J’aime pas les vieux

Publié le 28 février 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

Ben voilà, Papy a fini de faire de la résistance. Stéphane Hessel a plié son pébroque alors que Michel Drucker finira paisiblement de se fossiliser sur son canapé rouge pendant encore deux siècles et demi, devant un public qui n’a même plus la force de s’indigner de l’infect brouet qu’on lui sert tous les dimanches à l’heure du rot et du digestif. Chienne de mort. Il n’y a pas que Michel qui vend de la soupe, mais l’article s’appelle « j’aime pas les vieux », alors on s’occupera des autres après. Déjà, j’aime pas les vieux, parce qu’à cause d’eux, on sait que tôt ou tard, on va finir par crever nous aussi. C’est bien la sagesse tragique, c’est joli de s’employer à explorer toutes les possibilités de l’existence parce qu’on sait qu’à la fin c’est toujours les vers qui gagnent, mais quand même, quand on y pense ça fait comme une boule là, et puis là aussi. C’est comme ça: on essaie de ne penser qu’au présent, mais le présent c’est comme le boulot, plus ça va et moins il y en a  (quoique plus on a de boulot et moins on a le temps de penser au présent, bref…)

Et puis, les vieux, ils n’arrêtent pas de nous parler du passé, de quand c’était mieux avant, quand les jeunes étaient polis, les immigrés modestes, et les Allemands un peu rudes mais bien coiffés bien polis bien ordonnés. Stéphane Hessel ne mangeait pas trop de ce pain-là. C’est parce que c’était un jeune vieux, contrairement aux jeunes UMP qui sont de vieux jeunes. Il a résisté, il a co-écrit la Déclaration des Droits de l’Homme, ça vous pose un bonhomme quand même. Pas le genre de gars à te casser les noisettes à la caisse du supermarché parce qu’il fait un temps de chien, qu’il ne trouve plus la marque de papier toilette qu’il achète d’habitude et que son arthrite le lance, ma bonne dame. Quand il allait à l’Eglise, c’était pas pour demander au petit Jésus que son arrière petite-fille arrête de se mettre des anneaux dans le nez ou pour que Sarkozy empêche les invertis de se marier, mais plutôt  pour filer un coup de paluche aux sans-papiers.

Rien que la liste de ses ennemis le rendent sympathique: de Pierre-André Taguieff à Gilles-William Goldnadel, que des pauvres tâches qui n’ont pas dû résister à grand-chose d’autre qu’à la tentation de reprendre du cassoulet à la cantine. Tout ça à cause d’un petit opercule pas bien violent mais qui a connu une renommée internationale. On le brandit encore dans les manifs en Espagne pendant que d’autres contemplent leur Président bâfrer pendant des heures au Salon de l’Agriculture en détricotant le Code du Travail, je ne vise personne hein, ne le prenez pas personnellement. C’est pour ça que je n’aime pas les vieux résistants. Quand les vieux fachos (genre vétéran d’Indochine ou d’Algérie, pape, collabo, ou vieux con ordinaire) passent de vie à trépas, je suis content, je chante sous la douche, je bois avec encore moins de modération que d’habitude, et j’attends les beaux jours pour aller gerber sur leurs tombes. Mais quand un vieux résistant claque, et il faut bien admettre que dans les années à venir, ça va tomber avec plus de régularité que les chômeurs dans l’escarcelle de Pôle Emploi, je regarde la gueule de la gauche qui est censée nous prémunir et de la misère et de l’indignation, et je re-vomis mais c’est moins agréable. Amie lectrice, ami lecteur, si tu as déjà vomi des cacahuètes à peine mâchées, tu sauras ce que je veux dire. S’indigner des méthodes de Sarkozy et d’Hortefeux pour avoir Hollande et Valls, franchement, ça a autant de mal à passer dans un sens que dans l’autre.

Alors certes, l’ »Indignez-vous » de Stéphane Hessel est plein de bonnes intentions. Court comme un bon vieux Discours de la Servitude Volontaire de la Boétie (ce qui prouve qu’on a pas besoin de se farcir les annuaires de Marx et de Sartre pour comprendre les mécanismes l’oppression), et plein de choses vécues comme un petit essai de Montaigne. De la bonne expérience comme les vieux aiment en dispenser, mais sans la moraline de papy/mamie ou du Conseil Constitutionnel. S’indigner, c’est créer, et créer c’est s’indigner, comme le dit à peu près l’auteur du livret. J’ajouterais que créer, c’est l’une des meilleures façons de savoir que l’on est vivant, et à ce titre beaucoup méritent que l’on dise d’eux qu’ils sont morts de leur vivant, puisqu’au lieu de s’indigner/de résister/de gueuler/de défiler/de penser, ils prennent une carte dans un parti qui leur tiendra lieu d’attestation d’engagement et leur permettra de mettre leur cerveau sur « pilotage automatique », ou pire encore ils se résignent carrément et regardent passer la vie comme les vaches regardent passer les trains. D’autres encore, plus cyniques, adoptent la posture mondaine de l’indigné pour se faire reluire la pomme, comme BHL et tant d’autres, qui savent parfaitement comment on devrait vivre mais qui ignorent tout à fait quand ils devraient mourir, pour reprendre la belle phrase d’Oscar Wilde. Ce sont les pires vermines qui soient, mais ils ont l’avantage de prouver que s’indigner est un bon début; vivre le plus joyeusement et le plus intensément possible, en créant pour soi et pour les autres (créer au sens commun mais aussi créer des potentialités pour autrui), pour emmerder les frigides de la glande  à plaisir, c’est encore mieux.

Et voilà comment en voulant modérer un tant soit peu la dithyrambe quasi-générale du bon monsieur Hessel en lui reprochant d’avoir fricoté avec le PS, je me retrouve à lui passer la brosse à reluire malgré moi. Parce que la gauche contemporaine est trop jeune pour avoir appris à résister, (tant mieux pour elle, en même temps), et qu’elle se contente d’essayer d’amadouer l’oppresseur au lieu de lui mettre un bon coup de genou là où ça fait mal. Alors j’avais préparé des calembours, comme « j’aurais bien voulu voir un entretien entre Stéphane Hessel et Poivre d’Arvor », et plein d’autres jeux de mots tordants. Mais je me suis rappelé que Cavanna, 90 ans, l’un des derniers vieux que j’aime bien avec Siné, a horreur des calembours. Moi aussi, d’ailleurs, car n’est pas Pierre Dac qui veut.

Mais on n’est pas sérieux quand on a presque deux fois dix sept ans.