EXPERIENCE SENSORIELLE URBAINE
(D')ÉCRIRE L'ESPACE
L'autre soir, après une journée plutôt bureau-ordi, j'éprouvais, comme souvent à la nuit
tombante, l'envie de faire ma promenade urbaine quasi quotidienne. Après un bon quart d'heure de marche, je constatais une ambiance très étrange, qui transformait sensiblement l'atmosphère de la
ville, sans que je n'ai pu déceler de quoi il s'agissait vraiment. Puis, la nuit tout à fait installée sur la ville, je remarquais que c'était en fait au niveau des lumières que la chose était
devenue étrange. Tout l'éclairage public, sur un très large secteur géographique était éteint, ou plus exactement ne s'était pas allumé. Les rues et places n'étaient éclairées que par les feux
tricolores, les feux de circulation des voitures, et l'éclairages des enseignes et vitrines de commerces. Commerces qui d'ailleurs, vers 19H, fermaient pour la plupart leurs portes, ce qui
contribuait encore à l'assombrissement progressif et général de la ville. Pour autant, celle-ci n'était pas plongée dans un black-pout absolu, car en fait, surtout dans les rues les plus
passantes, subsistaient de nombreux points lumineux, de la luciole à la tâche éclaboussante selon leurs importances, maintenant la présence d'ambiances lumineuses suffisantes pour se mouvoir sans
problème. Ces lumières conféraient au lieu un côté parfois assez fantomatique, avec des reliefs tellement différents de ceux vus et perçus habituellement, qu'une certaine poésie fascinante
imprégnait le quartier. Je décidais alors de profiter de cette modification assez sensible de la ville pour explorer de nouveaux univers, en passant de rues très peuplées à de toutes petites
ruelles et placettes où peu de voitures ne circulaient et peu de boutiques avaient pignon sur rue.
Et là l'obscurité s'intensifiait de façon très étrange, quasi inquiétante. Les rares passants que je croisais, loin de partager mon plaisir de la ville d'ombres, semblaient plutôt inquiets et peu
rassurés...
Ces allers-retours entre points assez lumineux et zones d'ombres, en transitions fondues ou rapides m'occupaient une bonne heure durant, jusqu'au moment où les candélabres arrosèrent de nouveaux
les trottoirs et chaussées de leur flux de lumière.
Une autre chose me frappa ce soir là. Je n'entendais plus du tout la ville de la même façon. Plus l'obscurité s'accentuait, plu les sons se faisaient présents, ciselés, perceptibles, discernables
jusque dans leur infime détail, par une forme de synesthésie sensorielle qui fait qu'un élément sensitif semble vouloir occuper l'absence, ou la diminution d'un autre, dans une sorte
rééquilibrage psychosensoriel.
De même, je suis persuadé que le comportement-même des piétons se modifiait au fil de l'obscurité croissante, dans une crainte à la fois de perturbée cette "marée noire" ou peut-être de trop
attirer l'attention sur soi, un sentiment d'insécurité pointant inévitablement son nez dans ses circonstances.
En tout cas, cette atténuation exacerbation me donnait à voir et à entendre la ville d'une bien belle façon, en souhaitant presque que le phénomène, ou panne, se reproduisit de temps à autre pour
poursuivre cette expériences sensorielle urbaine.