Jérôme Ferrari, Marc Levy, Delphine de Vigan, Yasmina Reza… Non non, ce n’est pas la sélection d’auteurs à lire de la semaine, mais plutôt les têtes qui flottent sur les étagères de vos libraires. Si, rappelez-vous, quand vous errez au fil des rayons, et qu’ils vous observent, se tenant de trois quart, le regard profond, et le poing sous le menton. Et c’est loin d’être un hasard si ces têtes d’affiches, qui vous scrutent tel la Joconde, sont toutes dotées d’un regard de velours, d’une chevelure flamboyante ou encore d’un sourire renversant, bref d’un certain charme.
A l’époque de la sur-médiatisation, du culte des apparences, et du retour en force de Britney Spears, on s’aperçoit que même le milieu littéraire est touché par cette vague de superficialité. Si vos auteurs chéris sont de plus en plus beaux, ce n’est pas un miracle de la nature mais plutôt une question de marketing et de bénéfices. Sans grande surprise, c’est depuis la crise économique (encore et toujours) que l’industrie de l’édition bat de l’aile. Les maisons d’édition publient des centaines d’ouvrages par ans et doivent miser sur un certain nombre d’auteurs qu’elles doivent donc sélectionner minutieusement. Minutieusement, c’est-à-dire, de façon à plaire au public, et il a été maintes et maintes fois démontré que le public aime ce qui est beau. De la même façon, les attachés de presse des maisons d’éditions vont tout faire pour essayer de « vendre » leurs auteurs aux journalistes, car la médiatisation du livre est le meilleur moyen de booster ses ventes. Dans ce milieu très concurrentiel, un véritable déséquilibre se crée entre la quantité d’attachés de presse, et le nombre restreint de journalistes, on s’aperçoit alors vite que c’est le règne de la loi du plus fort, remasterisé en 2013 en loi du plus beau.
Cette loi, l’auteur Olivier Gay en a fait les frais, et le raconte sur son blog, avec un ton humoristique, pour ne pas dire sarcastique. Un shooting photo de deux heures, avec au total cinquante-neuf clichés pour un seul retenu, qui montrent bien l’importance accordée à l’image de l’auteur.
Mais ce n’est pas quelques heures de shooting et un torticolis de l’écrivain qui sont le plus alarmant. Ainsi, on vacille entre scandale et tristesse quand on apprend qu’Alexis Brocas, critique littéraire, s’est vu refuser une interview, car l’auteur n’avait pas « une tête d’écrivain ». Il semblerait donc que le choix des auteurs médiatisés (particulièrement à la télévision), se fasse sur des critères assez inattendus, où la qualité de l’ouvrage est reléguée au second plan, laissant place à une « belle gueule » ou une quelconque excentricité. Et Olivier Bessard-Banquy, ancien éditeur, aujourd’hui spécialiste de l’édition contemporaine, enfonce le clou et confie, « Il y a de grands risques de chute d’audience si trop de laiderons apparaissent d’un coup à l’écran. S’il faut désormais aller chercher le secours de top models pour défendre la cause des lettres, il faut se féliciter que ces people – qui auraient bien plus à gagner à jouer dans des pubs pour Coca-Cola qu’à essayer de vendre des romans de gare – aient quand même choisi de s’engager dans cette seconde voie bien ingrate.».
Désormais, l’essentiel est de vendre au maximum, de toucher le plus large public possible, sans doute au détriment de quelques valeurs, et avec une (plus ou moins légère) dose de manipulation des consommateurs. Et pour clore ce petit coup de gueule, on cite Clémentine Baron, journaliste de Rue 89 culture qui résume de façon assez pragmatique la situation, « Ainsi va la vie du livre. Plus l’édition doit produire à destination d’un grand public de moins en moins lettré et plus la production est frelatée, trafiquée, pour être réduite à quelque chose qui est à la littérature ce que le Loft a été à la télévision.».