« Moi, avec mes résultats, je suis bankable ! », lâche tout de go un voyageur à ses deux compagnons de fortune. Nous sommes dans le TGV, entre Dijon et Paris, dans la zone centrale d’une voiture, dénommée le carré par une SNCF soucieuse de mixité socioéconomique. Le TGV 6750, départ 06h 25, arrivée 08h 07, a facilité les épanchements croisés de commerciaux au profil matutinal mais néanmoins abonnés à la seconde classe. En être le témoin rappelle combien l’exemple des people s’incruste dans les replis de la vie des citoyens.
Si bankable (bancable, en français usuel) a une indéniable filiation avec le vocabulaire commercial et financier, ses usages se sont élargis à d’autres mondes caractérisés par les flux d’argent. Les milieux du show-biz et du cinéma, grands brasseurs de contrats où s’accumulent les zéros se sont appropriés le terme. Un acteur est bankable s’il est rentable pour un producteur de financer un film qui aurait son nom en haut de l’affiche. L’affaire Depardieu a relancé le terme. Depuis le début des années 2000, le magazine économique Forbes publie un classement des acteurs supposés être les plus rentables, ceux dont le nom peut faire le succès d’une production. Ceux qui cartonnent en somme et peuvent prétendre avoir une suite dans les idées au Bristol, palace parisien de bonne réputation. Depuis 2012, Nathalie Portman est classé actrice la plus bankable, c'est-à-dire qu’elle est l’actrice qui rapporte le plus d’argent à son studio de production. Pour un dollar investi, elle passe pour en rapporter 42,70, selon Forbes. Être bankable n’est pas un gage de talent. C’est simplement un étalonnage financier.
Bankable se prononce à l’anglaise avec si possible un zeste d’accent régional hexagonal. Son glissement du monde du cinéma au monde du sport a mis en évidence la valeur marchande d’une personnalité. Quand un sportif fait de la publicité pour une marque, celle-ci en appelle à son image, à son palmarès pour vanter ses produits. C’est parce qu’il est bankable que tel champion signe des contrats mirifiques lui accolant une nouvelle identité. Perdre sa réputation ou ternir son image, c’est par voie de conséquence être immédiatement débankalisé. Après être déchu de ses victoires au Tour de France, Lance Armstrong voit son contrat avec la marque Nike suspendu. De même, la firme spécialisée dans les chaussures de sport met fin au contrat avec Oscar Pistorius dès que celui-ci a été accusé du meurtre de sa petite amie. La bankabilité, néologisme pas encore mentionné dans Wikipédia, est fondée sur les résultats (être le premier) et sur la réputation (être reconnu sur le marché). Les entreprises ne se privent pas, elles aussi, de se donner une valeur bankable, considérée comme un actif immatériel. Quoi de plus incertain et de plus volatil que l’immatérialité ?
Bankable est le mot qui s’impose pour qualifier la valeur toute relative et éphémère d’une personne physique ou morale. Il a beaucoup d’avenir, consubstantiellement relié à la financiarisation de nos sociétés. Un salarié bankable est évalué à l’aune de ses résultats. L'usage de bankable dans l'univers du travail illustre la mise en concurrence des salariés. En étant assimilés à un produit, à une marchandise, ceux qui se voient bankables ou à qui il a été dit qu’ils l’étaient, risquent de découvrir qu’ils sont aussi jetables. Prononcé à la française. Le rappeler au trio de commerciaux débarquant à Paris en pleine success story ne leur aurait pas permis de commencer la journée sous les meilleurs auspices.