce qui fait question, comme on dit, c’est la belle histoire qu’ici et là on tente de nous vendre : cette crise serait un formidable catalyseur, l’occasion inespérée de réaliser, sous la contrainte, un vieux rêve fédéraliste ou ce qui serait censé le préfigurer : un « gouvernement économique de la zone Euro » et, partant, la mise en place, serait-ce à quelques-uns, de coopérations tellement « renforcées » que se matérialiserait, de facto, une Europe politique. Une construction, bien sûr, qui aurait, comme l’UE, vocation à s’élargir avec le temps, et youpi tralala, en avant vers un avenir radieux.
Soyons clairs : on m’a eu une fois, on ne m’aura pas une deuxième. La première fois c’était à la fin du siècle dernier, lorsque je votai « oui » au traité de Maastricht et, de fait, à la monnaie unique. A l’époque j’étais convaincu – et je n’étais pas le seul – que cette étape était, justement, une étape. Comme autrefois l’union douanière - le Zollverein - précéda l’unité de l’Allemagne, cette monnaie unique et l’alignement économique qu’elle était supposée entraîner n’aurait su être que le signe avant-coureur d’une véritable entité politique supranationale, à même de s'adresser d’égal à égal aux géants américain et asiatiques. Là où je me suis fait empapaouter, comme beaucoup, c’est que je voyais l’Euro comme un moyen et qu’en l’occurrence il s’est agi d’une fin. Le monétarisme, ça s’appelle, mais pas seulement : la monnaie unique aura été l’instrument des docteur Folamour du néo-libéralisme. En effet, et ce quasiment à l’échelle d’un continent, allait pouvoir se réaliser, dans la concurrence effrénée du tous contre tous et sans le casse-tête des taux de change, l’établissement d’un vaste marché « libre ». De cette liberté émergerait un équilibre qui, promis-juré, ferait le bonheur de tous. D’où la fameuse clause du projet de « constitution » de 2005, sur la « concurrence libre et non-faussée ». A cette « constitution » j’ai dit oui, également. Non qu’entretemps l’Europe politique ait fait quelque progrès vis-à-vis de celle des marchands, mais justement parce que ce projet rendait malgré tout ce progrès possible. La fin, pas les moyens, toujours.
Mais les taupes abruties – technocrates, experts, lobbyistes, et surtout dirigeants politiques européens majoritairement médiocres – qui président aux destinées de l’Europe n’ont su en faire qu’une usine à gaz institutionnelle surplombant un souk généralisé. Cette crise est d'abord leur crise, tout autant que celle du laisser-faire. Car tout en annihilant barrières douanières et taux de change, la construction européenne s’est bien gardée de toucher à ce qui, depuis un siècle voire davantage, est la malédiction du continent : les états-nations et leurs sacro-saintes « identités ». Au nom, paradoxalement, de la démocratie (on n’élit bien que ceux dont on partage l’ « identité »), la construction européenne est a-démocratique. L’élection des députés européens, avec ses scrutins aux modes divers et désynchronisés, dont les campagnes sont purement nationales, nous en fournit, autre paradoxe, la preuve tous les cinq ans.
Cependant, de la supranationalité, on en a fabriqué, mais une supranationalité de banquiers et de « big business » qui dans sa sécheresse, son anonymat et son impact social souvent désastreux a construit, en retour, un surcroît de « fierté nationale ». Une fierté qui, prenons un exemple au hasard, conduit un pays comme la Grèce à consacrer quelques 4% de son PIB à ses dépenses militaires (Allemagne : 1,4% ; Italie : 1,7% ; France : 2,4% - chiffres 2099, source : Banque Mondiale) pour, on l’imagine, se protéger de son méchant voisin Turc (qui, comme chacun sait, n’a qu’une idée en tête : envahir la Grèce). Cette supranationalité du fric n’a, nonobstant, pas dupé les spéculateurs qui, faute de jouer contre la Drachme, la Lire ou le Franc, se rabattent sur les taux d’intérêt des dettes souveraines : au-delà de leurs oripeaux politiques respectifs, il ne reste de souverain aux états-nations que leur dette.
Aussi lorsque sur l’air de «à quelque chose malheur est bon » on tente de nous convaincre qu’émergera des pantomimes « Merkozyens » de ces dernières semaines une véritable Europe politique, on nous raconte des carabistouilles. Car on fait l’impasse, de nouveau, sur un petit détail. Oh, trois fois rien, direz vous : les peuples. Des peuples à qui on concèdera volontiers le hochet des élections nationales (dont celle au Parlement Européen), mais qu’on ne saurait laisser, collectivement, peser sur des enjeux qui depuis longtemps dépassent leurs frontières respectives : l’Economique, le Social, l’Environnement, la Recherche, la Défense.
A la fin du XIXème siècle, l’empire ottoman était surnommé « l’homme malade de l’Europe ». Au début du XXIème siècle, même sans les ottomans, l’Europe est un empire malade de ses hommes.
See you, guys