Energie : la promesse hydrolienne
Le marché mondial des turbines sous-marines représenterait entre 70 et 100 milliards d'euros à l'horizon 2030. Reste à en confirmer la viabilité n se rendant à Cherbourg (Manche), lundi 25 février, Delphine Batho se savait attendue par tous ceux qui misent sur l'émergence d'une filière industrielle consacrée à l'énergie des courants marins en France. La ministre de l'écologie devait annoncer le lancement d'un appel à manifestation d'intérêt afin de stimuler, dans un premier temps, la recherche, et, dans un second, l'installation de « fermes pilotes » d'hydroliennes immergées en pleine mer. Le préfet maritime de Cherbourg sera chargé d'identifier les sites propices à l'installation de ces fermes. « La France, avec le deuxième potentiel d'Europe en matière d'énergie hydrolienne [après le Royaume-Uni], a une place de leader à prendre, affirme Mme Batho. Je sais que les industriels attendent un soutien clair des pouvoirs publics aux énergies marines, ainsi que de la visibilité. Je peux leur assurer que le calendrier nécessaire au déploiement de la filière sera tenu. » Alliés ou non à des énergéticiens, une dizaine de fabricants de turbines dans le monde - dont trois groupes français - sont impatients d'en découdre pour se faire une place sur ce marché à venir. Au niveau mondial, il représentera entre 70 et 100 milliards d'euros à l'horizon 2030, a calculé le cabinet Indicta. « Après l'éolien offshore posé, seul procédé actuellement commercialisé dans les énergies marines renouvelables [EMR], l'hydrolien est la technologie la plus mature, devant l'éolien flottant, le houlomoteur [l'énergie de la houle] et l'énergie thermique des mers », explique Antoine Rabain, responsable du pôle énergies et technologies vertes chez Indicta. Bien identifié puisqu'il n'est intéressant d'installer des hydroliennes que dans des zones où les courants sont compris entre 2 et 8 mètres par seconde, le marché mondial de l'hydrolien s'appuie sur une puissance installée potentielle estimée à 90 gigawatts (GW). « A terme, il ne devrait rester que quatre ou cinq leaders mondiaux, et il y aura une prime aux premiers entrants », pronostique Antoine Rabain. Dans cette course contre la montre, les industriels français jouent leur chance. Ainsi, Alstom vient de racheter Tidal Generation Limited à Rolls-Royce et peut se targuer, avec ce concepteur d'hydroliennes, « d'avoir produit sur le réseau électrique du courant à partir d'une turbine immergée », comme le souligne Jérôme Pécresse, président d'Alstom Renewable Power. Pour autant, on est loin de la phase d'industrialisation. « Nous sommes au stade du développement d'une technologie nouvelle et il faut passer par la case d'une ferme pilote, avec quelques machines, pour tester notamment les effets de sillage et la connexion au réseau », précise Jérôme Pécresse. Les deux « spots » français sont connus : le raz Blanchard, qui passe entre le cap de la Hague (Manche) et l'île anglo-normande d'Aurigny, et le passage du Fromveur, entre l'archipel de Molène et l'île d'Ouessant (Finistère). DCNS, qui vient d'investir 130 millions d'euros pour prendre le contrôle de l'irlandais OpenHydro, s'est associé à EDF et espère installer dans le raz Blanchard une ferme pilote de sept machines. C'est également une des zones retenues par GDF-Suez. Associé à l'allemand Voith Hydro et au constructeur naval tricolore CMN, l'énergéticien ambitionne d'y installer d'ici à 2016 un parc pilote de trois à six turbines, pour un investissement de 20 à 30 millions d'euros. GDF-Suez développe aussi un projet avec la start-up française Sabella dans le passage du Fromveur. DCNS, qui espère réaliser 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires par an dans l'hydrolien à partir de 2025, et son partenaire EDF ne sont pas découragés par l'avarie dont ils ont souffert en septembre 2012. Pendant des tests en rade de Brest, un treuil chargé de monter et descendre leur hydrolienne expérimentale de 1 000 tonnes, qui devait être testée au large de l'île de Bréhat (Côtes d'Armor), est tombé en panne. Depuis, la turbine gît au fond de la rade. Une opération de récupération pourrait être menée courant mars. Derrière les projets des uns et des autres, c'est toute une filière EMR qui pourrait se développer. « Le savoir-faire acquis avec l'hydrolien pourrait ensuite être décliné sur d'autres technologies, en particulier dans les opérations en mer », argumente Antoine Rabain. Sans oublier la dimension sociale : les EMR pourraient permettre de créer jusqu'à 82 000 emplois en France à l'horizon 2030, dont 10 000 pour l'hydrolien, selon cet expert. Mais pour que ce scénario se réalise, « il est nécessaire, selon Bernard Planchais, directeur général délégué de DCNS, que les pouvoirs publics lancent un appel d'offres dans les douze mois qui viennent, faute de quoi le centre de gravité de cette industrie risque bien de ne pas être en France ». Une vision partagée par Jean-François Cirelli. Pour le vice-président de GDF-Suez, « les acteurs publics doivent donner un feu vert pour que l'on puisse passer à la phase de précommercialisation de l'hydrolien à travers des parcs pilotes ». « Cette étape est importante pour confirmer la viabilité technologique et économique des projets, poursuit-il. Les pouvoirs publics doivent aussi définir le cadre dans lequel toute la filière pourra travailler en confirmant les zones de tests et en élaborant un mécanisme financier plus incitatif. » Delphine Batho s'est engagée à ce que le tarif de rachat de l'électricité qui sera produite par des hydroliennes soit fixé et connu avant le mois de juin.
Anne Eveno avec Gilles van Kote, Le Monde du 26 février 2013