Alors que le french bashing sévit ici et là à l’endroit d’une classe politique française aux manettes d’une affligeante incompétence, Paris vit toujours une idylle avec la planète mode. La fashion week a déployé ses podiums et ses showrooms aux quatre coins de la capitale accueillant des bataillons de jeunes et de moins jeunes talents anglais, italiens, américains, belges, asiatiques, etc. Et français bien sûr!
La nouvelle génération de créateurs qui émerge, la génération badaboom succédant à la génération happy boom, vit certes dans un monde en dislocation mais dans un monde ouvert aux opportunités pour qui sait les saisir et à condition d’avoir une bonne dose de courage et d‘audace.
Cette génération de nouveaux créateurs s’épanouit dans la mode, mais aussi dans d’autres secteurs comme la gastronomie par exemple: deux industries qui demeurent les fers de lance de la gauloiserie.
Depuis les années 80, trois périodes créatives se sont succédées et se côtoient: la période tutélaire avec Paul Bocuse et Karl Lagerfeld en chefs de file quasi immortels, la période marketée avec Alain Ducasse et Tom Ford en arbitres totalitaires du goût contemporain, et enfin la période décomplexée avec Cyril Lignac et Heidi Slimane en habiles faiseurs de tendances faussement élitistes. Ces personnalités et quelques autres réinventent leur métier pour s’ancrer dans leur époque, ils maîtrisent parfaitement l’art d’utiliser/manipuler les médias et font fructifier leur savoir-faire bien au-delà de leurs compétences dévolues.
Une quatrième période a démarré avec la crise, celles des créatifs lucides et mercenaires, condamnées l'inventivité commerciale pour exister sur des marchés encombrés et saturés, face à des compétiteurs aguerris pour ne pas dire féroces.
Pierre Sang finaliste de l'émission Top Chef 2011 et Alexander Wang propulsé à la tête de la maison Balenciaga incarnent cette nouvelle cohorte de créatifs dont la particularité est d'hériter des aptitudes de leurs devanciers en s'inscrivant dans la dureté des temps. Ils ont compris que pour gagner leur bâton de maréchal, il ne fallait pas attendre que des places se libèrent, ni le bon vouloir financier d'institutions sclérosées, mais convaincre leurs clients futurs qu'ils sont attractifs et accessibles. Ces créatifs 2.0 sont en effet en prise directe avec les consommateurs qui font tourner leur petite affaire. L'un et l'autre ne s'enferment pas dans la ouate étouffante de la « création ou du luxe » en jouant les stars intouchables dans des palais de stuc, ils s'adaptent au marché pour produire et vendre au mieux sans se laisser aveugler par une gloire d'estime qui ne rapporte pas grand chose sinon celle de faire gonfler son ego. Ces créatifs, flexibles et réactifs, sont des entrepreneurs nés qui ont le goût de l'ouvrage, la passion du travail, l’ambition de réussir.
Autre détail symptomatique du cosmopolitisme achevé de la mode et de la gastronomie et de son déplacement vers l'Asie : Sang est français d'origine coréenne, Wang est américain d'origine chinoise. Le monde tourne mais Paris demeure un phare, jusqu’à quand?
Paul Bocuse et Karl Lagerfeld
Alain Ducasse et Tom Ford
Cyril Lignac et Heidi Slimane
Pierre Sang et Alexander Wang