Dès le début de mon séjour au Royaume-Uni, j'ai noté quelque chose de différent dans mon environnement, et cet élément m'apparaissait alors plus intrusif qu'au Québec. N'ayant pas effectué de réelles observations chez nous sur le sujet avant de noter la chose au UK, je ne pouvais réellement savoir si mon impression était justifiée ou non.
C'est qu'au Royaume-Uni, j'étais surveillé constamment. C'est une manière de parler, évidemment, puisque personne ne me surveillait moi, spécifiquement, mais j'étais constamment surveillé dès que je mettais les pieds en dehors de mon appartement.
Les caméras de CCTV (Closed Circuit Television) me paraissaient omniprésentes au UK. Au point d'alimenter ma réflexion et de me demander si je les remarquais simplement parce que j'étais à l'étranger, et plus attentif à ce qui m'entourait, ou s'il y en avait réellement beaucoup plus que chez nous. Je me suis aussi demandé si je ne les remarquais pas parce que leur présence était plus indiquée par des affiches. Après tout, me disais-je alors, peut-être qu'au Québec, il y en a des centaines de milliers, mais que l'on n'indique pas leur présence officiellement?
Bref, tout le long de mon séjour, j'ai remarqué, quasi quotidiennement, la présence de ces caméras de surveillance en circuit fermé. Gares, métro, autobus, trains, édifices publics, places et squares, boutiques, épiceries, pavillons d'université, centres commerciaux, cinémas, etc, les signes de CCTV sont partout.
A mon retour, je me suis attardé à noter si je voyais de tels signes de manière aussi évidente à Montréal. Je vois certes des caméras de surveillance un peu partout, mais même en portant attention à leur existence et leur présence, mon observation des dernières semaines me laisse croire que le phénomène est moins envahissant, moins intrusif ici qu'au Royaume-Uni.
Puis, par hasard, alors que mon amie Suze lisait des articles scientifiques pour un travail de recherche, elle m'a fait part d'une statistique citée dans un de ces articles:
« The UK has 4.2 million CCTV cameras, one for every 14 people and every day someone in Britain may be identified 300 times » (1).
Pour des fins de comparaison, la BBC rapportait également que pour les 7431 caméras répertoriées à Londres, on en retrouvait 326 à Paris, 82 à Sydney et 71 à San-Francisco. Dans le seul arrondissement de Wandsworth, à Londres, il y en a plus qu'à Dublin, San-Francisco, Johannesbourg et Boston réunis (2).
Ceci semble appuyer mon observation personnelle, et le fait que j'ai remarqué la chose dès le début de mon séjour. Pendant celui-ci, le dossier est d'ailleurs apparu dans divers médias.
Le journal The Independent rapportait ainsi en octobre que les nouvelles générations de caméras à haute définition pouvaient facilement être couplées à des logiciels de reconnaissance du visage. Au point où le commissaire en charge du dossier croyait que le déploiement massif de ces caméras à travers le pays sans aucune législation appropriée contrevenait déjà aux droits garantis par la constitution britannique et qu'il s'agissait d'un problème majeur auquel il faudrait faire face: « It is the Big Brother scenario playing out large. It's the ability to pick out your face in a crowd from a camera which is probably half a mile away » (3).
Cette citation d'un scénario à la Orwell est aussi fascinant à mettre en parallèle avec une autre statistique, qui montre bien comment une population peut être influencée ou manipulée par la peur. En effet, après les manifestations qui ont suivies la crise financière et économique, plus du tiers de la population britannique aurait été en faveur de l'utilisation de ces nombreuses caméras pour garantir le calme et la sécurité (4).
Pour donner un exemple du danger de cette pratique, le journal The Guardian rapportait en septembre dernier le cas des 207 écoles secondaires britanniques qui avaient installé et utilisaient 825 caméras de surveillance dans les toilettes et les salles et douches attenantes aux salles d'activités physiques (5).
Sur le plan politique, comme nous parlons ici d'un pays se situant généralement à droite (ou au centre-droite pendant certaines périodes), il n'existe actuellement aucune réglementation consacrée à l'usage des caméras de surveillance, seulement un commissaire chargé de surveiller ce genre de choses (qui n'a qu'un pouvoir de recommandation). Un comité a été mandaté pour explorer la question et doit remettre un rapport suggérant un code de conduite au Parlement en avril 2013.
Enfin, il est intéressant de noter que la citation ci-haut sur le nombre de caméras en activité au UK est tirée d'un article explorant les politiques de sécurité et de contrôle sociaux instaurées après les attaques du 11 septembre 2001 dans les pays européens. La politique de la peur, qui justifie de plus en plus la surveillance et l'accumulation de données sur des citoyens 'ordinaires', et qui réduit d'autant le droit à la vie privée, n'est pas une chose nouvelle, mais elle a définitivement pris un essor important dans certains pays, dont le Royaume-Uni.
Pour revenir à la scène locale, sans nécessairement parler de caméras de surveillance, nous avons aussi expérimenté cette politique d'exploitation de la peur au printemps dernier, avec la présence policière accrue, les 'questionnements préventifs' et les fouilles 'préventives' dans le métro de Montréal lors du Grand Prix.
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(1) Wyckes, M. «The English Experience: Mediating Technology and Security; Violations and Vunerabilities», cité par Sophie Body-Gendrot «European policies of social control post-9/11». Social research 77 (no 1), 2009.
(2) BBC, « The statistics of CCTV », 20 Juillet 2009.
(3) Hastings, Rob, «New HD CCTV puts human rights at risk - Watchdog warns: Big Brother Britain has arrived unnoticed», The Independent, 3 Octobre 2012.
(4) «'More support' for CCTV after riots», The independent, 25 Octobre 2011.
(5) Quinn, Ben, «CCTV cameras being used in school changing rooms and toilets», The Guardian, 11 September 2012.
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Photos: Hugues Morin, janvier 2013.