Éditions Gaïa, 266 pages
Résumé:
Sur les quais de Karlshamn, la Charlotta s'apprête à appareiller. Karl Oskar est soucieux. Le navire censé assurer leur émigration vers les États-Unis d'Amérique est en bien piteux état. Quant à Robert, son rêve de grande aventure s'en trouve un peu ébréché. Même Kristina ne tarde pas à partager ces pensées. Il fut un temps où la Charlotta était un noble navire de commerce et non un vulgaire transporteur d'émigrants, cette engeance qui s'entasse dans l'entrepont et n'a décidément jamais le pied marin. La vie à bord n'est que tourments : la promiscuité, la saleté, les poux, le scorbut et le mal de mer s'acharnent sur les passagers. Le capitaine Lorentz, vieux loup de mer aigri et solitaire, le sait bien, lui qui prévoit un boisseau de terre de Suède en vue de simuler des funérailles qui se termineront inéluctablement au fond de l'eau. Après Au pays, La Traversée est le récit d'un voyage qui ne devait durer que quelques semaines. Un voyage au bout de soi, une douloureuse épreuve dans la fabuleuse destinée de ces Émigrants.
Mon opinion:
Cette série est résoluement un coup de coeur, même si je n'en suis encore qu'au deuxième tome, qui est aussi bon que le premier! Moberg utilise deux procédés pour la narration. Il raconte l'histoire vue de l'extérieur puis, laisse la parole à ses différents personnages lorsque besoin est. Le lecteur est donc témoin de la perception de chacun d'un même événement. Perception qui diffère selon ce qu'on sait du passé de chaque personnage, de leur vécu et de leurs valeurs.
Ce second tome nous amène sur les eaux, sur un bateau de marchandises qui transporte également depuis peu des passagers qui veulent émigrer en Amérique. Il faut se replonger à l'époque où les bateaux n'avaient rien de paquebots de croisière. On y survivait avec les moyens du bord. Les bains, les repas, la propreté était relégués aux oubliettes. Les passagers quant à eux, tentaient de survivrent aux maladies et ne pas mourir d'ennui. Pour des paysans habitués au travail de la terre, aux travaux difficiles, passer plusieurs mois en mer à ne rien faire était très pénible. Sans parler des pénibles difficultés associées au manque d'hygiène et aux microbes de toutes sortes qui prolifèrent. Kristina, par exemple, femme très propre, soigneuse, qui prend un soin jaloux de ses enfants, trouve pénible de vivre, entassés comme des animaux, dans une cale malodorante où pullullent les poux, la vermine et le scorbut. Même si tous les personnages me plaisent, avec leurs défauts et leurs qualités, je ne peux que m'identifier à Kristina. Par ses valeurs, sa droiture, son amour pour sa famille. Que ferais-je, à sa place?
L'écriture de Moberg est d'un réalisme saisissant. Chaque fois que je plonge dans l'un de ses livres, la magie opère dès le début. Je ne suis plus chez moi, mais plutôt sur une terre aride ou un bateau qui tangue. Je ne peux m'empêcher de me mettre à la place des personnages, de vivre avec eux leur périple. Le lecteur peut presque sentir le monde tanguer autour de lui, l'odeur viciée de l'air, le bruit de l'eau.
La religion est très présent dans ces livres. L'idée, à l'époque, que les poux et le mal de mer résultaient d'un manque de foi chrétienne m'a assommée. Beaucoup de choses "inexpliquées" étaient alors identifiées à la religion, au mal ou au bien.
Pour ceux qui ont lu le roman, la scène de l'apparition de l'oiseau sur le pont m'a beaucoup touchée. J'imagine qu'après autant de temps sur les mers à ne voir que de l'eau à perte de vue, l'apparition de l'oiseau (encore une fois relié à une sorte de divinité) a dû être un vrai miracle pour ces paysans habitués à fouler la terre...
Ce second tome rempli toutes mes attentes. Une série à découvrir, à lire et relire. Un petit bijou. Vivement que je reçoive le troisième tome!
Un extrait:
"Il avait de bonnes raisons de regretter le temps où la Charlotta était uniquement un navire de commerce et n'avait qu'une cargaison inerte. Il préférait de loin avoir sous le pont des marchandises plutôt que ce malcommode chargement vivant: les marchandises ne mouraient jamais, elles."
p.27