Cette lecture à court-terme n’est pas fausse. Mais cette interprétation tactique ne saurait, comme l’arbre, cacher la forêt : c’est bien à un revirement stratégique de la droite parlementaire qu’on assiste. Car il y a des coïncidences qui vous font douter de la notion de hasard.Dans quelques jours on commémorera les cinquante ans des accords d’Evian, dans quelques mois ceux de l’indépendance de l’Algérie : d’une mémoire vivante, la « guerre sans nom » qu’évoquaient Patrick Rotman et Bertrand Tavernier en 1992 bascule, symboliquement et définitivement, dans les livres d’histoire. Deux générations ont passé, et il est une fracture qu’on peut envisager de considérer comme résorbée : celle qui, depuis 1959 et le fameux discours sur le droit à l’autodétermination de l’Algérie, sépare l’extrême-droite française du général de Gaulle. Cette rupture avec le gaullisme fut un drame pour beaucoup, tant l’extrême-droite, loin s’en faut, n’était pas, à l’époque pas plus qu’aujourd’hui, exclusivement constituée de nostalgiques de Vichy ou du nazisme. Le quasi-coup d’état de 1958 fut d’ailleurs tout autant sinon davantage le fait de la « droite musclée » - notamment des ultras de l’ « Algérie Française » et de l’armée de métier - que de l’agitation de Michel Debré et des gaullistes. De Gaulle lui devait son retour aux affaires en 1958, l’extrême-droite ne lui pardonna pas son revirement anticolonialiste de 1959. En même temps, ces nationalistes, partisans de l’autorité qui exécraient le parlementarisme de la IVème République, eurent du mal à se remettre de ce divorce. Depuis ils étaient, sans vraiment se l’avouer, orphelins du gaullisme – dans sa permanente exaltation de la « grandeur de la France » et son tropisme de l’ « homme providentiel ». C’est en ce sens qu’il faut interpréter la tendance de Jean-Marie Le Pen à se poser en « héritier du général De Gaulle », qui n’est pas qu’une provocation : Le Pen, pour certains, c’est De Gaulle moins « l’abandon » de l’Algérie.Cinquante ans plus tard, Sarkozy recolle les morceaux : pour reprendre la célèbre lecture de René Rémond sur « Les Droites en France » (1982), il fusionne « bonapartistes » et « légitimistes », tournant le dos aux « orléanistes ». Cinq décennies se sont écoulées et Nicolas Sarkozy, sans aucun doute inspiré par son conseiller Patrick Buisson, fait les constats suivants :
- En cinquante ans, le gaullisme historique - où affleuraient préoccupations sociales et planification de l’économie nationale - a disparu du paysage idéologique, enterré par ceux-là même qui s’en prétendaient les continuateurs, sous les coups de boutoir du néo-libéralisme anglo-saxon
- En cinquante ans, précarisation et paupérisation des classes moyennes et ouvrières aidant, le rejet de l’immigré et, singulièrement, de l’ « Arabe » - originellement ancré dans le drame algérien – n’a pas perdu de sa vigueur, bien au contraire : ce sentiment, pour peu qu’on l’habille d’une « défense de la laïcité » réinterprétée, est un puissant levier politique
En attendant, la droite explose et Nicolas Sarkozy joue les Bernard Blier dans « Les Tontons Flingueurs » :« Aux quatre coins d'Paris qu'on va [la retrouver, la droite] éparpillé[e] par petits bouts façon puzzle... Moi quand on m'en fait trop j'correctionne plus, j'dynamite, j'disperse... et j'ventile »On lui en a trop fait, dans son camp, c’est bien vrai. Alors qu’il perde ou qu’il gagne les élections, Nicolas Sarkozy ne laissera pas se perpétuer une alliance de carpes libérales, de lapins démocrates-chrétiens et de roquets national-autoritaires : soit il divisera pour régner, soit il se délectera que personne à sa suite ne puisse bénéficier d’une machine électorale en ordre de marche : « avec moi, le tremblement de terre ou après moi, le déluge ».Il est des alternatives plus riantes. Pauvres électeurs de droite…Ciao, belli