Quel regard un scientifique connu, et internationalement reconnu comme l'un des meilleurs de son époque, porte-t-il sur le travail des scientifiques... d'une autre discipline que la sienne ? Pour le commun des mortels, tous les scientifiques se valent. Même base de formation, même rigueur, même discipline de pensée, même méthode de publication des résultats après validation des pairs. Tous les Nobel en font la difficile expérience quand ils sont appelés à commenter indifféremment les enjeux du changement climatique, l'importance à venir des imprimantes 3D, ou encore l'impact sociétal du mariage pour tous. Leur avis personnel est immédiatement rangé dans la case "avis des scientifiques".
Mais tous les scientifiques et honnêtes hommes de ce siècle savent aussi qu'entre un biologiste, un physicien de la matière condensée et un chimiste des colorants, existent des gouffres sans ponts suspendus.
Alors, quel sens - comme nous le présentons dans ce numéro - peut bien avoir l'avis d'un mathématicien sur les travaux des astrophysiciens et des cosmologistes ?
Il suffit de se souvenir à quel point il est miraculeux de partir vers la Lune, à bord d'une capsule, et de faire confiance aux équations de Newton - comme à une formule magique - pour freiner au bon moment et se placer sur orbite, grâce à l'attraction gravitationnelle du satellite naturel de la Terre. Ou encore, sans les voir, de décrire le nombre, les positions et les masses de planètes extrasolaires, à partir de fluctuations des courbes de lumière des étoiles. En astronomie, cette redoutable efficacité des mathématiques n'est plus à démontrer.
Aussi Cédric Villani, s'il n'est pas astronome, peut-il être vu comme un parfait critique de cette discipline. Et quand il affirme : "La matière noire et l'énergie sombre, je n'y crois pas", il dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas - 96 % d'invisible, c'est beaucoup et c'est gênant ! Et si "l'imagination débordante" des astrophysiciens a nommé ces fantômes sans pouvoir les attraper, rien n'oblige un observateur extérieur à y croire.
"Croire", voilà bien le maître mot du débat et de la distance qu'impose la situation dans laquelle se trouve la cosmologie. Pour expliquer l'Univers tel que nous l'observons, il nous est demandé de croire que l'essentiel est invisible. En mathématiques, on appelle ça... un postulat. Qui reste à être démontré par beaucoup de matière grise.
Alain Cirou
Directeur de la rédaction
Ciel & Espace, mars 2013
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