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Depuis hier soir, je pense beaucoup a Daniel Darc. Beaucoup d’images et de souvenirs remontent à la surface. Des images qui ont plus de 10ans, le début des années 2000, la chance d’enregistrer avec lui, presque par hasard, un titre fantôme, un morceau qui n’existe pas vraiment dans sa discographie et la rencontre avec un être humain entier, poétique, parfois surréaliste.
Nous étions un jeune groupe, perdu dans l’est de la France. On preparait notre premier album, plein d’espoir et d’insouciance, comme n’importe quel musicien encore vierge dans l’industrie musicale. comme tous, notre seul but etait d’accrocher un concert le weekend prochain, une premiere partie a Paris de temps en temps et esperer qu’à force de tourner tout ça finirait par payer. un label indé venait de nous proposer de sortir notre premier disque en licence, ça y’est c’etait parti, enfin en tous cas on y croyait. Au milieu de ce joyeux bordel qu’etait ce disque, mélange de metal, de pop, de new wave, d’electro mal foutue, de guitare synthés, de boites à rythmes et de riffs punk, il y avait une reprise, «cherchez le garçon» de Taxi Girl. On ecoutait pas de trucs français à l’époque, on en avait presque jamais écouté, nos influences c’etait le hardcore, le thrash metal, le punk, et de l’autre coté Kraftwerk et Depeche Mode et au milieu rien. Pour nous qui avions 10ans au milieu des 80s, les groupes français qui chantaient en français c’etait Indochine, c’etait le top50. Quoi qu’on en dise, même en revenant 15ans après avec un look de Marilyn Manson edulcoré, Indochine c’etait un putain de truc de variété, il etait hors de question d’ecouter un groupe qui faisait danser dans les fins de soirées étudiantes pour nous c’etait une blague. On ne bouffait pas de cette supercherie. C’etait Bad brains, Slayer ou Biohazard, mais certainement pas des mecs qui chantent en français pour le Top50, à part quand on avait envie de rire. Oui, on etait des jeunes cons, mais on avait bien raison (en tous cas pour indochine).
Et au milieu de toute cette débauche de metal, il y avait un truc qu’on aimait tout particulierement, c’etait le son froid des 80s, celui avec lequel on etait passé de l’enfance à l’adolescence, et donc il y avait une exception en france, qui pour nous s’appelait Taxi Girl. Pourquoi Taxi Girl ? Je n’en sais rien, et je ne vais pas me lancer dans une analyse comme un journaliste musical, parce qu’il n’y a pas d’explication à la musique. tu aimes ou tu n’aimes pas. Donc voila, on voulait mettre une reprise de «cherchez le garçon» sur notre disque, alors qu’on ne chantait pas en français, qu’on avait jamais fait autre chose que de balancer des guitares avec de la distortion a fond, que ce n’etait pas vraiment un groupe à la mode, que les plus jeunes autour de nous ne savaient deja peut etre plus qui ils etaient, mais on aimait ce titre.
Un jour, une amie qui avait quitté l’Est pour Paris nous dit qu’elle connait Daniel Darc, ils sont voisins et elle pourrait lui faire ecouter notre maquette. Wow, et si on lui demandait de venir sur le disque ? On etait pas à Paris, on ne s’etait jamais interessé à la scène française autre que indé, voire ultra indé, on ne connaissait pas l’histoire autour de Darc et de taxi Girl. J’etais incollable sur le premier Ep du plus obscur groupe de Straight Edge sorti sur un label suedois, je connaissais n’importe quel crédit sur n’importe quel disque de Suicidal Tendencies, on recuperait des K7 démos de groupes de grindcore philippins sur des stands dans des concerts en Allemagne, mais l’histoire des groupes français, c’etait trop loin de notre monde. Les inrocks ? jamais lu, rien à foutre. Internet ? en France ça commençait, donc on etait pas abreuvé de trucs dont tu ne veux rien savoir. On ouvrait Napster pour essayer de telecharger l’album introuvable de Deadsy, chaque chanson prenait 40min à charger, pas le temps de s’attarder de pres ou de loin sur un truc qui ne t’interessait pas. tu voulais te couper du monde, tu coupais la radio et tu pouvais vivre dans ta scène. Aujourd’hui même si tu ne veux pas entendre parler justin bieber, tu vas en bouffer toute la journée sur le net. Si tu le désirais, la musique n’etait pas intrusive, se couper de toute la production qui ne nous interessait pas n’etait pas compliqué. Donc voila, pour moi Taxi Girl c’etait de la musique, 1 album en vinyl et 1 maxi 45 dans mes affaires et c’est tout. La mythologie et les histoires autour de Daniel Darc ce n’etait pas mon probleme, tout ce que je voyais c’est qu’un mec dont j’adorais la sensibilité musicale, le coté brut et romantique en même temps, pouvait avoir dans ces mains notre Cd et le clin d’oeil qu’on lui faisait. On lui envoie le Cd (oui on envoyait pas de titres par mail à cette époque ), notre amie le fait ecouter à Daniel et lui demande si il voudrait bien poser quelques phrases sur la reprise. On s’appelle, on se parle, le premier truc qu’il dit sur la reprise c’est «vous avez retiré tout le coté romantique de la chanson». Ce n’etait certainement pas un compliment, mais en même temps il aimait l’esprit punk, donc une bande de jeunes connards qui ne respectent absolument pas un titre que tout intello de la pop a mis sur un piedestal et qui le crachent comme ça leur vient ça l’a fait marrer. Il commençait à l’époque l’écriture d’un livre, et il me dit qu’il aimerait bien venir en studio pour le titre et ensuite rester 15j chez nous pour ecrire. Ok, pour moi Daniel Darc etait une légende, déjà je trouvais ça absolument incroyable qu’il vienne, chez nous, pour enregistrer, mais voila qu’il voulait rester pour travailler. J’hallucinais, si il avait simplement envoyé un mot sur un bout de papier en disant «j’ai écouté votre reprise, c’est de la merde», j’aurais deja trouvé ça incroyable. Mais pas de problème. Seulement c’est vrai qu’à l’époque Daniel Darc etait un fantome pour le show business, il avait été oublié, mis à la casse. Ceux qui lui décerneraient une médaille en chocolat amer quelques années plus tard en forme de victoire de la musique étaient les mêmes qui le disaient fini. il n’interessait plus personne. On a compris assez rapidement pourquoi, dès qu’il a posé le pied chez nous. Daniel c’etait un putain de personnage. Et il fallait avoir un santé de fer pour le suivre, être à la hauteur de la personnalité incroyable, du mec infatigable, toujours a fond, avec qui il n’y a pas de jour, pas de nuit. J’ai toujours vu Daniel comme une sorte de génie fou depuis cette rencontre. C’etait dingue, tu passais 12h en studio avec lui, il ne se passait rien pendant 10h et d’un seul coup il touchait la grace. Mais vraiment.
On passe presque toute la premiere journée au studio a ne rien faire, on avait quasiment pas dormi la veille. Daniel n’etait pas vraiment du genre à aller se coucher, et lorsqu’a 7h du matin on a enfin décidé qu’il etait temps d’aller se poser, c’etait sans compter qu’a 8h, il viendrait frapper à la porte de ma chambre : «jerome, viens on va acheter a manger et à boire». quoi ? mais ça fait même pas 1h qu’on est couché et la journée recommence déjà ? On se disait que si vraiment il restait 15j chez nous pour écrire, à ce rythme là il allait nous enterrer, mais bon c’était lui l’invité alors allons y. Et puis je ne me sentais pas de le laisser partir seul en vadrouille n’étant pas vraiment sur de savoir si j’allais pouvoir lui remettre la main dessus dans la journée. Autant être honnete, il n’avait pas l’air d’être dans le meilleur moment de sa vie et c’etait mieux que quelqu’un soit avec lui.
Comme il etait clair qu’on allait pas reussir a bosser ce jour là, on sort du studio, on se ballade, on rentre dans un magasin de disque et c’est la que j’ai compris que Daniel Darc n’etait peut etre pas fait pour la vie normale, mais que l’art, l’ecriture et la musique etait ce qui le faisait vivre. A l’interieur, il s’est transformé, au milieu des disques et des livres, il n’etait plus le même. Il n’etait plus celui qui parlait de choses et d’autres, passant d’un sujet a un autre parfois avec une certaine incohérence, il etait lui. Le discours avait changé, il me montrait des disques, pop, classiques, rock, il me parlait des compositeurs, de gens dont je n’avais jamais entendu parler, d’oeuvres classiques auxquels je ne m’etais jamais intéressé. J’etais impressionné et fasciné par la culture de l’homme et la dualité du personnage, celui parfois dans un autre monde, marqué par le passé, les félures, et le passionné de littérature et de musique qui pouvait disserter de tout. Retour au studio, on s’y met enfin, Daniel avait proposé d’ecrire quelques lignes sur le pont du titre, l’enregistrement se fait rapidement, ok voila c’etait fait. On avait terminé «cherchez le garçon», avec lui. Les puristes détesteront cette reprise martial et brute, mais on l’a faite avec lui et pour ça c’est beau. Il nous demande si on a envie d’ecrire 1 ou 2 morceaux ensemble. tu parles ! On aurait jamais osé lui demandé. C’etait fou, on se retrouvait en studio, c’etait notre tout premier album apres quelques Eps, premier vrai disque, et voila que Daniel Darc nous proposait de composer avec lui. Il avait apporté un melodica, il se met a genoux dans le studio et commence a en jouer. Honnetement, je me demandais vraiment ce qu’on allait pouvoir faire. Notre façon de composer était assez primitive, on cherchait un riff et on jouait, là on se retrouvait avec un type qu’on adorait, qui nous jouait des aires au melodica, et je pense qu’aucun d’entre nous n’avait le courage de lui dire : «Daniel tu sais on est pas vraiment musicien, on vient seulement d’apprendre a sortir autre chose que des riffs de punk, on a jamais composé autrement qu’avec une distorsion a fond, jamais touché a un piano, ou tenter de faire quelque chose de plus ou moins doux et harmonieux, alors là tu nous poses une colle avec ton melodica». On avait une sorte d’interlude un peu bizarre qui trainait sur un enregistrement, ça pouvait etre un bon début de quelque chose. On le fait écouter a Daniel, on le retravaille, il aime. il prend une feuille, part dans la cabine d’enregistrement, et ecrit quelques phrases. Finalement ça prend des heures, la nuit peut etre, je ne sais plus vraiment. On enregistre, on laisse tourner, Daniel nous raconte des moments de sa vie au micro, lit quelques passages d’un livre. Personne ne dit rien, on se regarde, on le laisse parler, on ne fait pas le titre, on se retrouve avec des minutes, des heures de monologues, de poésie, d’anecdotes.
Et puis là, au moment ou il décide que c’est ok, on envoie la musique, il chante ce qu’il a ecrit et tout le monde resté scotché. On se disait que c’etait mort, que ça partait d’une bonne intention mais qu’on ne ferait pas ce morceau et là il le chante, on a les poils qui se dressent. Daniel Darc est là, derriere la vitre, dans la pénombre, il chante, sur notre disque. Nous qui n’avions jamais ecrit une phrase en français, qui pensions que ce n’etait pas «cool», il nous montre en quelques minutes comme cela peut etre beau, touchant et intense. Je n’avais jamais chanté en français, et pour une premiere me voila entrain de le faire avec Daniel Darc, dans notre studio, c’etait impressionnant.
Ce titre ce n’est peut etre pas le meilleur de sa carriere, il n’est peut etre qu’une anecdote qui ne figurera jamais sur sa discographie, mais on l’a fait ensemble et depuis hier je ne repense qu’a ces quelques jours ou tout a changé et ou Daniel Darc à fait évoluer ma vision de la musique et de comment on pouvait l’appréhender. Maintenant on était prêt a envisager de chanter en français. Ce serait peut etre nul, mais on pouvait le faire.
Quelques temps après, nous sommes venus a Paris pour jouer, Daniel etait là, notre amie qui nous l’avait présenté avait envie de commencer à réaliser, on a fait un clip, en amateur, pour le fun. Il a fait une apparition dedans, comme ça pour le plaisir, de la même maniere qu’il etait venu a Besançon, faire de la musique avec un groupe qui l’aimait bien.
Je n’etais pas là quand il est reparti de la gare de Besançon, mais mes 2 amis qui l’ont accompagné m’ont dit qu’il etait rentré dans le train, resté debout derriere la porte et levé le poing pendant que le train partait, à la maniere de Judd Nelson a la fin de Breakfast Club. Qu’est ce que ça voulait dire ? Peut etre etait-ce le poing de la victoire, celui d’avoir reussi a faire sortir quelque chose d’inatendu à des musiciens, et aussi le poing qui disait «je suis toujours là». 4ans plus tard, Daniel sortait crêve coeur, et oui il etait toujours là.
Le titre que nous avons ecrit et enregistré avec lui le voila, il s’appelle ghost. Pourquoi ? je ne sais pas.
merci Daniel.
posté le 20 mai à 10:51
A part la critique d'Indochine, c'est un bel article hommage...
[j'ai horreur des claviers qwerty]