Cinq ans voire davantage d’ « éléments de langage » quatre fois par jour, le « drill » était épuisant et les Français n’en pouvaient plus, ils avaient besoin de vacances. Ca tombe bien, depuis un mois règne un étrange calme médiatico-politique. Malgré la crise et les Grecs quasiment invités à aller se faire estimer dans leur propre pays, malgré les cessations de paiement, les mises en faillite, les plans sociaux qui bourgeonnent en un printemps sinistre, malgré l’enjeu des élections législatives qui viennent, le nouveau pouvoir s’abstient d’abreuver les médias au-delà du raisonnable. On avait fini par l’oublier : en matière politique comme pour le reste, il y a une différence entre faire et faire-savoir. Repos des oreilles après le tintamarre Sarkozyen, donc, même si, comme on l’avait dit de Mozart à propos de sa musique, « le silence qui suit est encore de lui ».
Quoique. Le nouveau pouvoir aurait fait un sans-faute médiatique n’était un vilain soupçon, celui d’un mélange des genres fort mal venu et portant en germe un terrible dysfonctionnement : le conflit d’intérêts. Crac, la mouche dans le lait. Quoi ? François Hollande aurait-il nommé au Ministère du Budget le trésorier de son parti politique ? La femme dudit ministre aurait-elle de surcroît été embauchée par une officine d’ « optimisation fiscale » travaillant exclusivement pour la femme la plus riche de France ? Le président entretiendrait-il des relations amicales avec des dirigeants d’entreprises travaillant pour l’état ou les collectivités locales ? Non, rien de tout cela : il y a, cependant, que la compagne de François Hollande est journaliste. Pire, de même que Fécamp-petit-port-de-mer dans le discours du Général de Gaulle, elle entend le rester. Aïe, aïe, aïe. Là, c’est du lourd.
Car c’est une évidence : le métier de journaliste, dans la galerie archétypale de la scène démocratique, surpasse en utilité collective le juge ou l’instituteur, tout juste vient-il après le pompier et l’infirmière - encore que, des fois, on se demande : lorsque des infirmières, Bulgares il est vrai, furent prises durablement en otage dans un pays sableux, nous a-t’on ressassé tous les jours leurs patronymes aux heures de grande écoute ? Non, et c’est normal, car le journaliste a une mission quasi-sacrée : il est l’observateur vigilant du monde-tel-qu’il-est, il se doit de rendre compte et d’éclairer ses concitoyens, ce faisant il est à la fois acteur et gardien de la liberté d’opinion, ce qui n’set pas rien, convenons-en, dans une démocratie. Dès lors un(e) journaliste ne saurait être ouvertement proche du pouvoir. Valérie Trierweiller compagne du Président de la République et malgré tout journaliste, oulala, non, décidément, ça peut pas le faire.
Oui, mais sauf que bon. Valérie Trierweiller entend certes rester journaliste, mais à « Paris-Match », hebdomadaire sans les « une » duquel les kiosques à journaux seraient tristes comme un jour sans pain. Bien sûr il y a « Ici Paris », « Gala », « Voici », « Points de Vue » mais ces quatre-là, c’est pas pareil : ce sont ouvertement des torche-cul people-isants, spécialisés sans ambages dans le ragot ou la mièvrerie. « Paris-Match », c’est autre chose : ça se veut sérieux, ça parle d’actualité. Alors le regard qu’on pose sur ses « une » est, inconsciemment, différent de celui qu’on jette sur celles de ses concurrents « populaires ». D’ailleurs faites le test : si vous avez un cerveau normalement constitué et que vous vous trouvez dans une salle d’attente, que choisirez-vous de feuilleter si votre choix se limite à ces cinq hebdomadaires ? « Paris-Match », bien sûr, à tout prendre vous aurez l’air moins con. Cela étant, tout est relatif, n’exagérons rien : si cet hebdomadaire contribuait en quoi que ce fût à éclairer le jugement du citoyen, à stimuler son esprit critique, ça se saurait. Si demain une dictature s’établissait en France, l’interdiction de « Paris-Match » et l’arrestation de ses journalistes n’entrerait certainement pas dans ses priorités. Car ce journal a une relation tout-à-fait particulière au pouvoir politique, comme à tout le reste, d’ailleurs : l’actualité qu’il relate n’a de valeur que si elle est susceptible de susciter l’émotion. Pour cela, il s’agit de laisser croire aux lecteurs-trices que s’effacent, comme par magie, les distances qui les séparent de « l’actualité » ou des célébrités qui la font. Distances géographiques – les cadavres déchiquetés du dernier attentat à Kaboul, comme si vous y étiez – ou distances sociales – Edouard Balladur et ses chaussettes rouges, Jacques Chirac et son labrador, « finalement ils sont comme tout le monde » : ce qu’on donne à voir du pouvoir et les commentaires qui vont avec sont tout, sauf subversifs. Lorsqu’il prend l’idée à « Paris-Match » de publier sur sa couverture une photo de Cécilia Sarkozy en compagnie de son amant Richard Attias, l’hebdomadaire joue la transgression, pas la subversion. Certes, en un coup de téléphone à son ami Lagardère, Nicolas Sarkozy aura la peau d’Alain Génestar, rédacteur-en-chef du journal. Mais de là à faire de Génestar un martyre de la liberté d’informer, il y a une marge. Car s’il y a bien une chose dont, fondamentalement, le citoyen devrait se foutre, c’est bien des aléas de la vie conjugale du Président. Il y a que pendant ce temps-là, l'hebdomadaire ne se fatigue pas à disséquer la politique économique, sociale, sécuritaire etc… dudit Président. Lagardère, pour le coup, en prendrait spontanément ombrage, sans coup de fil de l’Elysée, ne serait-ce que parce que le lecteur n’achète pas « Paris-Match » pour comprendre, mais pour ressentir. Gageons qu’une fois l’alternance digérée, il ne prendra pas l’envie à ce journal de se transformer en Figaro-bis : un Président reste un Président, gros plan sur les chaussettes ou le museau du clébard, et puis voilà.
Donc certes, il y a une forme de « conflit d’intérêts » dans le fait que Valérie Trierweiller soit la compagne du président Hollande. Mais ce « conflit » ne se situe pas entre une vocation à poser un regard critique sur le pouvoir, d’une part, et le fait de bénéficier de ses privilèges, d’autre part. Car le « regard critique », chez « Paris-Match », c’est un œil bienveillant qu’on jette soi-disant par le trou d'une serrure, on est loin du « Canard Enchaîné » ou de « Médiapart ». Le « conflit d’intérêts» se situe au sein-même de l’hebdomadaire, qui salarie une personne et de ce fait-même doit se priver – sauf à devenir la risée du tout-Paris médiatique - de « une » bien accrocheuses genre « Exclusif : nous avons pu approcher celle qui partage la vie du Président » … et des tirages qui vont avec.
Salarier Valérie Trierweiller, c’est un sérieux manque-à-gagner pour le groupe Lagardère… Mais vivre avec ne saurait constituer une faute éthique bien grave pour le Président de la République. Sauf à considérer que la réticence probable de « Paris-Match » à étaler complaisamment sa vie privée, comme il l’a fait pour tous les présidents dans le passé, constitue un affaiblissement du débat démocratique. Ce que ne manqueront pas de faire certains, tant la connerie humaine est sans limites.
Ciao, belli.