Magazine Nouvelles

Scène de la vie politique - Nouvelle

Par Alainlasverne @AlainLasverne

 

GRAPH 77
otre maison se trouve juste à l'entrée de Boursac, en arrivant de Nedbleu-sur-Oser. Une des premières
LIVRE Labyrinthe
maisons neuves du coin, mais je parierais mes stock-options que bientôt les résidences secondaires, et même primaires, vont pousser comme des petits pains, à Boursac.

A deux heures et demi de Paris, vous imaginez. J'ai fait le choix, nous avons fait, avec mon épouse qui ne demandait pas mieux. Du moins en avait-elle assez de dérouler ses soirée entre Ma maison et mes petiots et la télé, avant le lit froid et l'index pour compagnon de ses rêves mouillés vu que je ne rentrais que le week-end. Je plaisante, j'adore ma femme, c'est d'ailleurs pour ça qu'elle l'est.

Bref, je suis à domicile, at home, chez moi, toute la journée. Télé-travail on dit. Je travaille chez moi, ça ne veut pas dire que je ne travaille plus. Mais dans l'édition de logiciels on peut se permettre.  Il faut pouvoir aussi se permettre d'être consulté, missionné, recadré par le patron à toute heure. Je l'ai pas raconté dans le village, on se moquerait. Même le vieux n'est pas au courant.

Autochtone à demeure puisqu'il habite à vingt mètres de chez moi, le vieux s'appelle

Marcel et son chien Politique. Moi, je n'en fais pas, mais on est en démocratie et quiconque veut faire le malin avec son chien à tout à fait le droit, pourvu qu'il ne violente pas la bête, ou quelque personne en donnant son nom à l'animal. Il y a toujours des français plein d'humour pour trouver drôle d'appeler sa chienne Rika Zaraï ou son canari De Gaulle. J'ai même entendu parler d'un hamster qui s’appellerait Boutin. J'ai consacré quelques heures d'activité professionnelles à méditer sur cette association sans trouver le véritable lien qui pourrait unir...Notez que je n'ai rien contre Christine Boutin qui incarne une aile de la politique tout à fait existante et une sensibilité absolument indéniable. Difficulté supplémentaire, je ne connaissais pas le sexe du rongeur.

Pour en revenir à mon voisin, il a une ferme. Une belle ferme avec des morceaux de bois patinés qui tiennent des murs d'une couleur tout à fait indescriptible, mais usée. Il n'est pas mauvais bougre et me salue chaque fois que nous nous croisons. Ce qui augure bien des Boursacais dont je n'ai pas encore rencontré d'autre exemplaire. Paysans par nature, ils ont assez à faire sur leurs terres ou dans leurs étables. Un peu comme moi, sauf que j'ai une maison neuve.

Je le vois, d'ailleurs, depuis la fenêtre. Il vient de se poser sur un billot, vieux également, au pied de la table en fer forgé rouillé. Il boit son café, chose qu'il fait tous les midis avant de rentrer dans sa ferme. Je vais donc le saluer. Comme dit ma femme, il faut bien s'intégrer.

Il est poli mais y a pas de rallonge. M'énerve avec sa manie de se frotter la moustache. Faut dire qu'elle doit retenir un paquet de particules. En plus, il fait une chaleur à rôtir un chameau et j'ai pas de chapeau. Lui non plus mais son crâne bronzé prouve bien qu'il est habitué. Je m’assoirais bien mais pas d'autre tronc. S'intégrer, qu'elle disait.

La saucisse à pattes vient me renifler les chaussures toutes les trois secondes. Je suis certain d'avoir changé de chaussettes ce matin. Et l'autre qui souffle sur son café depuis trois ans. On éprouve le sentiment d'une certaine lenteur, à la campagne. Un ethnologue a écrit là-dessus. Je ne me souviens pas du nom. Il est passé sur Nova. A la fin de l'émission, ils ont mis Elmer Food Beat. Du Nova pur jus. Le gars avait bien expliqué son truc. On peut faire de l'ethno partout. Le regard, il suffit de placer le regard au bon endroit avec une subtile distance. C'est de l'observation...Mais qu'est-ce qu'il a ce chien ?!...

- 'A coucher, la bête !

- Non mais laissez, M. Durié, il fait son travail.

- Il est vieux, il sentirait pas une merde sous le cul d'une vache.

Qu'est-ce que vous voulez relancer l'intégration après ce genre de proverbe...Et l'autre qui revient renifler par la bande. Il est tellement long et lent qu'il doit être ascendant serpent. Locomotive, qui sait.

- C'est Politique, son nom, c'est ça ?

- Moui. Politique. C'est son nom.

- Et je me suis demandé pourquoi vous l'appeliez comme ça. C'est...Pas banal.

- Parce que c'est une brave bête. Il est con comme un balai, en vieillissant. Mais c'est une brave bête.

- Ah, d'accord, je croyais que c'était pour vous moquer des...

- Faut pas imaginer tout ce qu'on peut croire de ce qu'ils inventent, à la ville.

- Ah d'accord, c'est parce que...C'est pas politique, au sens de...

- Eh si, justement. Il est politique, mon Politique. Croyez-le !

- Mais je le crois, M. Durié.

- Alors vous avez pas l'air...Les gens regardent trop la télé, je vous le dis. Moi, je suis plutôt Des chiffres et des Lettres, même si Lepers, des fois...

- Ah, Lepers, c'est un drôle d'animateur.

- Des fois, on dirait qu'il sort d'un anniversaire qu'a duré une bonne quinzaine. Il se met à rouler des yeux d'apoplectique et à vendre des mouchoirs sur le marché par paquets de quinze.

Bon, il m'a fait un clin d’œil, c'est un signe positif je crois bien.

- Oui, peut-être qu'il boit que de l'eau et qu'il fume que des cigarettes.

Le vieux a l'air plutôt satisfait de mon emballage final. Sa tête se balance, puis il rigole en se pliant en deux. Une seconde j'ai cru à un ulcère stomacal ou un problème viral foudroyant. On ne sait jamais à cet âge-là. On rentre dans une terra incognita de la maladie et le corps part dans tous les sens. Bon, il sourit. Trois dents et demi, de la même couleur que les murs de la ferme. Ce chien m'aime vraiment bien. 

- Et votre chien ? Politique ?

- Je vous l'ai dit, une brave bête. Fidèle, pas exigeant...Et y sait se tenir. Tant qu'on est pas sorti, il fera pas ses besoins.

- Oui, je vois...

- C'est tout ce que j'attends des politiques, moi...Et quand il a fait le con, qu'il est allé jouer le don Juan par ci, par là, il revient la queue basse, je peux vous le dire. Les autres, plus y font les cons, plus il vous chient dessus. On devrait l'envoyer à l'Elysée, mon chien.

Sentant qu'on parle de lui et en bien, le héros de l'heure se fait plus pressant. Je ne crois pas qu'il ait séduit de bergère depuis un bon bout de temps. Et le vieux qui se marre. Je me demande s'il n'a pas un peu attaqué la bouteille avant que j'arrive.

- Bon, M. Dugé, c'est pas que je m'ennuie...

- Durié.

- Pardon, Durié.

- Y a pas de mal. 'A coucher, toi, obsédé.

- Bon, faudra que vous veniez prendre le café, un de ces jours, M. Durié...

- Ca se fera, y a pas de raison. On est voisins. Comme ça, on pourra parler politique....Ah, ah, je plaisante...

Il est un peu à l'ouest, le vieux, mais pas dangereux.

- ...mais pas tant que ça, pour Politique...

Je crois qu'il est dans une boucle, l'ancêtre. Syndrome auto-reverse.

- D'accord, je vais y aller, là.

Tendance collant. La glèbe...

- Politique, y fait parler les gens. Et on est quand même là pour parler, hein, vous croyez pas ?

Quand même surprenant, ce vieillard. On pourrait penser, d'ailleurs je vois beaucoup qui pensent comme ça qu'en province on y a va à la truelle, dans le genre. Mais une vérité profonde attend qui se donne la peine de creuser un tout petit peu.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Alainlasverne 2488 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte