FIELD RECORDING
L’usage sonore du monde en 100 albums
Alexandre Galand
Après avoir lu, et même et relu, le livre d'Alexandre Galand consacré au field recording, paru aux éditions Le mot et le reste, je vous livre ici quelques notes et impressions.
Tout d'abord, le classement du genre en trois catégories adopté ici, s'il ne permet pas de faire entrer toutes les pratiques et esthétiques dans une boîte précise, a le mérite de proposer des repères assez lisibles, entre ethnomusicologie, audionaturalisme et composition (sonore et/ou musicale). Certes, les choses ne sont pas aussi étanches que cela, l'auteur le reconnaît lui-même, mais cette classification donne néanmoins une idée des pratiques où mémoire, patrimoine, recherche, écologie et paysage sonore, création artistique relèvent du socle commun des field recordings.
Outils, méthodes, technique, genre esthétique, l'ouvrage ne cherche pas à enfermer l'objet d'étude dans une approche qui se révélerait assez vite réductrice tant, selon les époques, les objectifs et les preneurs de sons, les field recordings empruntent à toutes ces démarches.
Le mot field recording reste lui-même difficile à traduire, enregistrement de champ, de terrain, in situ, phonographies... ce qui conforte d'ailleurs la pluralité de la chose.
Mais revenons en à l'ouvrage d'Alexandre Galland. Après une courte et très pertinente introduction, ce dernier a choisi d'entamer son livre par trois interviews de spécialistes en la matière, représentant tour à tour l'approche audionaturaliste avec Jean-Claude Roché, ethno-musicologique, avec Bernard Lortat-Jacob et artistique avec Peter Cusak, tous trois praticiens reconnus de l'enregistrement de terrain.
Ces interviews nous permettent de saisir, par la voix de chasseurs de sons selon une expression régulièrement employée il y a quelques années, les enjeux et les passions qui animent des hommes désireux de connaître un peu mieux leur Monde par l'oreille.
Le sous-titre même même de l'ouvrage fait implicitement référence à l'extraordinaire récit de voyage de Nicolas Bouvier, lequel emportera justement avec lui un des premier et mythique magnétophone Nagra, que lui confiera feu Stefan Kudelski en personne, son inventeur et constructeur.
Nous arrivons ensuite à la deuxième partie de l'ouvrage, la plus consistante, puisqu'elle nous propose 100 enregistrements, couvrant les trois approches définies par l'auteur.
J'ai toujours un a priori à lire une sorte de catalogue discographique, genre parfois assez ennuyeux où se succèdent descriptions et coups de cœur, de façon parfois assez décousue.
Et bien dans le cas de ce livre, très heureuse surprise, la lecture se vit comme un véritable roman d'aventure, avec des expériences aux quatre coins du Monde, dans des villes contemporaines, des villages perdus dans des forêts tropicales, sous les eaux, près des volcans. On y côtoient des artistes, chercheurs, historiens, des gens "de tous les jours" des tribus menacées de disparition, voire disparues, des pratiques musicales propres à un lieu, une culture, des rites sacrés, des communications animales, des expérimentations musicales et sonores...
On voit comment certains tentent de rester au plus près de la réalité alors que d'autres puisent de la matière sonore pour la retravailler et la recomposer parfois assez radicalement.
L'anthropologie, la sociologie, l'histoire, les nouvelles technologies, l'expérimentation sonore et artistique se déploient sous nos yeux, et quasiment sous nos oreilles tant j''ai eu l'impression d'entendre autant que de lire ces pages, dans une incroyable variété de gestes et de postures, d'images visuelles et sonores.
Il y a là de la magie, du dépaysement, de l'exotisme, sans pour autant que l'auteur ne donne dans l'emphatique, ou ne nous assène des idéologies prédigérées. On sent dans ses écrits à la fois une formidable passion pour le sujet et une sorte de pudeur pour ne pas trop envahir le sujet du moi personnel. La couverture spacio-temporelle du livre est aussi large que la variété des pratiques et des expressions artistiques citées.
Tout est clair, documenté, et donne envie de réécouter des enregistrements parfois endormis sur les rayons d'une armoire, voire de courir en acheter d'autres.
Comme vous l'aurez sans doute compris, j'ai beaucoup aimé ce livre qui est devenu pour moi, en peu de temps, une référence sur un sujet jusque là peu ou pas traité en langue française, en même temps qu'un livre de chevet, voire de voyage, dans lequel je navigue régulièrement au gré des époques et des usages sonores du monde.
Le blog de l'auteur "Les maîtres fous"